Dès son entrée en fonction, le président Joe Biden a signalé que le Moyen-Orient ne serait pas une priorité de sa politique étrangère. Dans une note d’orientation stratégique publiée au début de mars, l’Administration américaine a indiqué que les Etats-Unis « ne devraient pas et ne s’engageraient pas » dans des « guerres éternelles » et réduiraient la présence de leurs troupes au Moyen-Orient. Biden est ainsi le troisième président américain consécutif après Barack Obama et Donald Trump à vouloir déclasser le Moyen-Orient dans l’échelle des priorités de sa politique étrangère au profit d’autres régions, en tête desquelles l’Asie du Sud-est, et plus particulièrement la Chine, qui pose la menace la plus sérieuse à la suprématie américaine dans le monde.
Le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a été clair sur les intentions de Washington en indiquant, après avoir été confirmé dans ses fonctions par le Congrès, que les trois régions prioritaires de la politique étrangère de l’Administration Biden sont l’Asie-Pacifique, l’Europe occidentale puis l’hémisphère occidental, englobant les Amériques du Nord et du Sud. Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a, de son côté, signalé que le Moyen-Orient ne faisait pas partie de ses priorités lorsqu’il a nommé 3 conseillers spéciaux pour des questions-clés qui sont la Chine, le Covid-19 et le climat. Son adjointe, Kathleen Hicks, et sa cheffe de cabinet, Kelly Magsamen, sont toutes deux des expertes renommées de la Chine. Il a récemment lancé un examen des déploiements de troupes américaines dans le monde qui devrait aboutir à la révision de la présence militaire américaine dans la région du Golfe. Autre indice de cette réorientation stratégique américaine, le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a réduit les effectifs de l’équipe chargée du Moyen-Orient et a renforcé celle qui coordonne la politique américaine dans la région d’Asie-Pacifique.
La volonté de réorienter l’énergie et les ressources des Etats-Unis hors du Moyen-Orient reflète ce que les responsables américains ont décrit comme un effort délibéré pour donner la priorité à ce qu’ils considèrent comme des questions mondiales plus urgentes. L’objectif de Washington au Moyen-Orient serait de limiter les dégâts causés aux intérêts américains tout en limitant l’investissement en temps et en ressources consentis par les Etats-Unis. Cette approche a été poursuivie par les prédécesseurs immédiats de Biden, avec un bilan mitigé. Et en son coeur, il y a le sentiment d’exaspération que les Etats-Unis se trouvent souvent embourbés dans des conflits inextricables et sans fin, comme c’est le cas avec le conflit israélo-palestinien ou, plus récemment, avec la tension entre l’Iran et les pays du Golfe.
A l’instar de ses deux prédécesseurs, Biden fait valoir que Washington devrait détourner l’attention du Moyen-Orient, parce que l’avenir de la politique mondiale sera décidé ailleurs, en particulier dans la région d’Asie-Pacifique. L’équipe de Biden souligne l’urgence de cette réorientation stratégique. Elle avance à l’appui qu’en 2011, le « pivot » asiatique d’Obama a abordé la perspective sérieuse, mais encore quelque peu lointaine d’une Chine menaçante. En 2021, les responsables américains estiment que la menace que représente la Chine à la suprématie américaine est devenue une affaire urgente et que l’issue de la rivalité américano-chinoise pourrait se décider au cours de la prochaine décennie.
Depuis le premier mandat d’Obama (2009-2012), l’urgence perçue par les administrations successives de la nécessité d’un désengagement américain du Moyen-Orient a augmenté parallèlement à la montée des menaces ressenties sur d’autres scènes de l’ordre mondial. Sous Obama, Trump et maintenant Biden, cependant, les réalités régionales ont obstinément contrarié la stratégie mondiale des Etats-Unis. Ainsi, les développements de ces dernières semaines ont montré que le Moyen-Orient reste la région où les troupes et les intérêts américains sont les plus menacés. Par conséquent, il n’était pas surprenant que la première opération militaire de la nouvelle Administration ait ciblé des combattants soutenus par l’Iran en Syrie le 25 février.
Aujourd’hui, l’Administration de Biden cherche à stabiliser le Moyen-Orient à moindre coût, afin de pouvoir se concentrer sur le défi chinois. Mais parviendra-t-elle à le faire tout en préservant les intérêts américains au Moyen-Orient ? Tout porte à croire que la région continuera à drainer l’attention des Etats-Unis bien plus qu’ils ne le souhaitent. A commencer par la volonté américaine de ramener l’Iran à la table de négociation, afin de parvenir à un accord sur ses programmes nucléaires et de missiles balistiques, ainsi que sur sa politique régionale. Des tâches qui s’annoncent longues, ardues et sans garantie de succès, d’autant plus que Téhéran mène actuellement sa propre campagne de pression à travers des attaques par procuration contre des bases américaines en Iraq et des avancées progressives dans son programme nucléaire.
L’influence grandissante de la Chine en République islamique risque aussi de compliquer les efforts américains. Pékin a, en effet, noué ces dernières années un partenariat avec Téhéran, qui s’est renforcé sous l’Administration Trump. Il a fait d’énormes achats de pétrole iranien en violation des sanctions américaines, investi dans des projets d’infrastructure et vendu des équipements essentiels à Téhéran. Une faction radicale pro-Chine et pro-Russie, le second rival stratégique des Etats-Unis, a gagné en importance en Iran, propulsée par la politique de « pression maximale » de Trump visant à asphyxier l’économie iranienne. Avec l’élection présidentielle iranienne prévue le 18 juin prochain, une victoire probable de cette aile dure pourrait signifier la fin de toute négociation sur un accord avec l’Iran et un nouveau virage vers la Chine et la Russie.
Un désengagement relatif du Moyen-Orient, comme l’Administration Biden le souhaite, ne serait pas non plus aisé en raison de l’influence grandissante de la Russie dans la région. Cette présence, notamment en Syrie et en Iran, a compliqué les tentatives des Etats-Unis de se détacher de l’Iraq et de la Syrie. De même, le rapprochement entre la Turquie membre de l’Otan et la Russie, matérialisé, entre autres, par l’achat du système avancé de défense aérienne russe S-400, a provoqué une forte tension entre Washington et Ankara, qui s’est soldée par l’exclusion de la Turquie en juillet 2019 du programme de production du fleuron des chasseurs américains F-35. L’action unilatérale de la Turquie contre les Kurdes d’Iraq et de Syrie, protégée des Etats-Unis, complique davantage la stratégie de sortie de Washington du Moyen-Orient.
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