
La fermeture des tunnels de contrebande avec Gaza a provoqué l’ire du Hamas.
Les rapports entre l’Egypte et le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) sont tendus. Les dernières semaines ont témoigné d’une campagne anti-Hamas dans plusieurs médias égyptiens en raison d’une supposée implication de ce groupe, qui dirige la bande de Gaza depuis juin 2007, dans l’attentat qui avait coûté la vie à 16 gardes-frontières égyptiens le 5 août dernier, à Rafah, dans le Sinaï, proche de la frontière avec Israël. Les conclusions de l’enquête, menée par l’armée, en collaboration avec la police et des bédouins, devraient être annoncées en avril. Mais d’ores et déjà, des fuites par des sources sécuritaires anonymes ont fait état d’une implication d’éléments, voire des dirigeants, du Hamas. Ces informations, invérifiables, ont été publiées à un moment où d’autres, de même nature, ont noté une possible responsabilité du groupe palestinien dans des affaires qui toucheraient à la sécurité de l’Egypte : la saisie d’un lot de tissu semblable à celui utilisé dans la fabrication des uniformes de l’armée égyptienne, alors qu’il était en route vers la bande de Gaza à travers un tunnel de contrebande ; des saisies d’armes et de gasoil en contrebande qui devaient passer via les tunnels vers l’enclave palestinienne … Ces nouvelles sont tombées à un moment où l’Egypte souffre d’une grave pénurie de gasoil, qui provoque des troubles et des violences, ainsi que d’un sérieux problème de sécurité au Sinaï, lequel est étroitement lié à la situation dans la bande de Gaza voisine et au blocus qui y est imposé par Israël. Prises ensemble, toutes ces « affaires », dont l’implication du Hamas, est encore à établir, ont eu pour effet de tourner une partie de l’opinion publique égyptienne contre le mouvement islamiste palestinien.
De son côté, le Hamas a laissé échapper une aigreur certaine envers l’Egypte à cause des travaux de fermeture des tunnels de trafic menés tambour battant ces dernières semaines par l’armée égyptienne. Celle-ci, pour rendre plus efficace sa mission, a eu recours depuis le 3 février à un nouveau procédé, celui de l’inondation des tunnels par des eaux usées des égouts, ce qui les rendaient impraticables. Le nombre des tunnels seraient ainsi passé de quelque 250 à une centaine encore en opération. Les propos les plus durs ont été lâchés par Mahmoud Al-Zahar, un des fondateurs du Hamas : « L’ancien régime (égyptien) était cruel, mais n’avait jamais accepté d’affamer Gaza ». L’armée égyptienne a en effet redoublé ces dernières semaines ses efforts contre les tunnels de contrebande en raison des liens existant entre l’insécurité au Sinaï, provoquée par l’expansion de groupes djihadistes, et des organisations islamistes palestiniennes en lutte contre Israël. L’une des conséquences en était l’attentat d’août dernier, le plus meurtrier pour l’armée depuis des décennies. Il est cependant improbable que l’armée puisse — ou qu’elle en ait vraiment l’intention — mettre un terme à l’existence des tunnels et à la conséquente contrebande. Laisser une partie des tunnels fonctionner serait un exutoire empêchant une asphyxie de la bande de Gaza, avec ses prévisibles conséquences négatives sur la sécurité de l’Egypte.
L’acrimonie exprimée récemment par des responsables du Hamas contraste avec l’euphorie affichée par le mouvement islamiste palestinien à l’annonce de la victoire de l’islamiste Mohamad Morsi, issu des Frères musulmans, à la présidentielle de juin dernier. Créé en 1987 dans la foulée de la première Intifada palestinienne, le Mouvement de la résistance islamique s’inspirait de l’organisation mère de la confrérie égyptienne. Celle-ci n’a cessé d’ailleurs d’afficher son soutien à Hamas, qui prône la lutte armée contre Israël et rejette la voie de négociations. Mais les choses ont commencé à changer depuis l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir, au grand dam des islamistes palestiniens. A l’exercice du pouvoir, le président Morsi s’est retrouvé confronté aux contraintes héritées des époques de Sadate et Moubarak, liées essentiellement à la conclusion du traité de paix avec Israël en 1979 et à l’alliance de facto avec les Etats-Unis, qui se traduit par une importante aide militaire et économique annuelle à l’Egypte, faisant d’elle le deuxième récipiendaire de l’aide extérieure américaine après Israël. L’Egypte, depuis le traité de paix, a officiellement et effectivement abandonné l’option militaire contre Israël, après avoir recouvert ses terres occupées. Par conséquent, elle a depuis encouragé les Palestiniens à faire de même et à emprunter la voie de négociations avec Israël pour recouvrer leurs droits. Mais ce qui a réussi à l’Egypte, vu son poids politique et militaire, ne réussira pas forcément aux Palestiniens qui sont en extrême infériorité militaire vis-à-vis d’Israël.
D’où le dilemme dans lequel se trouvent aujourd’hui les Frères musulmans. Quand ils étaient dans l’opposition, ils pouvaient sans risque prendre des positions fermes soutenant la lutte armée de leurs frères du Hamas. Aujourd’hui, alors qu’ils sont au pouvoir, ils sont beaucoup plus réservés, les mains liées dans l’octroi d’une conséquente assistance aux islamistes palestiniens. Certes, le nouveau pouvoir a fait des démarches et pris des mesures en faveur des Palestiniens de la bande de Gaza, pour montrer sa solidarité avec le Hamas, mais celles-ci sont limitées, ponctuelles, symboliques et bien inférieures aux attentes des habitants de Gaza, qui s’attendaient à des politiques diamétralement opposées à celles de l’ancien régime, de nature notamment à réduire les effets dévastateurs du blocus israélien sur l’enclave palestinienne. Or, le grave problème de sécurité dans le Sinaï posé par des éléments salafistes djihadistes aux connexions certaines avec des groupes islamistes à Gaza (Hamas ou autres) ne laisse plus le choix au pouvoir que de sévir contre eux, y compris à travers la fermeture des tunnels de contrebande. Ceux-ci, par qui transitent les produits essentiels dont ont besoin les habitants de Gaza, sont le seul moyen de contourner le blocus israélien, mais ils servent aussi au trafic d’armes et de personnes dangereuses pour la sécurité de l’Egypte.
Le pouvoir doit également composer avec la suspicion traditionnelle du service de renseignement et de l’armée à l’encontre des islamistes palestiniens, du Hamas ou d’autres. Le service de renseignement est celui, sous Moubarak et aujourd’hui encore, qui est en charge du dossier palestinien, qu’il s’agit de la réconciliation inter-palestinienne ou des contacts avec Israël. Ce choix montre clairement la dimension « sécuritaire » qui caractérise la vision égyptienne de ce dossier. Par ailleurs, c’est l’armée, après l’effondrement de la police consécutif au soulèvement du 25 janvier, qui s’occupe effectivement aujourd’hui de la sécurité du Sinaï. La perte de ses 16 gardes-frontières, une humiliation, la rend particulièrement déterminée à laver l’affront.
Lien court: