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La montée en puissance du Golfe

Sunday 24 janv. 2021

Les révoltes populaires arabes de 2011 ont constitué un tournant dans l’histoire contemporaine du monde arabe et du Moyen-Orient. Elles ont provoqué des bouleversements à long terme : chute brutale de régimes, déclenchement de guerres civiles, instabilité politique et sécuri­taire, réalignements régionaux, etc. Elles ont également engendré de nouveaux rapports de force et des changements dans la structure de puissance et de leadership dans la région du Golfe : l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis (EAU) et le Qatar. Ceux-ci, relativement épargnés par les troubles post-2011, se sont vu propulser sur le devant de la scène et ont joué un rôle plus important.

Premiers acteurs concernés, l’Arabie saou­dite et les EAU ont formé un couple soudé par une vision commune des affaires de la région. Ils se sont servis de leur puissance financière, mais aussi militaire, pour contrer les menaces qu’ils percevaient à leur sécurité et leurs inté­rêts. Ces menaces provenaient de l’élargisse­ment de l’influence régionale de l’Iran et de la montée en puissance de la mouvance isla­miste, notamment celle se réclamant des Frères musulmans, soutenue par le Qatar et la Turquie. Le duo saoudo-émirati cherchait dans le contexte des révoltes arabes de 2011 d’orienter l’évolution des événements et de projeter une influence politique au-delà de la région du Golfe.

L’affirmation du rôle de ces deux acteurs dans l’après-« Printemps arabe » n’aurait été possible, du moins de la façon dont elle s’est manifestée, sans le désengagement relatif des Etats-Unis des affaires du monde arabe et du Moyen-Orient observé depuis la présidence de Barack Obama (2009-2016). Ce retrait relatif, perpétué par le président Donald Trump (2017-2021), a créé un vide qui a été rempli par ces acteurs ambitieux. Il a été perçu par les principales capitales du Golfe, sauf à Doha, comme un abandon par Washington de ses responsabilités dans le monde arabe et au Moyen-Orient et un renon­cement à son rôle régional traditionnel, en Syrie comme à Bahreïn et au Yémen, au profit de l’Iran.

Aussi bien l’Arabie saoudite que les EAU croient que la République islamique cherche à saper leur système monarchique. Cette conviction, couplée au retrait américain, a poussé Riyad et Abu-Dhabi à reformuler leurs rôles dans la région dans un sens plus actif. Dans cette optique, ils n’ont pas hésité à inter­venir militairement pour aider Bahreïn à mater la rébellion chiite qui s’est déclenchée dans la foulée du Printemps arabe en mars 2011. Riyad, Abu-Dhabi et Manama y voyaient la main de Téhéran. Cependant, l’il­lustration la plus marquée de cet activisme régional du tandem saoudo-émirati a été son intervention militaire au Yémen à partir de mars 2015 contre la rébellion houthie, soute­nue par l’Iran.

La montée en puissance du Golfe
Les pays du Golfe ont été marqués par le litige avec le Qatar.

L’élargissement du rôle régional des EAU se faisait principalement, mais pas exclusive­ment, en s’alignant sur la politique étrangère de l’Arabie saoudite. Cet alignement sur des questions régionales essentielles constituait depuis 2011 un élément central de la vision stratégique émiratie. C’est ainsi que l’axe central du pouvoir au sein de la région du Golfe s’articulait autour de Riyad et d’Abu-Dhabi. Ce partenariat a été particulièrement visible non seulement contre l’immixtion iranienne au Yémen et à Bahreïn, mais aussi à l’encontre du Qatar, un rival dans la région du Golfe. Il s’est matérialisé par l’imposition en juin 2017 d’un embargo contre le petit émirat en raison de son soutien aux forma­tions islamistes, notamment les Frères musul­mans.

Depuis le Printemps arabe, le Qatar a noué des liens et soutenu un assortiment d’isla­mistes, comprenant les différentes branches des Frères musulmans en Egypte, en Tunisie, au Soudan et en Turquie, ainsi que le Hamas dans la bande de Gaza, les djihadistes en Syrie et en Libye et les Talibans en Afghanistan. Doha voyait en particulier dans la formation d’une alliance avec la confrérie, grâce notamment à la diplomatie du carnet de chèques, un moyen de créer une base régio­nale à une influence accrue au Moyen-Orient et au-delà. Ce réseau de rapports hétéro­clites — auquel s’ajoutent des relations cor­diales avec Téhéran — a provoqué le cour­roux de ses voisins à Riyad et Abu-Dhabi.

L’action ambitieuse du richissime émirat gazier ne date pas du Printemps arabe. Depuis l’arrivée au pouvoir en 1995 de l’émir Hamad Al Thani, père de l’émir actuel Tamim, le Qatar a adopté une politique étrangère aty­pique, à l’opposé de celle alignée sur l’Arabie saoudite suivie depuis son indépendance en 1971. Il a progressivement accueilli toute une gamme de dissidents du monde arabe et musulman qui sont devenus des intermé­diaires pour les ambitions plus larges de Doha. L’avènement du Printemps arabe lui a donné une occasion historique pour gagner des points face à des concurrents comme l’Arabie saoudite et les EAU.

Dans sa quête d’influence régionale, le Qatar s’est appuyé, outre sa puissance finan­cière, sur la chaîne d’information continue Al-Jazeera, créée en 1996, mais aussi sur la protection américaine. Après la fin de la pre­mière guerre du Golfe en 1991, Doha et Washington ont conclu un accord de coopé­ration en matière de défense. A partir de 2001, le Qatar est devenu le siège du com­mandement central américain, dans la base d’Al-Oudeid qui a joué un rôle-clé dans l’in­vasion de l’Iraq en 2003 et la guerre aérienne contre l’Etat islamique en Syrie et en Iraq à partir de 2014. Ce statut a fourni à Doha un parapluie de sécurité contre toute menace extérieure.

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