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Basculement régional au profit de l’Arabie saoudite

Mardi, 03 septembre 2013

Depuis la destitution de Mohamad Morsi et le renversement du régime des Frères musulmans, le 3 juillet, les principales monarchies du Golfe, sauf le Qatar, se sont empressées de proposer leurs aides financières à l’Egypte, en crise économique aiguë depuis la chute de Moubarak en 2011. Il s’agit de l’Arabie saoudite, chef de file des six pays du Conseil de coopération du Golfe, des Emirats arabes unis et du Koweït. Ces trois pays réunis ont promis à l’Egypte 12 milliards de dollars d’aide multiforme, dont 5 milliards ont été déboursés, répartis entre 6 milliards de dépôts sans intérêts à la Banque Centrale d’Egypte (BCE), 3 milliards de dons et 3 milliards de livraisons de produits pétroliers. Alors que Riyad a accordé 5 milliards, le Koweït a alloué 4 milliards et les Emirats 3 milliards. En conséquence, les réserves en devises étrangères de la BCE, destinées à payer les importations et à soutenir la livre égyptienne, ont immédiatement grimpé de 14,9 milliards de dollars, fin juin, à 18,9 milliards, fin juillet, la valeur la plus haute depuis novembre 2011. Le gouvernement égyptien a, de son côté, présenté à ces riches monarchies une sorte de « plan Marshall » destiné à aider l’économie égyptienne à sortir de sa crise.

L’empressement de ces pays pétroliers à soutenir le régime intérimaire en Egypte est en partie destiné à couper court et à réduire l’effet des menaces de diminution ou d’interruption des aides financières brandies par les Etats-Unis et l’Union européenne au lendemain de la destitution du président islamiste et de la dispersion violente, le 14 août, des sit-in des Frères musulmans. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, a été clair sur cette question, en soulignant que les pays du Golfe compenseraient toute réduction des aides occidentales à l’Egypte. Apportant son soutien diplomatique au Caire, le responsable saoudien a mis en garde les capitales occidentales contre toute pression économique sur l’Egypte. « Nous ne réaliserons rien par les menaces », a-t-il averti.

Le fort soutien politique et financier apporté par l’Arabie saoudite, les Emirats et le Koweït s’explique par leur forte hostilité aux Frères musulmans, au pouvoir en Egypte du 30 juin 2012 au 3 juillet 2013. Le renversement inattendu de leur régime dans le plus important pays arabe était, pour eux, une chance historique à saisir pour éviter leur éventuel retour au pouvoir. Le roi d’Arabie saoudite, Abdallah bin Abdel-Aziz, a été très explicite dans son soutien au nouveau régime égyptien et son hostilité à la confrérie, qualifiant ceux qui s’attaquent à la stabilité de l’Egypte (les Frères) de « haineux » et accusant les manifestants pro-Morsi de « terrorisme, extrémisme et sédition ».

Ces propos offensifs contrastent avec la retenue habituelle de la diplomatie saoudienne, mais démontrent la gravité, réelle ou supposée, de la menace que ressent la famille royale des Saoud vis-à-vis des Frères musulmans. Riyad croit que la confrérie est à l’origine du militantisme islamiste, qui vire parfois au terrorisme, dans l’ensemble du monde arabo-islamique. Ce militantisme menace les régimes autoritaires dans le monde arabe, dont ceux héréditaires de la péninsule arabique. Dans les années 2000, la monarchie saoudienne a dû faire face à une vague d’attentats terroristes menée par Al-Qaëda. Dans les années 1990, elle a réprimé le mouvement Al-Sahwa (renaissance), inspiré par la confrérie en Egypte, qui réclamait des réformes politiques de nature à affaiblir la famille régnante.

Les Emirats arabes unis étaient les plus publiquement virulents vis-à-vis du régime des Frères en Egypte. La violence de leur position s’explique par l’activisme politique de l’association Al-Islah (réforme), inspirée par les Frères musulmans. Galvanisée par le Printemps arabe, Al-Islah demande l’introduction de réformes politiques, dont la création d’un Conseil consultatif semi-élu, dans un pays qui ne dispose pas de Parlement et où les partis politiques sont interdits. 94 membres d’Al-Islah, ainsi que 11 Egyptiens censés appartenir à la confrérie, sont arrêtés par la police émiratie. Ils sont accusés de vouloir renverser le régime en place.

Le plus discret, le Koweït n’en a pas moins apporté un soutien financier substantiel au nouveau régime égyptien. Cette discrétion s’explique par le fait que la mouvance des Frères musulmans représente la principale force d’opposition dans le Parlement de l’émirat. Ses membres sont bien intégrés dans la vie politique et l’appareil d’Etat.

L’Arabie saoudite, aussi bien que les Emirats et le Koweït, avaient donné refuge aux membres de la confrérie qui fuyaient la répression du régime nassérien dans les années 1960. La disgrâce des Frères est intervenue lorsqu’ils ont refusé de condamner l’invasion iraqienne du Koweït en 1990. Une position considérée comme une ingratitude par ces monarchies, qui étaient également alarmées par l’activisme régional de la confrérie et sa volonté de s’étendre, via des partisans locaux, en dehors des frontières de l’Egypte, posant des menaces pour leurs régimes politiques.

L’intérêt des trois pays du Golfe est d’éviter à tout prix le retour des Frères musulmans au pouvoir en Egypte, d’où leur soutien indéfectible à l’actuelle campagne de répression de la confrérie. L’échec de l’expérience de la confrérie au pouvoir en Egypte est ainsi très positivement vu par ces monarchies, car il signifie que son modèle d’islam politique aura extrêmement du mal à relever la tête et à s’exporter dans leurs pays.

La chute des Frères devra également changer la donne régionale en faveur de l’Arabie saoudite. Celle-ci avait pris ombrage de l’accession des Frères au pouvoir en Egypte, au profit du Qatar, principal soutien de ces derniers dans le monde arabe et rival de Riyad, et de la Turquie, premier allié de la confrérie au Moyen-Orient. Aujourd’hui, c’est un retournement de situation qui se met en place, au grand dam de Doha et d’Ankara.

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