Les heurts confessionnels déplorables qui ont eu lieu le 7 avril devant la Cathédrale Saint-Marc au Caire à la suite des affrontements, le 5, entre musulmans et chrétiens dans la région populaire de Khoussous, à Qalioubiya (nord du Caire), montrent une fois de plus la montée du sectarisme en Egypte depuis le soulèvement populaire du 25 janvier qui a renversé le régime de Hosni Moubarak. L’attaque de la Cathédrale Saint-Marc, siège du pape des coptes, marque une escalade sans précédent contre un symbole de la communauté chrétienne d’Egypte. Une première depuis la fondation de ce complexe religieux en 1968.
Plus grave. Ces incidents dramatiques ont donné lieu à un échange d’accusations entre le pouvoir et la papauté. Le 8 avril, l’assistant du président pour les affaires extérieures et la coopération internationale, Essam Al-Haddad, a accusé les coptes d’être à l’origine des affrontements qui sont survenus aussi bien à Khoussous qu’à la Cathédrale. De son côté, le pape Tawadros II a adressé ses critiques au président Mohamad Morsi, qu’il a accusé de ne pas avoir tenu parole de protéger le siège de l’Eglise copte orthodoxe. Rejetant la décision du président de reformer le « Conseil national pour la justice et l’égalité », chargé de promouvoir la culture de citoyenneté et le principe d’égalité entre races, religions et genres ainsi que de surveiller les cas de discrimination, le pape a souligné que la situation avait plutôt besoin d’un vrai travail sur le terrain et non d’un nouvel organisme. Ce conseil était créé par l’ancien premier ministre intérimaire Essam Charaf, à l’époque où l’armée tenait le pouvoir, à la suite de la chute de l’ancien régime. Cet échange d’accusations, une nouveauté, où chacune des deux parties jetait la responsabilité des incidents sur l’autre, marque un changement de ton entre l’Eglise copte et le pouvoir politique et peut augurer d’une modification des règles régissant leur relation future. Jusqu’ici, chacune des deux parties évitait toute accusation ou critique publique de l’autre. Ce n’est plus le cas. Leurs rapports sont tendus et teintés de suspicion depuis l’accession des islamistes au pouvoir.
Certes, les incidents confessionnels entre musulmans et chrétiens ne datent pas d’hier et ont toujours existé à des degrés divers au moins, dans l’époque contemporaine, depuis le temps de la monarchie au début du XXe siècle. Cependant, selon l’« Initiative égyptienne pour les droits personnels », les heurts confessionnels ont progressé de façon spectaculaire depuis 2008. La montée d’un discours islamiste intolérant, propagé par un certain nombre de groupes et de prêcheurs, a alimenté un climat de tension entre musulmans et coptes et a créé un terrain favorable à la recrudescence de tels incidents. La montée en puissance des mouvements islamistes, notamment les salafistes ultraconservateurs, et l’accession au pouvoir des Frères musulmans ont revigoré d’éléments extrémistes et intolérants — souvent des religieux, des prédicateurs de mosquée et des prêcheurs de chaînes satellites religieuses — qui ont profité du contexte politique nouveau pour nourrir un climat de haine et d’hostilité à l’égard des chrétiens d’Egypte. Cette réalité a renforcé à son tour la montée du radicalisme et de l’extrémisme chez certains coptes, où l’on trouve aujourd’hui des jeunes qui prônent l’usage de la force contre ce qu’ils perçoivent comme une menace islamiste existentielle à leur communauté. Le tout est complété, dans le contexte post-révolution, par un vide sécuritaire consécutif à l’effondrement de la police pendant le soulèvement populaire du 25 janvier 2011. Depuis, les forces de sécurité n’en sont pas remises.

La montée en puissance des partis islamistes et l’accession des Frères musulmans au pouvoir ont renforcé les craintes des chrétiens d’Egypte pour leur avenir.(Photo: AP)
Ainsi, une petite altercation sur un sujet banal, comme il en arrive tous les jours dans la rue égyptienne, mais, détail important, entre un musulman et un copte, peut rapidement se transformer en un affrontement confessionnel, où musulmans et chrétiens, poussés souvent par des rumeurs infondées, ou galvanisés par des extrémistes, accourent par solidarité pour soutenir leurs coreligionnaires. Plus grave encore. Ceux qui sont impliqués dans ce type d’affrontements sont rarement poursuivis ou punis. Dans la plupart des cas, des missions de réconciliation, composées de dignitaires religieux et de responsables de sécurité, sont dépêchées dans les régions où ont eu lieu les accrochages pour calmer les esprits. C’est le cas des heurts de Khoussous, où quelque 20 responsables d’Al-Azhar, de l’Eglise copte orthodoxe, des Frères musulmans, de l’Appel salafiste (la plus importante organisation salafiste d’Egypte), ainsi que l’assistant du président pour les affaires du dialogue sociétal, le salafiste Emad Abdel-Ghafour, et le gouverneur de Qalioubiya, Adel Ziyad, ont tenu une réunion de réconciliation dans cette région défavorisée, le 11 avril.
Ces missions de réconciliation, quoique nécessaires, n’apportent finalement qu’une solution à court terme, en attendant une nouvelle explosion de violence dans le même endroit ou ailleurs. Elles doivent être complétées par des poursuites judiciaires — jusqu’ici peu engagées ou, quand elles le sont aboutissent rarement — contre ceux qui s’avèrent coupables d’incitation ou d’implication dans des violences contre des personnes en raison de leur appartenance à une autre religion. Des peines dissuasives sont indispensables dans de tels cas, dans un but de prévention et, au-delà, de maintien de la cohésion sociale.
Le pouvoir politique en Egypte a une responsabilité — qui n’est certainement pas la seule, mais la plus importante — à favoriser un climat de coexistence pacifique entre musulmans et coptes, à prévenir l’usage abusif des sentiments religieux ainsi que les violences confessionnelles et à s’y opposer par tout moyen légal. Un pouvoir islamiste a, a fortiori, une responsabilité particulière dans ce domaine. Avec la montée en puissance des partis islamistes et l’accession des Frères musulmans au pouvoir, les chrétiens d’Egypte, qui font quelque 10 % de la population, sont de plus en plus inquiets pour leur avenir. Selon certaines sources, autour de 100 000 coptes (un chiffre invérifiable) ont quitté le pays depuis le soulèvement populaire du 25 janvier. Tous ne l’ont probablement pas fait pour des raisons purement religieuses. Il faut également prendre en considération l’instabilité politique, la dégradation de la situation économique et la hausse de la criminalité prévalant depuis plus de deux ans. Cependant, l’évolution de la situation politique exacerbe les craintes des coptes. Dernier développement en date : la loi sur l’exercice des droits politiques, adoptée le 3 avril par le Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement) dominé par les Frères musulmans et les salafistes, autorise l’usage des slogans religieux dans les campagnes électorales. Ce qui risque de renforcer le sectarisme dans la société et la vie politique. Même si la loi doit être revue avant sa promulgation par la Haute Cour constitutionnelle, qui risque fort de rejeter la disposition sur l’usage des slogans religieux, cet épisode de la vie politique renforce les doutes des coptes sur les intentions des partis islamistes. D’où la nécessité pour le pouvoir politique de rassurer, non seulement par des paroles, mais aussi et surtout par des actes. Car il y va de l’avenir politique de l’Egypte et de sa cohésion sociale.
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