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L’Egypte et les deux Soudan

Monday 8 avr. 2013

Le président Mohamad Morsi a achevé le 5 avril sa première visite au Soudan, où il s’était rendu pour « renforcer » les rapports bilatéraux, notamment économiques. Ainsi, plusieurs projets dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, l’élevage, l’industrie et les infrastructures ont été annoncés. Les deux parties ont évité en revanche de parler des sujets qui fâchent, notamment le litige frontalier de Halayeb.

Pour les Soudanais, la visite de Morsi intervient trop tard, étant donné les intérêts et les liens historiques et stratégiques liant les deux pays, en tête desquels les eaux du Nil, aujourd’hui disputées par les pays d’amont. Ce reproche à peine voilé met en avant les multiples voyages effectués par Morsi depuis qu’il est au pouvoir dans des pays, comme l’Inde et le Pakistan, qui pour les Soudanais devraient être de moindre importance pour l’Egypte que son voisin du sud, d’autant plus que le président Omar Hassan Al-Béchir s’était déjà rendu au Caire il y a plus de six mois, en septembre. La réalité est que la grande majorité des voyages à l’étranger effectués par le chef de l’Etat, depuis son investiture le 30 juin, étaient motivés par des raisons financières pour faire face aux difficultés économiques croissantes que rencontre l’Egypte.

Les deux riverains de la Vallée du Nil partagent ces mêmes difficultés, l’Egypte en raison du soulèvement populaire du 25 janvier qui a provoqué une énorme instabilité politique, sécuritaire et économique, et le Soudan à cause de la sécession en juillet 2011 du Soudan du Sud, qui a amputé le Nord du tiers de son territoire et, surtout, des trois quarts de sa production pétrolière, sa principale source de revenu. Le pays se trouve également empêtré dans des conflits internes au Darfour et frontaliers avec l’Etat nouvellement créé.

La question qui était sur toutes les lèvres, celle du partage des eaux du Nil entre les pays riverains, a été contre toute attente à peine effleurée par les deux présidents dans leur conférence de presse conjointe à la fin de la visite ainsi que dans le communiqué conjoint, où les deux parties se sont contentées de réaffirmer la poursuite de leur coordination à l’égard de cette question. Le président Morsi a, de son côté, voulu minimiser la portée des divergences avec les pays d’amont qui contestent les quotes-parts que s’arrogent les deux pays d’aval, Egypte et Soudan, conformément à des accords qui datent pour la plupart de l’ère coloniale. Les pays situés en amont, qui contestent la domination de l’Egypte et du Soudan sur quelque 87 % du débit du fleuve, avaient conclu à Entebbe (Ouganda) en mai 2010 un accord-cadre pour un partage plus « équitable » du fleuve et contre le droit de veto que détient Le Caire, conformément aux accords en vigueur, sur tout projet hydraulique de nature à affecter la quote-part de l’Egypte dans les eaux du Nil. Depuis, l’Egypte et le Soudan font cause commune contre les autres pays du bassin, dont la majorité a signé l’accord-cadre, Ethiopie, Ouganda, Kenya, Tanzanie, Rwanda et Burundi. Seule la République démocratique du Congo n’a pas encore signé l’accord.

L’indépendance du Soudan du Sud, par lequel transite le Nil Blanc qui contribue à hauteur de 15 % dans la part de l’Egypte en eau, a compliqué davantage la situation pour Le Caire et Khartoum. L’Egypte post-révolution courtise Juba à coups d’aides économique et technique pour le convaincre de se ranger du côté de ses deux voisins du Nord, qui refusent l’accord d’Entebbe et réclament une renégociation de son contenu pour leur permettre de maintenir leurs droits « historiques » sur les eaux du Nil. Le dernier effort fourni par Le Caire à cette fin a eu lieu le 16 mars lorsque le premier ministre, Hicham Qandil, s’est rendu au Soudan du Sud pour lui promettre l’exécution d’un certain nombre de projets du secteur tertiaire d’une valeur de 12 millions de dollars ainsi que l’octroi d’un don de 15,6 millions de dollars, destiné à améliorer la gestion de ses ressources en eau. Mais à peine quelques jours plus tard, le ministre sud-soudanais de l’Irrigation, Paul Mayom, a annoncé le 20 mars que son pays allait rejoindre l’accord d’Entebbe et qu’il rejetait l’accord égypto-soudanais de 1959 qui fixe les quotes-parts annuelles de l’Egypte (55,5 milliards de m3) et du Soudan (18 milliards de m3). La réaction de l’Egypte ne s’est pas fait attendre. Le ministre de l’Irrigation, Mohamad Bahaeddine, a qualifié la décision de Juba de témoignage d’« hostilité » envers l’Egypte et a souligné que son pays n’avait pas été prévenu par le Soudan du Sud de son intention d’adhérer à l’accord-cadre.

La décision du Soudan du Sud était prévisible, malgré les tentatives égyptiennes de rapprochement. Le Caire a toujours été perçu par Juba comme l’allié principal de Khartoum dans son conflit avec le Sud. Par contre, les pays africains voisins de ce dernier et riverains du Nil, Ethiopie, Kenya, Ouganda, soutenaient la séparation du Sud. Le Soudan n’est pas mieux placé que l’Egypte pour ramener le Soudan du Sud à de meilleurs sentiments. Au contraire, ce dernier a arraché son indépendance après 28 ans de guerre meurtrière.

Les Sud-Soudanais, qui se sont plaints longtemps d’être les laissés-pour-compte du régime nordiste, se tournent naturellement aujourd’hui vers leurs voisins de l’Afrique noire, malgré les liens existant avec le « Nord », en raison d’affinités religieuses et ethniques, mais aussi et surtout pour marquer leur séparation de la tutelle et de la domination du « Nord ». C’est ainsi par exemple que le Soudan du Sud, un Etat enclavé, a conclu deux accords de construction d’oléoducs, qui traverseront l’Ethiopie et le Kenya, pour acheminer ses exportations pétrolières vers les ports de Djibouti et Lamu (Kenya), pour ne plus dépendre de Port-Soudan, utilisé jusqu’ici pour ses exportations de brut. En outre, le Soudan et le Soudan du Sud s’opposent toujours sur des questions aussi importantes que la démarcation de la frontière et le statut de la riche région pétrolière d’Abyei.

L’adhésion de Juba à l’accord d’Entebbe renforce, certes, la position des pays d’amont. L’effet concret de cet accord est toutefois tributaire de la construction de travaux hydrauliques susceptibles de réduire les quotes-parts de l’Egypte et du Soudan. Pour le moment, seul le projet du barrage de la Grande Renaissance en Ethiopie — où le Nil Bleu, qui assure 85 % de la quote-part de l’Egypte, prend sa source — pourrait provoquer un tel effet. Pour s’en prévenir, la politique égyptienne a consisté à faire pression sur les bailleurs de fonds internationaux pour les empêcher de financer le barrage, qui coûterait 4,5 milliards de dollars. Le Caire a grandement réussi dans son entreprise et Addis-Abeba a dû lancer une campagne locale de levée de fonds, via des bons du Trésor, pour trouver les financements nécessaires. Mais rien n’assure qu’il y arrivera, au moins dans le temps prévu pour l’achèvement des travaux en 2018.

D’ici là, tout n’est pas perdu. L’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie, les trois pays du bassin du Nil Bleu, ont créé un comité d’experts chargé d’évaluer l’impact du barrage sur les deux pays d’aval et d’examiner les moyens d’y remédier. Le Caire croit savoir que le nouveau premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, qui a succédé au feu Meles Zenawi en août dernier, se montre plus disposé au compromis.

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