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Le conflit en Ukraine et le nucléaire iranien

Mercredi, 18 mai 2022

Après deux mois d’impasse, les négociations sur la relance de l’accord nucléaire iranien de 2015 devraient bientôt reprendre. C’est ce qu’a déclaré, vendredi 13 mai, le chef de la diplomatie de l’Union Européenne (UE), Josep Borrell, au terme d’une visite à Téhéran du négociateur en chef de l’UE, Enrique Mora. Borrell a estimé que la réponse de l’Iran était « assez positive » pour permettre la reprise des pourparlers en vue d’un accord final. Les grandes lignes de celui-ci ont été convenues au début du mois de mars. Mais une demande russe de dernière minute et un différend sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères ont fait capoter l’accord.

A l’époque, la Russie a exigé une dérogation à toute disposition susceptible de restreindre ses relations avec l’Iran, mais a fini par édulcorer sa demande. En même temps, Téhéran a insisté sur le retrait des Gardiens de la Révolution Islamique (GRI), un corps paramilitaire d’élite, de la liste américaine des organisations terroristes. La déclaration des GRI comme groupe terroriste était une décision prise par l’ancien président Donald Trump, après avoir retiré son pays de l’accord nucléaire en 2018 et lancé une campagne de « pression maximale » sur l’Iran. Celui-ci a exigé dès le début des négociations que toutes les sanctions supplémentaires de l’ère Trump soient supprimées. Une demande à laquelle ne pouvait accéder le président Joe Biden à l’approche des législatives de mi-mandat, prévues le 8 novembre, qui pourraient lui coûter la majorité au Congrès. La semaine dernière, une majorité au Congrès, réunissant des membres des partis démocrate et républicain, a averti la Maison Blanche qu’elle s’opposait à la levée des GRI de la liste des organisations terroristes.

Une telle levée aliénerait aussi les monarchies arabes du Golfe, au moment où Washington s’efforce de rallier ses alliés producteurs de pétrole contre Moscou en vue de freiner la flambée des prix de l’essence. L’Administration Biden craint des dégâts supplémentaires— qui s’ajouteraient à ceux provoqués par le désengagement américain relatif du Moyen-Orient— que cette levée causerait à des alliances vieilles de plusieurs décennies ayant permis d’étendre l’hégémonie des Etats-Unis sur une région stratégique, première exportatrice d’énergie au monde et qui contrôle trois passages-clé du transport maritime mondial, les détroits d’Ormuz et de Bab Al-Mandab, ainsi que le Canal de Suez. Washington reconnaît que les GRI sont la principale force derrière le soutien iranien à des mouvements armés dans des pays arabes, de l’Iraq au Liban et au Yémen, et qu’ils sont le principal acteur de l’influence déstabilisatrice de Téhéran dans la région. De ce fait, elle redoute que la levée des GRI de la liste des groupes terroristes pousse l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui font face à des attaques régulières de la rébellion Houthie au Yémen soutenue par l’Iran, plus loin dans les bras de la Russie et de la Chine, accélérant une érosion de la puissance américaine déjà en cours.

Alors que l’UE, qui jouait le rôle de médiateur entre l’Iran et les Etats-Unis, pensait pouvoir trouver un compromis, la guerre Russie-Ukraine est venue compliquer la donne. D’abord, la Russie n’était plus considérée comme un partenaire fiable et digne de confiance aux yeux des Occidentaux. La guerre a surtout durci la position de l’Iran, qui a capitalisé sur la crise énergétique provoquée par le conflit, notamment pour les Etats-Unis et l’Europe; cette dernière cherchant en particulier à réduire sa dépendance à l’égard des approvisionnements russes de gaz naturel. L’une des conséquences de la guerre était l’augmentation importante des recettes de l’Iran de ses exportations illicites de pétrole, qui ont atteint une moyenne de 870000 barils par jour au premier trimestre de 2022, contre 668000 barils par jour au quatrième trimestre de l’année dernière. Avec environ la moitié du volume de brut qu’il pourrait vendre si les sanctions américaines étaient levées, l’Iran a encaissé, en raison de la hausse des prix, les mêmes revenus. Téhéran a ainsi profité du fait que l’attention de Washington était principalement portée sur le bannissement des exportations énergétiques russes, pour augmenter ses propres ventes. La Chine est le principal acheteur de pétrole iranien et il était devenu impensable qu’elle accepte de réduire ses achats— comme le demandent les Etats-Unis— compte tenu de la crise énergétique mondiale et du fait qu’elle obtient des rabais de Téhéran. Pékin avait d’ailleurs toujours dénoncé les sanctions extraterritoriales américaines et a exhorté les Etats-Unis à supprimer leurs sanctions unilatérales.

L’apparent assouplissement de la position de l’Iran lors de la visite du négociateur en chef européen traduit sa volonté de capitaliser sur cette position de force provoquée par le conflit en Ukraine pour parvenir à un accord qui lui soit plus favorable. L’Iran peut compter plus qu’avant sur le soutien de la Russie et de la Chine à un moment où la faiblesse relative de l’UE, en raison des répercussions énergétiques de la guerre, la rend empressée de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien.

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