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Livraison de chars lourds à l’Ukraine, un tournant ?

Julie Lepecquet , (avec Agences) , Vendredi, 03 février 2023

Berlin et Washington ont finalement donné leur accord pour la livraison de chars lourds par la Pologne et la Suède à l’Ukraine. Kiev veut encore plus.

Livraison de chars lourds à l’Ukraine, un tournant ?
La livraison de chars occidentaux ne devrait pas renverser l’équilibre des forces sur le terrain. (Photo : AP)

Dossier longtemps bloqué par la chancellerie allemande, Berlin et Washington ont annoncé, mercredi 25 janvier, la livraison de chars lourds sur le terrain ukrainien : 14 chars Leopard-2 pour l’Allemagne et 31 chars Abrams M1 pour les Etats-Unis. L’annonce débloque également de facto les livraisons de chars de fabrication allemande par la Pologne et la Norvège à l’Ukraine — jusquelà en attente du feu vert de Berlin qui, comme les Etats-Unis, a le dernier mot sur les exportations du matériel d’armement produit sur son sol. Avec le Danemark, le Portugal, le Canada et les Challenger-2 du Royaume- Unis, 109 chars lourds de conception moderne ont été promis à l’Ukraine. Cela faisait des semaines que le président ukrainien exhortait les Occidentaux à lui livrer des chars lourds en espérant profiter de la fenêtre d’ouverture créée par la contre-offensive d’automne. Ou, au moins, renouveler le matériel perdu afin de traverser la prochaine tempête russe, attendue au printemps prochain.

C’est que la décision n’était, aux yeux de Berlin, pas sans risque. Au moment où les lignes rouges entre le bloc européen et la Russie sont de plus en plus floues, la livraison de chars lourds présente le risque d’être, au bon vouloir russe, interprétée comme une offensive pouvant entraîner une escalade majeure du conflit — et le bloc européen avec elle. Tel est le scénario catastrophique qu’avait dépeint Berlin pour justifier son hésitation tout en requérant la couverture diplomatique et militaire de Washington. Bien que le compte soit encore loin des 250 unités réclamées par le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, l’arrivée à grands bruits des chars Leopard-2A6 et des hypermodernes Abrams M1 fait espérer un changement significatif sur le terrain. Sur son compte Twitter, le président ukrainien saluait ainsi la décision comme un pas décisif sur « le chemin vers la victoire ».

S’il est vrai que les importantes livraisons d’armes du camp occidental ont permis de soutenir avec succès les efforts militaires ukrainiens, et cela malgré des rapports de force asymétriques, le faible nombre d’unités promises oblige à relativiser les effets de l’annonce. Sur le terrain, la livraison d’une centaine de chars est un soulagement. Mais elle ne renverse pas le déséquilibre entre les forces ukrainiennes et russes sur le long terme. Face à la Russie qui mise sur le débordement des troupes ukrainiennes, la livraison d’une centaine de chars hypermodernes semble servir davantage un impératif de survie qu’un objectif de renversement des rapports de force. La livraison de ces chars « n’est pas une menace offensive contre la Russie », avait souligné le président américain dans son discours du 25 janvier.

Le tournant est donc avant tout politique. Avec ce don à la limite du symbolique, Berlin a trouvé avec ses partenaires occidentaux le moyen de répondre aux pressions sans pour autant franchir le seuil de la co-belligérance avec l’Ukraine. Manière de dire que le soutien de l’Europe à l’Ukraine est indéfectible, mais pas aveugle aux pièges tendus.

Après les chars, les avions de chasse ?

La réplique ne s’est pas fait attendre. Dès le lendemain de l’annonce, Moscou dévoilait les premiers modèles de son char dernier cri, l’Armata T-14. Le ministre ukrainien de la Défense, quant à lui, exprimait son intérêt au Figaro pour le développement de sa défense aérienne, considérant, comme Moscou, qu’une étape venait d’être franchie. Sur le plan médiatique en tout cas, la course à l’armement semble lancée.

Si d’aucuns considèrent que la fourniture d’avions de chasse finira par s’imposer, elle est cependant pour le moment hors de propos. Trop prématurée et trop risquée si l’Ukraine décidait de s’en servir contre la Crimée annexée en 2014 par la Russie. Quelques jours plus tôt, le 20 janvier, les Pays-Bas avaient déjà évoqué l’idée de livrer des F-16 à l’Ukraine dans l’espoir de faire pencher la balance. Mais ils se sont confrontés aux fortes réticences de Washington et des capitales européennes. Pour sûr, l’afflux d’aide militaire occidentale à l’Ukraine ne tarira pas de sitôt, mais il se concentre surtout sur le renforcement des défenses terrestres et anti-aériennes de l’Ukraine tout en présentant déjà un nombre de défis logistiques : acheminement jusqu’à l’Ukraine, formation du personnel, ravitaillement ...

Encore soucieux de rester sous le seuil, seul le dénouement des prochaines offensives nous dira quel cap les Occidentaux seront prêts à franchir ou non dans leur soutien à l’Ukraine.

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