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La nouvelle politique étrangère de l’Egypte

Mercredi, 16 mars 2022

Depuis la chute des Frères musulmans en 2013, la diplomatie de l’Egypte a pris de nouvelles orientations en phase avec les évolutions régionales et loin des choix sectaires de la confrérie. L’instabilité sécuritaire dans le monde arabe à la suite des révoltes populaires de 2011 a exposé l’Egypte à de nouveaux types de menaces pour sa sécurité et ses intérêts nationaux, notamment la guerre civile en Libye, le conflit au Yémen, la concurrence énergétique en Méditerranée orientale, la transition politique au Soudan et le litige avec l’Ethiopie sur le partage des eaux du Nil.

Ces menaces ont induit l’Egypte à développer une action extérieure plus active, soutenue pendant les dernières années par une assurance retrouvée grâce à une amélioration progressive de son économie. Cette performance est le fruit d’un programme de réformes — lancé en coordination avec le Fonds monétaire international — au coeur desquelles se trouve la Vision 2030. Cet assainissement économique et les investissements importants dans le développement urbain et l’économie verte ont relativement bien protégé l’Egypte pendant la pandémie de coronavirus. Ainsi, l’Egypte a réussi en 2020-2021 à atténuer l’impact de la pandémie sur son économie et a été le seul pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) à afficher une croissance positive de 3,6 % du PIB. Malgré la baisse des revenus dans certains secteurs, notamment le tourisme, les agences de notation internationales prévoient que le pays continuera à afficher les taux de croissance les plus élevés de la région MENA en 2021-2024.

L’autre pilier de l’activisme régional de l’Egypte se trouve dans le développement de ses capacités militaires, en vue de faire face aux diverses menaces à ses intérêts nationaux. Un programme ambitieux de diversification des sources d’armement et de réduction de la dépendance vis-à-vis des armes américaines a vu le jour à la suite de la décision des Etats-Unis en octobre 2013 de suspendre la livraison d’armes lourdes à l’Egypte. Cette réorientation a commencé en mars 2014 par la conclusion d’un accord d’achat de 4 corvettes Gowind françaises, suivi en février 2015 par l’importante commande de 24 chasseurs Rafale, puis de deux portehélicoptères Mistral en septembre de la même année. Une nouvelle commande de 30 Rafale a été signée en mai 2021, portant le total à 54 chasseurs, ce qui en fait la deuxième plus grande flotte de Rafale au monde après la France.

Le programme s’est poursuivi avec l’achat d’armement russe. Cela a commencé fin 2015 par la commande de 46 avions de combat MiG-29M2, de 50 hélicoptères d’attaque Ka-52 et de systèmes de missiles antibalistiques Antey-2500. Le Caire a également signé en octobre 2018 un accord de 2 milliards de dollars pour l’acquisition de 24 chasseurs avancés Sukhoi-35, dont la première livraison a eu lieu en février 2021. L’annonce de ce dernier marché d’armes a provoqué l’ire de l’ancienne Administration américaine de Donald Trump qui a menacé Le Caire de sanctions en vertu de la loi « Contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions ».

L’Egypte a justifié sa décision par le refus de Washington de lui vendre, à l’instar d’Israël, des chasseurs avancés F-35, ce qui assure à ce dernier une suprématie aérienne. La nouvelle Administration de Joe Biden a réitéré, dès son entrée en fonction début 2021, les inquiétudes américaines concernant l’achat des chasseurs Sukhoi-35, en vain. La modernisation de l’armée égyptienne a fait de l’Egypte le troisième importateur d’armes au monde en 2016-2020, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).

Sans remettre en cause son alliance stratégique avec les Etats-Unis, qui, certes n’est plus ce qu’elle était depuis l’époque de Barack Obama, l’Egypte est déterminée, dans un environnement régional menaçant, à protéger ses intérêts aux moyens qui lui semblent nécessaires, nonobstant les mises en garde américaines. Mais le renforcement des capacités militaires de l’Egypte est avant tout conçu comme une force de dissuasion, Le Caire évitant soigneusement tout aventurisme militaire. Cette arme de dissuasion a été utilisée le 20 juin 2020 lorsque le président Abdel-Fattah Al-Sissi a menacé d’intervenir militairement en Libye afin de stopper l’avancée des forces du gouvernement de Tripoli, soutenues par la Turquie, vers la région est, frontalière de l’Egypte. La dissuasion est également l’objectif des multiples exercices militaires conjoints menés en Méditerranée et en mer Rouge avec diverses puissances alliées, tels les Etats-Unis, la France, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, la Grèce et Chypre, pour protéger les installations gazières dans le bassin oriental de la Méditerranée et pour sécuriser les voies maritimes en mer Rouge. Les capacités militaires de l’Egypte ont été cependant mises à profit pour assurer la liberté de navigation — menacée par la guerre au Yémen — au détroit de Bab El-Mandeb qui contrôle l’entrée sud du Canal de Suez.

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