C’est toujours l’impasse sur le programme nucléaire de l’Iran, assortie de mesures d’escalade réciproques de la part des protagonistes. Le 9 juillet, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a annoncé que l’Iran avait commencé à utiliser des centrifugeuses avancées pour enrichir l’uranium dans la centrale souterraine de Fordo. Téhéran a confirmé le lendemain qu’il prévoyait atteindre 20% d’enrichissement grâce à ces centrifugeuses améliorées. L’annonce a immédiatement soulevé les inquiétudes des pays occidentaux car, même si le taux de 20% est loin des 90% nécessaires à la production d’une arme nucléaire, les nouvelles machines mentionnées dans le document de l’AIEA facilitent le passage de l’Iran vers un niveau supérieur d’enrichissement. Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que l’AIEA a rapporté le mois dernier que l’Iran détenait 43 kilogrammes d’uranium enrichi à 60% de pureté, un pas de plus vers les 90%. Les experts en non-prolifération préviennent que l’Iran a suffisamment de matières fissiles pour une arme nucléaire s’il choisit de la produire. Cependant, Téhéran aurait encore besoin de concevoir une bombe et un système de lancement, un projet qui nécessitera probablement plusieurs mois pour voir le jour.
L’annonce iranienne sur l’usage de centrifugeuses avancées est intervenue à la suite de la décision des Etats-Unis, le 6 juillet, d’imposer de nouvelles sanctions contre « un réseau international d’individus et d’entités » qui, selon le département du Trésor, a facilité la vente en Asie de l’Est de produits pétroliers et pétrochimiques iraniens sous la coupe de sanctions américaines. La décision frappe plusieurs personnes et entreprises basées en Iran, aux Emirats Arabes Unis (EAU) et à Hong Kong, que les Etats-Unis ont accusées d’avoir aidé à la livraison et à la vente de centaines de millions de dollars de pétrole iranien et de produits pétrochimiques provenant de sociétés iraniennes. Les sanctions prévoient de geler les actifs de ces entreprises aux Etats-Unis, de les couper du système financier américain et d’empêcher les Américains de faire des affaires avec elles. Le département d’Etat a, de son côté, annoncé le même jour ses propres sanctions liées à l’Iran contre des entités basées en Iran, au Vietnam et à Singapour.
Ces sanctions interviennent quelques jours après l’échec du dernier round de négociations indirectes tenu par des diplomates américains et iraniens au Qatar pour tenter de rétablir l’accord international de 2015 qui a vu l’Iran réduire son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions contre son économie. Plusieurs cycles de pourparlers à Vienne, à partir d’avril 2021, n’ont pas réussi à parvenir à un accord entre Téhéran et Washington, en raison notamment de la demande iranienne que le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (GRI) — chargé de protéger le régime politique — soit retiré de la liste américaine des organisations terroristes étrangères. L’Iran semble cependant avoir abandonné dernièrement cette exigence. Mais des désaccords subsistent sur la question de savoir si, en cas d’accord, des sanctions pourraient s’appliquer à certaines entreprises liées au GRI dans les infrastructures et les transports.
Mais le problème fondamental de l’Iran avec le rétablissement de l’accord nucléaire est plus politique qu’économique. Echaudé par le retrait du président Donald Trump de l’accord en mai 2018, Téhéran cherche à obtenir l’assurance que cela ne se reproduira plus, car il redoute les conséquences d’un nouveau retrait de Washington. A vrai dire, les dirigeants iraniens ont peu de confiance dans la pérennité d’un accord, car ils reconnaissent— après l’expérience amère des relations avec Trump— qu’aucune Administration américaine ne peut forcer son successeur à respecter l’accord. L’approche des élections de mi-mandat du Congrès— où les démocrates risquent de perdre en novembre prochain la majorité au profit des Républicains— réduit l’intérêt de l’Iran à s’engager avec une Administration boiteuse qui ne contrôle plus le pouvoir législatif.
Cette possibilité renforce un sentiment croissant à Téhéran, notamment chez les conservateurs, que les démocrates sont trop faibles pour remporter un deuxième mandat présidentiel en 2024, ce qui laisse entrevoir que les avantages que l’Iran obtiendra dans le cadre d’un nouvel accord seront perdus dans deux ans. Les partisans de la ligne dure, qui contrôlent le gouvernement, le parlement et le pouvoir judiciaire, affirment que les conséquences d’un choc économique que l’Iran subirait de la réimposition des sanctions, à la suite d’un nouveau retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire, surpasseraient les avantages à court terme d’un accord avec l’Administration Biden. Partant de ce raisonnement, ils soutiennent qu’il serait imprudent de renoncer à l’effet de levier nucléaire que Téhéran pourrait utiliser dans des négociations futures avec un président américain plus fort. Ils font par conséquent des pressions pour que l’Iran augmente son enrichissement d’uranium vers le seuil des 90% et se retire du Traité de non-prolifération nucléaire.
La politique dilatoire de l’Iran risque toutefois d’être lourde de conséquences, car l’absence d’un accord au moment même où Téhéran poursuit le développement de ses capacités nucléaires augmenterait les tensions entre la République islamique et les Etats-Unis ainsi que leurs alliés régionaux respectifs, au risque de provoquer une escalade délibérée ou involontaire qui échapperait à tout contrôle. Un tel scénario ferait rappeler l’été 2019, lorsque les tensions ont éclaté sous la forme de sanctions américaines renforcées et d’attaques imputées à l’Iran et ses alliés régionaux, contre les voies maritimes internationales et les infrastructures, notamment pétrolières, de l’Arabie saoudite et des EAU. Dans le même esprit, la progression de l’Iran vers une possible production d’une arme nucléaire est susceptible de pousser Israël à mener une action militaire et à encourager les Etats-Unis à faire de même contre les installations nucléaires iraniennes, avec le danger de produire une violente réaction de Téhéran et de ses alliés qui entraînerait une instabilité régionale,
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