L’arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis (EAU), Bahreïn et l’Egypte ont convenu le 5 janvier de rétablir pleinement leurs relations avec le Qatar, après plusieurs mois de pression soutenue de l’Administration de Donald Trump pour que ces pays s’unissent et forment un front arabe commun contre l’Iran. La veille, Riyad a rouvert son espace aérien et ses frontières terrestres et maritimes avec le Qatar dont la seule frontière terrestre est avec son grand voisin saoudien. L’ouverture de l’espace aérien saoudien épargne aux avions qatari des coûts supplémentaires dus à de longs détours consommateurs de carburant.
Alors que les termes de l’accord de normalisation n’ont pas été rendus publics, un haut responsable de l’Administration américaine a déclaré à Reuters que les pays du Golfe et l’Egypte avaient décidé de mettre fin au blocus qu’ils imposent au Qatar en échange de l’arrêt des poursuites judiciaires intentées par l’émirat. Une source basée dans le Golfe et proche des négociations a, de son côté, indiqué que les parties prenantes se sont entendues sur la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Des diplomates basés à Doha ont, pour leur part, cité un haut responsable qatari expliquant que l’accord final avait été « convenu en principe » mais avait « une portée limitée ».
Riyad, Abu-Dhabi, Manama et Le Caire avaient fermé en juin 2017 leur espace terrestre, maritime et aérien au Qatar, accusant l’émirat de s’ingérer dans leurs affaires intérieures, de financer et soutenir des groupes islamistes, notamment les Frères musulmans, et d’être trop proche de Téhéran. Pour lever le blocus, le quartette a soumis une liste de 13 demandes, notamment l’arrêt de soutien aux formations islamistes, la fermeture de la chaîne d’information Al-Jazeera, la fin de la présence militaire turque au Qatar et la rétrogradation des relations avec l’Iran.
La normalisation acquiert une importance particulière étant donné le changement imminent de pouvoir aux Etats-Unis. Alors que le président Donald Trump a mené une offensive de pression maximale pour affaiblir l’Iran par le biais de sanctions, le président élu Joe Biden a promis un nouveau départ avec la République islamique si elle revient aux termes de l’accord de 2005 sur son programme nucléaire. L’Arabie saoudite, en première ligne des menaces posées par l’Iran, a souligné par la voix de son prince héritier Mohamad bin Salman, lors du Sommet du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) à Al-Ula (nord-ouest du royaume), que les dirigeants du Golfe devaient unifier leurs efforts pour « faire face aux défis qui nous entourent, en particulier les défis représentés par les programmes nucléaires et les missiles balistiques de l’Iran ». Dans cette optique, Riyad souhaitait isoler ce dernier en éloignant Doha de Téhéran. Le Qatar, après l’imposition des sanctions, s’était de plus en plus tourné vers l’Iran et la Turquie — un autre rival régional de l’Arabie saoudite et des EAU — pour obtenir leur soutien, comptant sur l’espace aérien iranien pour les survols. Cette évolution a décontenancé Riyad et Washington, qui cherchaient à contenir l’influence régionale de Téhéran.

Les dirigeants du Golfe avant l'ouverture de leur sommet.
Riyad était également particulièrement pressé de régler son litige avec Doha avant que ce qu’il perçoit comme une Administration américaine moins amicale n'entre en fonction le 20 janvier. Biden a promis un « examen stratégique » des relations américano-saoudiennes, y compris une interruption du soutien militaire américain à l’intervention saoudienne dans la guerre civile au Yémen.
Sur un autre plan, l’intention de Biden de relancer l’accord nucléaire avec Téhéran entraînerait la reprise des exportations du pétrole iranien, compliquant la tâche de gestion du marché mondial de brut par le groupe Opep +, où l’Arabie saoudite joue, avec la Russie, le rôle de leader.
La normalisation des relations entre le Qatar et ses voisins devrait bénéficier au plan économique à l’ensemble des pays du Golfe qui souffrent de déficits budgétaires importants en raison des implications de la pandémie du coronavirus et de la baisse des prix du pétrole l’année dernière. Elle devrait aussi, au niveau politique, aider à relancer leur groupement régional, le CCG, qui a été paralysé par la crise.
Le Qatar sera cependant le premier bénéficiaire. Révisant à la hausse son estimation de croissance de 2,1 % de l’économie qatari en 2021, la banque britannique Standard Chartered prévoit que l’émirat connaîtra une croissance de 3 % en raison du règlement de la crise qui aidera à la relance de ses secteurs du commerce, du tourisme et de la logistique. La normalisation est surtout une bonne nouvelle pour Qatar Airways, qui a dû abandonner ses projets d’ajout de nouvelles destinations et effectuer de longs détours coûteux à cause de l’interdiction de l’espace aérien saoudien.
Le Qatar était également obligé de modifier ses partenaires commerciaux. Les marchandises en provenance des EAU et de l’Arabie saoudite, qui figuraient parmi les principales sources d’importation, ont été remplacées par d’autres pays comme l’Inde, la Turquie et Oman. Il est cependant peu probable que la détente actuelle rétablisse bientôt les anciennes relations commerciales, car les problèmes fondamentaux, qui ont conduit au différend, n’ont été que partiellement résolus et le déficit de confiance entre les dirigeants du Golfe ne devrait être rétabli rapidement. L’accord du 5 janvier est le début d’un processus de réconciliation plutôt qu’un point final ou un retour à un statu quo d’avant 2017.
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