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La déislamisation de la Constitution de l’Egypte

Mardi, 10 septembre 2013

Le comité, composé de 50 membres, chargé d’amender la Constitution suspendue de 2012, a commencé dimanche 8 septembre à se débattre de la future Constitution de l’Egypte, dont la première mouture a été soumise fin août au président par intérim, Adly Mansour, par la commission des dix experts en droit constitutionnel. A l’inverse de la précédente assemblée constituante de 100 membres, dominée par les islamistes, Frères musulmans et salafistes, l’actuel comité des 50 est composé essentiellement de personnalités séculières, partisanes d’un Etat civil et opposées à l’amalgame entre politique et religion. Seuls deux membres, un salafiste du parti Al-Nour et un ancien des Frères musulmans aujourd’hui pourfendeur de la confrérie, représentent l’islam politique, si l’on écarte les 3 représentants d’Al-Azhar, partisan d’un islam modéré, sans immixtion en politique.

Le recul de la représentation du courant islamiste au sein du comité des 50, chargé d’élaborer en deux mois la version finale de la Constitution, est la conséquence directe du renversement du régime des Frères musulmans et la chute de leur popularité au sein de l’opinion publique. Ce recul tient aussi au changement de la méthode de sélection des membres du comité. Alors que la précédente assemblée était choisie par, et notamment parmi, les membres des deux Chambres du Parlement, largement dominées par le courant islamiste, le comité des 50, nommé par le président par intérim, l’est essentiellement en fonction des candidatures présentées par les partis politiques, mais aussi par les syndicats et les différents corps d’Etat. Sa formation obéit ainsi à un autre critère, réclamé haut et fort par le courant libéral, à savoir la représentation, non seulement des partis politiques, mais également des différentes catégories socioprofessionnelles (agriculteurs, ouvriers, avocats, journalistes, écrivains, professeurs d’université, artistes, etc.), y compris les segments de population qui sont d’habitude sous-représentés dans les assemblées électives, notamment les femmes et les jeunes. En outre, les dix figures publiques choisies pour faire partie du comité appartiennent au courant libéral.

Vu cette composition largement séculière, il est probable que le comité laisse intacte la « déislamisation » de la Constitution de 2012 ou, en d’autres termes, le retrait des articles et des expressions prévoyant le renforcement du rôle de la charia (loi islamique) en politique et en société, opérée par le comité des 10. Celui-ci a gardé en place l’article 2, datant de la Constitution précédente de 1971, et autour duquel il y a unanimité, qui stipule que les « principes » de la charia sont la source principale de la législation. Il a par contre supprimé l’article explicatif (219) de ces principes qui réduit la liberté d’interprétation du législateur et de la Cour constitutionnelle. Obsédé par le supposé danger d’expansion du chiisme en Egypte, le parti salafiste Al-Nour, qui était à l’origine de cet article, avance que son objectif était de défendre le sunnisme contre le prosélytisme chiite. Mais les libéraux le considèrent comme un moyen d’imposer une interprétation stricte et rigide, voire « médiévale », de la charia, contraire à une vision compatible avec une société islamique moderne.

Le comité des dix a également supprimé l’article 4 qui consolide cette restriction imposée au législateur et à la Cour constitutionnelle en accordant à Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite, un rôle consultatif sur toute législation touchant à la charia. En fait, cet article officialisait et rendait obligatoire une pratique déjà en place de demander l’avis d’Al-Azhar concernant les lois touchant à la charia. Al-Azhar n’a cependant jamais réclamé un tel renforcement de son rôle. Il y est même opposé par volonté de ne pas se trouver entraîné dans le jeu politique entre diverses forces opposées.

Le projet de Constitution présenté par le comité des spécialistes en droit constitutionnel a aussi débarrassé la Constitution de 2012 des différentes dispositions et des rajouts d’inspiration religieuse, introduits par les membres islamistes de la précédente assemblée constituante. Il s’agit essentiellement de l’article 10 prévoyant que l’Etat et « la société » protègent les valeurs morales, ce qui aurait pu, selon certains juristes, ouvrir la voie à la création d’une police religieuse, de l’article 44 qui prohibe le fait d’offenser les « prophètes et les messagers » de Dieu, et l’article 76 qui autorise la justice à rendre des jugements à partir des textes de la Constitution, et non seulement des lois. Ce qui aurait permis aux juges de décider des peines en faisant référence à des textes constitutionnels relatifs à la charia. L’article 69 du projet de la nouvelle Constitution limite explicitement les peines à celles mentionnées dans le code pénal.

Dans la même optique, le projet de Constitution consolide la proscription de faire l’amalgame entre politique et religion. Il a ainsi raffermi le langage de l’article 54 interdisant la formation de partis politiques sur une base religieuse ou un cadre de référence religieux. Ce renforcement marque un retour au langage utilisé dans la Constitution de 1971 et la déclaration constitutionnelle de mars 2011 émise par le Conseil suprême des forces armées lorsqu’il était au pouvoir après la chute de Moubarak. C’est pourtant sous cette déclaration que les partis islamistes, profitant du nouveau contexte politique, ont été créés, après la chute de l’ancien régime. Ils soutenaient, et soutiennent toujours, qu’ils sont des partis civils à cadre de référence islamique et qu’ils n’ont pas l’intention de créer un Etat religieux.

Le changement de la conjoncture politique, représentée par le renversement du régime des Frères musulmans et la probable interdiction de la confrérie pour incitation et usage de la violence, en collaboration avec certaines forces et figures salafistes, aura vraisemblablement comme conséquence une interprétation plus stricte de l’article 54, sans aller jusqu’à l’interdiction des partis islamistes existants. Mais la conformité des programmes et des activités de ceux-ci à la loi sera probablement soumise à un contrôle plus ferme. Le problème restera cependant posé car l’expérience récente a démontré que, malgré leurs assurances sur leur caractère civil, les partis islamistes faisaient usage de la religion dans leur propagande et leur action politique.

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