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Les Etats-Unis et les Frères musulmans

Monday 4 mars 2013

Dans sa première visite en Egypte, les 2 et 3 mars, depuis son entrée en fonction, le nouveau secrétaire d’Etat américain, John Kerry, est venu délivrer le message suivant : les différents protagonistes de la crise politique en Egypte, régime et opposition, doivent s’entendre sur une sorte de feuille de route pour sortir de l’impasse et faire les concessions nécessaires pour parvenir à un dénominateur commun permettant de faire avancer la chaotique période de transition. Dans cet esprit, le responsable américain a exhorté le principal bloc d’opposition, le Front National du Salut (FNS), de revenir sur sa décision de boycotter les prochaines législatives qui doivent commencer le 22 avril. Et pour convaincre les parties prenantes de la nécessité d’adopter une telle démarche, Kerry leur a clairement rappelé que ledit consensus politique est une condition sine qua non pour l’octroi du prêt de 4,8 milliards de dollars du Fonds Monétaire International (FMI), nécessaire au déblocage des aides financières promises par les principaux pays donateurs, Etats-Unis en tête, pour aider l’Egypte à sortir de sa grave crise économique.

Mais, furieux contre l’appel des Etats-Unis à l’opposition à participer aux législatives, qu’ils considèrent comme une intervention en faveur des Frères musulmans visant à conférer une légitimité à leur victoire électorale attendue, certains dirigeants du FNS, Mohamed ElBaradei, chef du parti Al-Dostour, Hamdine Sabbahi, dirigeant du Courant populaire, et Al-Sayed Al-Badawi, président du parti néo-Wafd, ont refusé de rencontrer John Kerry. Leur conviction du soutien américain à l’accession et au maintien de la confrérie au pouvoir est très répandue chez les milieux de l’opposition et parmi de larges segments de l’opinion publique. Mais les Américains n’ont certainement pas joué de rôle dans l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans et du premier président islamiste d’Egypte. Ils ont simplement constaté l’ascension politique des islamistes en Egypte, comme dans d’autres pays du Printemps arabe, à l’instar de la Tunisie. Pragmatiques, ils ont voulu tout simplement établir un rapport de travail avec les nouveaux maîtres de l’Egypte, comme ils l’avaient fait avec les anciens présidents Moubarak et Sadate, en vue de défendre les intérêts des Etats-Unis dans la région. D’où cette impression qu’ils soutiennent les Frères musulmans. La raison dit que Washington doit soutenir les forces séculières, avec qui il partage davantage de valeurs politiques communes, que d’apporter son appui à des islamistes, dont l’idéologie est bien distante, voire incompatible avec la leur. La réalité est que les Etats-Unis trouvent l’opposition séculière divisée et incapable de constituer une alternative aux islamistes, alors qu’ils constatent que les Frères musulmans sont la force politique la plus puissante et la mieux organisée aujourd’hui en Egypte. Ils s’emploient donc à établir avec elle une étroite collaboration pour défendre les intérêts américains en Egypte et dans la région.

Ce que les Etats-Unis recherchent dans ce contexte est le maintien de la stabilité en Egypte. Et c’est le contenu réel du message de Kerry. Certes, les Etats-Unis tiennent à la poursuite et au succès de la transition démocratique en Egypte, mais ils aspirent surtout à ce qu’elle retrouve sa stabilité politique, nécessaire à la préservation des intérêts américains au Moyen-Orient. Ceux-ci restent inchangés et se rapportent d’abord à la sécurité de l’Etat d’Israël, donc au maintien du traité de paix qui le lie à l’Egypte, ainsi qu’à la sécurité des approvisionnements pétroliers en provenance de la région du Golfe qui passent par le Canal de Suez. Dans ce cadre, Washington tient à continuer à bénéficier des facilités de survol du territoire égyptien et de passage de ses navires de guerre dans le Canal de Suez, octroyées dans le cadre de l’aide militaire américaine à l’Egypte. Dans les deux cas, le président Mohamad Morsi a jusqu’ici poursuivi des politiques en conformité avec les intérêts américains. Il a d’abord confirmé son respect des engagements contractuels envers Israël. Il est de surcroît intervenu, avec succès, en médiateur entre Israël et le Hamas pour mettre fin aux hostilités dans la bande de Gaza en novembre dernier. Ce qui lui a valu les louanges de Washington. Par ailleurs, il a souligné à plusieurs reprises que la sécurité des monarchies pétrolières du Golfe était une ligne rouge, en allusion aux tendances hégémoniques de la République islamique d’Iran et ses tentatives d’intervenir dans les affaires intérieures de ces pays.

Certes, le flirt engagé avec l’Iran depuis l’arrivée de Morsi au pouvoir agace les Etats-Unis, mais beaucoup d’obstacles internes et externes se dressent sur le chemin d’un profond rapprochement entre les deux pays (voir notre article : L’Egypte renouera-t-elle avec l’Iran ?, daté du 29 août 2012). Le récent accord de coopération touristique, signé à Téhéran le 27 février par les ministres du Tourisme des deux pays, ne doit pas être surestimé. La date de sa conclusion, à trois jours de la visite de Kerry au Caire, pourrait indiquer sa valeur de message à l’adresse de Washington : indiquer la volonté de l’Egypte de poursuivre une politique plus indépendante vis-à-vis de Washington. Ce dernier est néanmoins conscient des limites du rapprochement égypto-iranien. De la rupture totale qui les a marquées pendant les trois dernières décennies, les relations entre l’Egypte et l’Iran pourraient s’améliorer dans divers domaines pour passer à un stade supérieur, sans toutefois se hisser au niveau de former un axe ou une alliance.

Dans ces conditions, il est normal que, malgré les objections de certains membres du Congrès qui veulent imposer certaines conditions, la Maison Blanche plaide pour la poursuite de l’assistance américaine à l’Egypte, répartie entre 1,3 milliard de dollars d’aide militaire et 250 millions d’aide économique. L’aide militaire acquiert une importance particulière étant donné que Washington tient à poursuivre son partenariat avec l’armée égyptienne, qui reste un acteur majeur dans le jeu politique égyptien et dont le rôle est crucial dans le maintien de la paix avec Israël. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’envoi, fin janvier, de 4 chasseurs F-16 à l’armée égyptienne, dans le cadre de l’assistance militaire. 12 autres avions devraient suivre dans les 18 mois.

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