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L’Iraq s’enfonce dans une crise sans fin

Ines Eissa , (avec Agences) , Mercredi, 15 juin 2022

Les députés du courant du leader chiite Moqtada Sadr ont présenté leur démission après l’appel de ce dernier. Sadr bouscule ainsi la scène politique en Iraq et complique davantage la formation du gouvernement.

L’Iraq s’enfonce dans une crise sans fin
Sadr veut briser la tradition qui prévaut depuis 2003 en instaurant un « gouvernement majoritaire  » avec ses alliés sunnites et kurdes plutôt qu’un « gouvernement de consensus  » rassemblant les forces chiites. (Photo : AFP)

Neuf mois de vaines tractations. Faute de majorité claire et de consensus, les Iraqiens n’ont pas pu s’accorder à former un gouvernement tout au long de ces mois. Mais, la crise risque de s’enfoncer encore plus dans la période à venir après que les 73 députés du bloc sadriste ont répondu à l’appel du leader chiite, Moqtada Sadr, et ont présenté leur démission dimanche 12 juin. Un geste vraisemblablement destiné à faire pression pour accélérer la formation du gouvernement, en panne depuis les législatives de 2021. En effet, depuis les législatives d’octobre 2021, desquelles le mouvement sadriste est ressorti grand gagnant, les deux pôles du chiisme politique— celui de Moqtada Sadr et les pro-Iran du Cadre de coordination— continuent à revendiquer une majorité au Parlement et le droit de nommer le premier ministre.

Or, Moqtada Sadr, dont le parti a obtenu le plus grand nombre de sièges lors des élections, n’a pas réussi à rassembler suffisamment de députés au Parlement pour obtenir la majorité des deux tiers nécessaires à l’élection du prochain président iraqien, étape indispensable avant la désignation du prochain premier ministre et la sélection du gouvernement. Il s’est donc allié à des forces sunnites et kurdes: le parti sunnite Taqadum, dirigé par Mohammed Halbousi, et le Parti démocratique kurde dirigé par Masoud Barzani. Avec ses deux alliés, Sadr entend briser la tradition qui prévalait depuis la chute de Saddam Hussein en 2003 et qui voulait que toutes les forces chiites soient parties prenantes dans un « gouvernement de consensus ». Mais ces trois formations regroupent 155 députés sur 329 et n’ont donc pas de majorité dans l’hémicycle. En face, le Cadre de coordination compte notamment l’Alliance de la Conquête, vitrine politique des anciens paramilitaires pro-Iran du Hachd Al-Chaabi. Il rassemble 83 élus.

Une majorité introuvable

Le leader chiite veut un « gouvernement majoritaire » qui repousserait dans l’opposition ses adversaires du Cadre de coordination. Il n’y est pas parvenu jusqu’à aujourd’hui et, en signe de protestation, a lui-même récemment affirmé que ses députés siégeaient « dans l’opposition », laissant au Cadre de coordination l’apanage de la formation d’un gouvernement. « Si la survie du bloc sadriste est un obstacle à la formation du gouvernement, alors tous les représentants du bloc sont prêts à démissionner de la Chambre », a déclaré Moqtada Sadr dans une intervention télévisée, le 9 juin, appelant ses députés à « écrire leur démission ». « Ils ne me désobéiront pas », a-t-il lancé, ajoutant: « L’Iraq a besoin d’un gouvernement soutenu par une majorité et qui sert le peuple ».

Mais qu’entend exactement faire Moqtada Sadr ? « Sa déclaration n’est qu’une manoeuvre politique, afin d’exercer plus de pression sur ses opposants pro-Iran », répond Dr Névine Mossaad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon l’analyste, Sadr est certainement conscient que la démission des 73 députés de son courant politique mènerait à la dissolution du parlement, sans pour autant débloquer la crise politique dans le pays. « Ce qu’il cherche, ce n’est pas un tel blocage. Car une telle escalade pourrait non seulement conduire à des élections législatives anticipées, mais aussi faire basculer le pays dans une confrontation violente, voire armée, entre les différentes forces politiques chiites », explique Dr Névine Mossaad. On se retrouverait donc face à un clivage profond et à haut risque entre les chiites anti-Iran et les chiites pro-Iran.

Or, les Iraqiens s’impatientent. « L’obstruction politique a un impact sur le travail du gouvernement et de l’Etat, et sape le moral des citoyens », a déclaré la semaine dernière le premier ministre Mostafa Al-Kadhimi, accusant l’impasse de faire obstacle à ses projets de réforme.

Mais la crise n’est pas près de prendre fin. « A mon sens, cette manoeuvre de la part de Moqtada Sadr demeure une tactique politique qui s’inscrit dans une spirale que connaît l’Iraq depuis les législatives de 2021, et ce n’est certainement pas le dernier chapitre », conclut l’experte.

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