Grâce à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu le 23 octobre, les parties en conflit en Libye ont procédé à une série de mesures de rétablissement de confiance visant à ouvrir la voie à un règlement politique. Ainsi, un Forum de dialogue politique a été organisé par les Nations-Unies le 26 octobre, réunissant 75 représentants des différentes factions qui ont entamé des pourparlers sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, dont la mission est d’organiser d’élections nationales dans un délai de trois mois. Le forum vise également à définir une vision politique future pour le pays. Le 1er novembre, la Commission militaire mixte (5+ 5) composée de représentants des deux camps rivaux, l’Armée Nationale Libyenne (ANL) basée à l’est et le Gouvernement d’union nationale (GNA) siégeant à Tripoli, s’est réunie pour la première fois depuis des années dans une ville libyenne, Ghadamès, frontalière de la Tunisie et l’Algérie, pour discuter des moyens de consolider leur accord de cessez-le-feu. Celui-ci a prévu plusieurs mesures visant à améliorer la situation sur le terrain, dont un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration des combattants et un plan de rétablissement des liaisons de transport à travers le pays. L’accord a également mis en place un calendrier de départ des forces étrangères dans les trois mois.
Quelques jours avant la conclusion de l’accord de cessez-le-feu, la compagnie pétrolière nationale a annoncé la reprise de la production dans le plus grand champ pétrolier du pays, Sharara (sud-ouest). L’annonce est intervenue trois semaines après que l’ANL dirigée par le général Khalifa Haftar a annoncé la fin du blocus des gisements pétroliers vitaux. Cette percée a été rendue possible grâce à l’initiative d’Ahmad Matiq, vice-premier ministre du gouvernement rival de Tripoli, de créer un nouveau mécanisme pour répartir plus équitablement les revenus de l’exportation pétrolière de la Libye.
Cet emballement tant au niveau militaire que politique et économique risque toutefois de se heurter à des défis majeurs. Le premier se situe au niveau local où il existe des doutes sur le respect par certaines milices des conditions de base du volet sécuritaire. Le GNA et l’ANL n’ont pas un contrôle total sur leurs forces qui sont un patchwork de groupes armés. Ceux-ci ont principalement des identités locales, régionales et tribales dans leur origine, leur patronage et leur loyauté, même si chacun d’entre eux s’identifie au GNA ou à l’ANL. L’autonomie relative de ces groupes signifie qu’il sera difficile pour le GNA et l’ANL de s’assurer qu’ils respectent durablement le cessez-le-feu et ne le rompent pas s’ils estiment que leurs intérêts sont menacés. Malgré l’existence de ce risque, aucun mécanisme de coercition n’a été jusqu’ici envisagé contre les parties qui saperaient l’accord de cessation des hostilités.
Au-delà du volet sécuritaire, le dialogue interlibyen a rencontré des obstacles d’ordre politique et idéologique qui risquent de compromettre sa mission. Certains chefs tribaux ont ainsi remis en question la représentativité de la liste des 75 personnalités invitées par la Mission de l’Onu en Libye. De plus, certains d’entre eux ont posé des questions sur l’affiliation des participants, affirmant qu’une majorité s’identifiait à des groupes islamistes comme les Frères musulmans.
Le second défi à la réussite de la réconciliation interlibyenne porte sur le rôle des puissances étrangères qui soutiennent l’un ou l’autre des deux camps rivaux. Le format actuel des négociations interlibyennes sur le volet sécuritaire ne prend pas suffisamment en compte leur présence sur le terrain. Il suppose à tort que le GNA et l’ANL exercent un contrôle sur les militaires et les mercenaires étrangers opérant dans leur zone d’influence. La transformation de l’offensive de l’ANL contre Tripoli d’une guerre éclair à une guerre de seize mois n’était point l’oeuvre exclusive de Haftar. Le retrait de ses forces n’était pas non plus un processus négocié par lui, mais plutôt le produit d’un exercice géopolitique qui excluait les deux parties libyennes en conflit. Il était le fruit de pourparlers secrets turco-russes qui ont finalement conduit au retrait des mercenaires russes du groupe Wagner — qui soutiennent l’ANL — vers la ville stratégique de Syrte et le centre de la Libye, induisant l’abandon précipité de l’ANL de ses positions et la perte de sa principale base avancée à l’ouest, Al-Watiya, qui a été immédiatement saisie et transformée en une base militaire pour les troupes turques qui soutiennent le GNA.
L’importance stratégique des installations militaires et des villes dans lesquelles la Turquie et le groupe Wagner, proche du Kremlin, maintiennent une présence fait voler en éclats l’idée que les deux camps rivaux libyens puissent exercer un contrôle sur leurs alliés étrangers. A titre d’exemple, Ankara renforce les structures de sa base militaire d’Al-Watiya qui est l’une des plus grandes bases aériennes de Libye, stratégiquement située à quelques centaines de kilomètres au sud de Tripoli et à la frontière avec la Tunisie voisine. A en juger par l’ampleur de l’équipement militaire, de la main-d’oeuvre et des capitaux injectés dans cette base par la Turquie, la présence de celle-ci ne semble pas temporaire, mais plutôt de long terme. Les Russes ne sont pas en reste puisqu’ils renforcent leur présence à la base militaire stratégique de Jufra, à quelques centaines de kilomètres au sud de Syrte .
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