Alors que le régime syrien semble perdre du terrain face à l’opposition armée, l’Iran, allié stratégique de Damas, accroît en réaction son soutien militaire aux forces loyalistes au président Bachar Al-Assad afin d’empêcher sa chute. Ainsi, selon diverses sources, Téhéran aurait dernièrement envoyé en Syrie 15 000 combattants, composés d’Iraniens, d’Iraqiens et d’Afghans, dont la moitié serait déployée autour de la capitale, en vue de la protéger contre toute attaque, et l’autre moitié à Lattaquié (nord-ouest), un fief du régime, afin de tenter de reprendre la province d’Idlib, frontalière de la Turquie, qui a été conquise en avril par Jaish Al-Fatah, une coalition islamiste, dont fait partie le Front Al-Nosra, affilié à l’organisation terroriste Al-Qaëda. Les sources indiquent que l’Iran préparerait l’envoi d’un total de 50 000 soldats afin de prévenir la chute du régime syrien.
Pour justifier l’accroissement de son implication militaire en Syrie, l’Iran invoque l’accord de défense commune conclu par les deux pays en 2006, ainsi que le mémorandum d’entente de 2009 qui permet à Téhéran d’intervenir militairement en Syrie à la demande de Damas. Les deux capitales hésitaient à franchir ce pas pour différentes raisons. D’un côté, Assad voulait éviter d’accentuer le caractère sectaire chiite/sunnite de la guerre civile, que l’invitation faite à des combattants chiites étrangers allait immanquablement provoquer. De l’autre côté, Téhéran cherchait à empêcher qu’une implication militaire accrue dans le conflit syrien ne compromette ses chances de parvenir à un accord avec les grandes puissances sur son dossier nucléaire, à l’approche de la date butoir de la fin juin. Mais les deux parties sont finalement tombées d’accord sur la nécessité d’un accroissement du soutien militaire iranien afin de repousser à la fois la pression du Jaish Al-Fatah et de l’Etat Islamique (EI), l’un et l’autre ayant remporté depuis avril dernier diverses victoires sur les troupes loyalistes.
Les objectifs militaires de Téhéran seraient essentiellement d’empêcher l’opposition armée de couper le couloir vital liant Damas aux villes côtières sur la Méditerranée, bastions du régime, comme Lattaquié et Tartous, et à la frontière avec le Liban, d’où viennent les combattants du Hezbollah, soutien capital à l’armée syrienne. Le second objectif serait d’empêcher que l’opposition ne s’empare de l’aéroport de Damas, moyen vital du soutien iranien multiforme au régime syrien. Mais au-delà de ces objectifs militaires immédiats, le soutien iranien au régime de Damas vise à servir des intérêts stratégiques régionaux, au premier rang desquels est la préservation de l’allié syrien. Cette alliance remonte aux années 1980, à l’époque de la guerre Iraq-Iran (1980-1988). Alors que l’ensemble des pays arabes soutenaient en ce temps Bagdad contre Téhéran, qui voulait, après le renversement du shah Mohamed Reza Pahlavi en 1979, exporter sa révolution islamique, seule la Syrie de Hafez Al-Assad soutenait l’Iran. Du point de vue iranien, cette alliance a permis de réduire, sinon de gommer, le caractère sectaire (sunnites vs chiites) et ethnique (Arabes contre Perses) du conflit. Aujourd’hui, elle offre à Téhéran l’opportunité d’élargir son influence dans un pays central du monde arabe qui, de surcroît, sollicite aujourd’hui un rôle iranien accru, pour faire face à la guerre civile.
L’Iran cherche aussi, par son intervention en Syrie, à limiter le danger que représentent deux mouvements islamistes sunnites radicaux, l’EI et Jaish Al-Fatah. L’un est l’autre sont viscéralement hostiles au chiisme iranien, considéré comme de l’hérésie. Le renversement du régime syrien par l’EI ou Jaish Al-Fatah, ou par leur action combinée, signifierait non seulement la perte de l’allié syrien, une courroie de transmission indispensable à l’influence iranienne au Liban, via le Hezbollah, mais aussi l’établissement d’un régime hostile en Syrie. Le sort de celle-ci est également étroitement lié à celui en Iraq, où le gouvernement, dominé par la majorité chiite, est proche de l’Iran. L’EI sévit dans les deux pays, où il occupe la moitié du territoire de la Syrie et le tiers de celui de l’Iraq. Son renforcement en Syrie aura des conséquences identiques en Iraq, et vice-versa.
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