Attribués par des monarchies pétrolières, par des associations culturelles ou par des mécènes, les prix littéraires et artistiques prolifèrent dans le monde arabe. En soi, c’est un phénomène positif dans la mesure où il favorise la créativité et la production intellectuelle, et où il aide à améliorer la qualité des travaux théoriques et appliqués dans les domaines des sciences sociales, de la philosophie, de la sociologie, de la poésie, du roman, de la critique ainsi que dans les domaines des beaux-arts, comme la peinture, la sculpture ou l’architecture. Le phénomène a eu des débuts prometteurs, avant de connaître une régression, notamment au niveau de la valeur symbolique de la plupart de ces prix, malgré leur montant très élevé. Parfois, les oeuvres récompensées ne sont pas les plus créatives. Ces mauvais choix sont dus à l’absence de critères techniques et critiques selon lesquels une oeuvre est exclue, une autre figure sur la liste préliminaire, une troisième est récompensée. Toutes ces étapes se font sans la moindre justification. Il y a aussi cette rotation devenue d’usage et qui consiste à permettre aux candidats issus de chaque pays arabe d’avoir leur quota de prix, de peur de donner l’impression que la compétition se limite à un cercle restreint de pays. Ceci est surtout vrai pour les prix littéraires. Soucieux de faire le tour des nationalités des candidats, les jurys se sentent obligés de décerner les prix indépendamment du niveau des oeuvres présentées.
Par ailleurs, le montant élevé des prix a encouragé certains écrivains et romanciers à s’intéresser à la quantité de leur production aux dépens de la qualité et de la créativité. Beaucoup de critiques ont exprimé leur mécontentement face à ces « bulles littéraires » qui ne concernent pas une certaine génération d’écrivains seulement. Autre bizarrerie: certains éditeurs font signer des contrats aux écrivains prévoyant un partage ou un pourcentage du montant d’éventuels prix. D’où le manque d’intérêt de certains grands intellectuels à l’égard de ce genre de prix, y compris ceux décernés par l’Etat. Malgré leurs contributions à la vie littéraire et intellectuelle, ils s’abstiennent de se porter candidats à ces prix qui n’obéissent à aucun critère objectif dans le processus de choix des oeuvres admises et des lauréats. La détérioration du niveau des oeuvres récompensées dans certains domaines donne lieu souvent à des querelles sur les pages des journaux et dans les cercles intellectuels arabes.
Si ces prix sont destinés à récompenser ceux qui ont une contribution distinguée dans la vie culturelle au sein de leur propre pays ou au niveau du monde arabe, pourquoi les jurys se sentent-ils obligés de les décerner quand les oeuvres proposées, par les candidats eux-mêmes ou par une tierce partie, n’ont pas le niveau et ne représentent aucun apport ?
Notons que la plupart des candidats proposés par des institutions académiques ont le profil classique du bureaucrate ayant cumulé les diplômes, les magistères et les doctorats.
Dans un tel contexte, il serait important de préciser les institutions qui ont le droit de proposer des candidats, et de définir les critères selon lesquels ces derniers sont choisis, et leurs oeuvres sont récompensées. Il serait tout aussi important de donner aux jurys le droit de ne pas décerner de prix au cas où aucun des candidats ne répondrait aux critères prédéfinis. Ceci est susceptible de conférer un certain respect aux prix qui portent le nom de l’Egypte. Seuls ceux qui ont un apport distingué dans l’évolution de la culture égyptienne et arabe peuvent y aspirer.
Il convient de saluer à ce propos la décision des jurys des prix d’encouragement décernés par l’Etat, et qui se sont abstenus de décerner un total de 21 prix dans les domaines des arts (4), de la littérature (3), des sciences sociales (8) et des sciences économiques et juridiques (6), à cause du faible niveau des oeuvres présentées. Une bonne décision qui révèle pourtant un recul dérangeant de la production littéraire et de la recherche scientifique. Les prix décernés par l’Etat ont été créés pour encourager et récompenser les jeunes talents, ils ne doivent pas aller à ceux qui ne les méritent pas. De toute façon, nous avons besoin de reconsidérer les prix qui portent le nom de l’Egypte pour leur préserver leur valeur et leur prestige.
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