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Normalisation israélo-turque

Mercredi, 23 novembre 2022

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le premier ministre israélien désigné, Benyamin Netanyahu, ont convenu lors d’un appel téléphonique le 17 novembre d’ouvrir une «  nouvelle ère » dans les relations de leurs pays. Ce rare appel téléphonique fait suite à l’action menée par le gouvernement israélien sortant pour améliorer les rapports bilatéraux, qui ont été relancés grâce à des ouvertures turques depuis 2020. L’importance de cette première prise de langue Erdogan-Netanyahu tient au fait que les grandes tensions entre les deux pays sont survenues au cours du précédent mandat du chef du Likoud, où les deux hommes avaient échangé une rhétorique des plus acrimonieuses.

Israël et la Turquie ont déjà échangé leurs nouveaux ambassadeurs, respectivement en septembre et novembre. Entre-temps, le ministre israélien de la Défense dans le gouvernement sortant, Benny Gantz, s’est rendu le 27 octobre à Ankara, dans une première visite du genre depuis plus d’une décennie après que les deux pays ont décidé de rétablir leurs relations diplomatiques en août. Au cours de la visite, les deux pays ont convenu de renforcer leurs relations dans la défense, l’industrie de la défense et la sécurité militaire. Dans le même temps, ils ont signé un mémorandum secret fixant le cadre du partage d’informations et de coopération entre leurs services de renseignements. La coopération renouvelée entre ceux-ci a été déjà démontrée en juin lorsque la Turquie et Israël ont déjoué de multiples attaques terroristes, imputées à l’Iran, contre des Israéliens et des juifs sur le sol turc.

Le rapprochement israélo-turc s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par Ankara pour se réconcilier avec ses rivaux régionaux, dont l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU), en vue de briser son isolement économique et politique dans la région et contrebalancer l’approfondissement des liens de défense entre ces derniers et la Grèce et Chypre— les ennemis traditionnels de la Turquie— en Méditerranée orientale. Ankara estime que la désescalade avec Israël et d’autres puissances régionales servirait mieux ses intérêts au moment où il fait face à une crise économique aiguë et veut se concentrer sur ses préoccupations fondamentales de sécurité, telles que le nationalisme kurde et les relations avec la Grèce et Chypre.

Confronté à l’échéance des élections au second semestre de 2023, le président Erdogan estime que le resserrement des liens avec ses anciens ennemis contribuera à améliorer l’économie turque en difficulté grâce à des investissements et des accords d’échange de devises. Des accords de ce type ont été déjà conclus cette année avec les EAU. La Turquie cherche également à améliorer sa position en Méditerranée orientale en persuadant Israël de coopérer sur les questions énergétiques, dans l’espoir de battre en brèche le rapprochement de ce dernier avec la Grèce et Chypre. L’un des objectifs d’Ankara est en effet de devenir un hub énergétique régional à travers l’acheminement du gaz naturel israélien vers l’Europe. Un tel projet, en cas de concrétisation, sapera la coopération énergétique d’Israël avec la Grèce et Chypre. Mais ce plan est loin de pouvoir se matérialiser pour diverses raisons, dont la grande méfiance d’Israël vis-à-vis des intentions du président Erdogan.

Pendant les années de tension entre la Turquie et Israël, de 2010 à 2020, les relations de ce dernier avec Athènes et Nicosie se sont nettement améliorées sur les plans politique, économique et militaire. Ainsi, les armées des trois pays tiennent régulièrement des exercices aéronavals dans le bassin levantin de la Méditerranée. De même, Chypre est devenue cliente du système de défense aérienne israélien Iron Dome. Le rétablissement des relations diplomatiques avec la Turquie devrait pousser Israël à chercher un point d’équilibre entre les avantages géostratégiques et économiques potentiels de la coopération avec cette dernière et les liens bien développés avec Athènes et Nicosie. Le président israélien, Isaac Herzog, qui a joué un rôle de premier plan dans le rapprochement avec la Turquie, s’est employé à rassurer la Grèce et Chypre sur le fait qu’Israël reste attaché aux progrès réalisés avec elles.

Le motif principal d’Israël dans son rapprochement avec Ankara est de contenir les activités du Hamas palestinien en Turquie. Et c’est la raison derrière son empressement d’établir une coopération bilatérale en matière de renseignement. La Turquie accueille des dizaines de hauts dirigeants du mouvement islamiste palestinien, que Tel-Aviv accuse de coordonner et de financer des attaques anti-israéliennes en Cisjordanie. Les Israéliens espèrent que l’amélioration des relations avec la Turquie poussera celle-ci à exercer des pressions sur le Hamas afin de réduire ou de cesser ses attaques. Pour Israël, la coopération avec la Turquie en matière de renseignement permet également une surveillance plus étroite des activités de l’Iran, son ennemi juré régional.

Le prochain gouvernement israélien, l’un des plus à droite de l’histoire du pays, risque toutefois de rendre plus fragile la réconciliation avec la Turquie en raison des politiques extrémistes qu’il pourrait adopter envers les Palestiniens et compte tenu de l’animosité personnelle entre Erdogan et Netanyahu. Ce dernier a cependant soigneusement évité d’évoquer la Turquie dans sa campagne électorale. Il n’a pas non plus attaqué le gouvernement sortant pour sa normalisation avec la Turquie. L’un et l’autre indiquent qu’ils entendent poursuivre pragmatiquement le rapprochement avec Ankara.

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