Le conflit au Yémen serait-il sur la voie de règlement ? L’Arabie saoudite, qui mène depuis 2015 une coalition militaire contre la rébellion houthie, a présenté le 22 mars un plan de paix qui propose un cessez-le-feu sous la supervision des Nations-Unies, la reprise de liaisons aériennes et maritimes, en particulier la réouverture de l’aéroport de la capitale Sanaa et du port de Hodeidah, tous deux sous le contrôle des Houthis soutenus par l’Iran. Hodeidah, sur la mer Rouge, est d’une importance capitale, car il sert de point d’entrée à l’aide humanitaire et à environ 70 % des importations commerciales, notamment les produits alimentaires, les médicaments et le carburant. Ces mesures d’établissement de confiance proposées par Riyad devraient paver la voie à l’ouverture de négociations politiques entre le gouvernement yéménite et la rébellion.
L’initiative saoudienne s’explique en partie par les pressions exercées par les Etats-Unis pour que le Royaume mette fin à son intervention militaire au Yémen, en raison de la situation humanitaire catastrophique provoquée par le conflit. Dès son investiture, le président Joe Biden a martelé que « la guerre au Yémen doit prendre fin ». Il a par conséquent arrêté la fourniture à l’Arabie saoudite d’armes liées à la guerre au Yémen, notamment les munitions à guidage de précision, a cessé toute participation américaine à des opérations militaires offensives et a nommé le sous-secrétaire d’Etat adjoint, Tim Lenderking, comme envoyé au Yémen chargé de relancer les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre.
L’opposition américaine à l’intervention saoudienne remonte à l’époque de l’ancien président Donald Trump, lorsque le Congrès avait voté une résolution en 2019 réclamant la fin de l’aide militaire à l’offensive saoudienne et de l’implication des Etats-Unis au Yémen. Les législateurs qui ont soutenu la résolution ont critiqué Riyad pour une série de bombardements qui ont causé la mort de milliers de civils au Yémen. Mais Trump a mis son veto à la résolution, estimant qu’elle était « inutile » et mettait en danger « la vie des citoyens américains et des braves militaires ».
Cependant, les pressions américaines n’expliquent pas tout. L’Arabie saoudite a ses propres raisons pour chercher une sortie honorable du conflit qui dure depuis plus de six ans. Il y a d’abord l’énorme coût financier de son intervention militaire dans un contexte de ralentissement économique mondial — dû à la pandémie de Covid-19 — qui s’est répercuté sur les cours du pétrole, sa principale source de revenu. Il y a ensuite le coût humanitaire de la guerre qui a eu son impact sur l’image de marque du Royaume. L’Onu a qualifié la situation au Yémen de la crise humanitaire la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale et signalé que 80 % de la population dépendent de l’aide humanitaire internationale. Pour ces raisons, l’Arabie saoudite tente depuis plus d’un an de sortir de la guerre, mais veut d’abord des garanties du mouvement armé des Houthis sur la sécurité de ses frontières sud et sur l’endiguement de l’influence de son rival régional, l’Iran, au Yémen.
La réaction de la rébellion houthie à l’initiative saoudienne était cependant négative. Elle l’a rejetée car elle n’incluait pas une levée totale du blocus des ports et des aéroports imposé par la coalition dirigée par Riyad. La raison avancée par les Houthis cache toutefois mal leur volonté d’élargir leurs gains militaires sur le terrain en vue de se placer dans une position de force avant de s’engager dans des négociations de paix. Ils étaient encouragés dans ce sens par la décision de l’Administration Biden de ne pas soutenir l’intervention militaire saoudienne et par son abrogation de la décision de Trump de placer la rébellion yéménite sur la liste des organisations terroristes. Les démocrates au Congrès réclamaient depuis des années la fin du soutien américain à l’intervention saoudienne au Yémen, invoquant des frappes aériennes utilisant des bombes américaines qui ont infligé de lourdes pertes aux civils. Mais augmenter la pression sur Riyad tout en réduisant celle exercée sur les Houthis a créé un déséquilibre politique que la rébellion s’est empressée d’exploiter.
C’est ainsi que les Houthis mènent depuis février une offensive militaire visant à s’emparer de la ville de Marib, située à 120 kilomètres à l’est de la capitale et dont la région est riche en pétrole. La ville, essentielle pour l’approvisionnement énergétique du pays, est le dernier bastion du gouvernement du président Abd-Rabbo Mansour Hadi dans le nord du pays dominé par la rébellion. La bataille de Marib déterminera probablement les contours de tout règlement politique futur, car si elle est saisie par les Houthis, ceux-ci peuvent faire valoir cet avantage militaire dans d’éventuelles négociations de paix. Leur contrôle de la ville pourrait même les encourager à élargir leurs gains sur le terrain en avançant vers le sud, sous contrôle du gouvernement.
Forts du soutien militaire de l’Iran, les rebelles houthis ont intensifié leurs attaques sur l’Arabie saoudite au cours de février et mars, utilisant des drones et des missiles balistiques et de croisière de plus en plus sophistiqués. Selon un haut responsable militaire américain, les Houthis ont lancé plus de 40 drones et missiles sur l’Arabie saoudite rien qu’en février. Mais contrairement à une attaque dévastatrice de drones et de missiles de croisière en septembre 2019, qui a détruit deux sites pétroliers importants, l’Arabie saoudite a réussi à en intercepter et abattre de nombreux ces deux derniers mois, grâce au soutien américain. Face à la menace croissante des Houthis, l’armée américaine a intensifié son assistance à Riyad, partageant des renseignements pour l’aider à repérer et intercepter les drones chargés d’explosifs et les missiles balistiques et de croisière. Après l’attaque de septembre 2019 qui a perturbé plus de la moitié de la production pétrolière du Royaume, les Etats-Unis ont fourni à l’Arabie saoudite des batteries de deux systèmes de défense anti-missile, Patriot et THAAD, pour l’aider à repousser la menace des Houthis.
L’ampleur et la portée des attaques des Houthis illustrent la progression des rebelles en tant que force de combat depuis le début de l’intervention saoudienne au Yémen en mars 2015, et montrent à quel point ils ont bénéficié des armes et de la formation iraniennes. Des membres du Hezbollah libanais soutenu par Téhéran ont également contribué à l’effort. Un rapport des Nations-Unies publié en janvier a révélé l’existence de plus en plus d’indications sur la fourniture par l’Iran d’armes et de composants d’armes aux rebelles via des itinéraires de contrebande en mer. Des rapports antérieurs de l’Onu ont également révélé que les missiles balistiques tirés par les Houthis étaient de fabrication iranienne et que les drones utilisés par la rébellion, fabriqués dans des usines locales, étaient presque identiques en termes de conception et de capacité à ceux produits par la République islamique.
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