L’Egypte et la turquie ont tenu, les 7 et 8 septembre à Ankara, leur deuxième cycle de négociations « exploratoires » de haut niveau, dans le but de trouver les moyens de résoudre leurs différends. Au terme des pourparlers, les deux parties ont convenu de poursuivre leurs discussions, affirmant la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour faciliter la normalisation de leurs relations. Ce dernier round de négociations est intervenu quatre mois après le premier tenu au Caire les 5 et 6 mai, sans produire de percée.
La Turquie avait déjà pris quelques mesures pour répondre aux griefs du Caire concernant le soutien qu’elle apporte aux Frères musulmans qui ont trouvé refuge sur son sol. L’Egypte juge cependant que ces mesures sont insuffisantes à prouver les bonnes intentions d’Ankara. Celui-ci a réduit au silence les critiques adressées au régime égyptien par les chaînes satellites proches de la confrérie qui diffusaient à partir d’Istanbul. Mais Le Caire exige également l’extradition des membres des Frères musulmans accusés de terrorisme en Egypte. La Turquie serait-elle en passe d’accéder à la demande égyptienne ? Selon la chaîne saoudienne Al-Arabiya, Ankara a empêché récemment de quitter le pays deux membres de la confrérie, Yéhia Moussa et Alaa Al-Samahi, accusés par les autorités égyptiennes d’avoir organisé l’assassinat de l’ancien procureur général Hicham Barakat en 2015.
Les questions régionales qui opposent les deux capitales pourraient s’avérer particulièrement difficiles à résoudre, à commencer par celle de la Libye. Le Caire estime que l’activité de la Turquie dans ce pays, qui comprend l’envoi de nombreux mercenaires étrangers et une présence militaire directe, va au-delà d’une tentative de contrôler les ressources énergétiques du voisin direct de l’Egypte et dépasse la place de l’islam politique dans le régime libyen et la menace sécuritaire réelle qu’il fait peser sur les frontières occidentales de l’Egypte. Pour lui, l’enjeu porte sur tout ce que cela représente au niveau de la vision de la Turquie de son rôle régional. Ce que l’Egypte interprète comme traduisant des visées hégémoniques inadmissibles. L’insistance de la Turquie à garder une présence militaire en Libye est considérée par Le Caire comme une preuve de la prévarication d’Ankara, source de profonde méfiance alimentée par de politiques régionales opposées et hostiles depuis 2013.
L’effort visant à parvenir à un compromis sur le conflit libyen se complique par son enchevêtrement avec la rivalité autour des frontières maritimes et des ressources gazières en Méditerranée orientale, impliquant l’Egypte, la Grèce, Chypre, d’un côté, la Turquie, de l’autre. Conséquence directe : l’Egypte consolide son alliance avec la Grèce et Chypre. Le 6 avril, les trois pays ont conclu à Athènes un accord de coopération militaire portant sur le renforcement de l’interopérabilité entre leurs forces armées à travers la multiplication d’exercices conjoints et d’activités de formation. L’accord codifie une coopération militaire déjà étroite entre les trois Etats, matérialisée par une série de manoeuvres conjointes. Cette coordination croissante vise à freiner les violations turques des eaux territoriales chypriotes et grecques. Ankara a provoqué la colère d’Athènes et de Nicosie à plusieurs reprises ces dernières années en envoyant ses navires de prospection sismique dans des zones contestées avec les deux capitales. A ce titre, la Turquie a qualifié l’accord de démarcation maritime d’août 2020 entre l’Egypte et la Grèce de « nul et non avenu » et a refusé de reconnaître un accord similaire signé avec Chypre en 2003.
Face à cette contestation turque, la Grèce a travaillé intensément à l’élargissement de sa coopération militaire avec les puissances méditerranéennes et du Moyen-Orient, dont l’Egypte, dans une course pour moderniser ses forces armées et faire face à son voisin militairement affirmé, la Turquie. L’Egypte, de son côté, renforce sa puissance navale depuis plusieurs années pour protéger ses intérêts économiques en Méditerranée et pour repousser les violations potentielles de la part de la Turquie. Elle a acheté à cet effet une large gamme d’unités navales, y compris des sous-marins, des frégates, des corvettes, des vedettes rapides et des porte-hélicoptères de plusieurs pays, dont la France.
L’offensive de charme de la Turquie en direction de l’Egypte vise dans un sens à saper son alliance avec la Grèce et Chypre. Mais il est peu probable que Le Caire sacrifie son alliance avec ces dernières au profit d’une Turquie dont il soupçonne les véritables intentions. Le 4 septembre, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a réitéré lors de sa rencontre au Caire avec son homologue chypriote, Nicos Anastasiades, que l’Egypte se tenait fermement derrière Chypre et contre les pratiques qui peuvent compromettre sa souveraineté, en référence à la Turquie. Les deux dirigeants ont, à l’occasion, réaffirmé leur détermination à renforcer la coopération militaire trilatérale avec la Grèce.
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