Il est l’exemple parfait du mélomane qui suit de près toutes les nouveautés techniques. Le jeune compositeur et arrangeur musical Hicham Nazih est parmi ces artistes qui ont réussi à sortir des carcans du traditionnel. Il vient d’ailleurs de fêter le succès de la bande musicale du film Aswar Al-Qamar (murailles de la lune), actuellement en salle. Et poursuit un autre rêve qui l’a depuis toujours hanté: mettre en musique toute une pièce de théâtre, dans le style Broadway, en vue de la présenter à New York.
« Je vis réellement l’une des périodes les plus riches et les plus décisives de ma vie. Je viens de recevoir, il y a quelques semaines, un coup de fil du producteur égyptien Hicham Abdel-Khaleq me demandant de composer une comédie musicale intitulée Akhenaton, laquelle sera donnée sur les planches de Broadway en 2016 ».
Entièrement financée par les dons collectés sur Internet, la pièce est censée regrouper quelques grands noms de Broadway.
« Au début, je pensais que c’était une blague ou un piège tendu par des amis ou même un projet fictif qui ne verra guère le jour, comme pas mal d’autres. Toutefois, à la suite d’une série de réunions et de discussions, nous avons fini par faire une mise au point du projet et je partirai dans quelques heures à New York, afin d’enregistrer sept chansons sur les 24 oeuvres de la pièce. Celle-ci traite de l’histoire d’Akhenaton », précise le jeune compositeur réputé pour ses rêves et ambitions qui deviennent réalité. Ce fut le cas dès sa tendre enfance.
Né en 1972 au Caire, il a vécu entre deux villes côtières, Alexandrie et Port-Saïd, son père étant un officier de marine.
Hicham Nazih n’a pas connu de jeunesse dorée. Il a mené une vie assez précaire, vu la nature du travail de son père, et a développé du coup un sens de la responsabilité.
« J’ai passé sept ans de mon enfance à Alexandrie, avant de passer 11 autres années à Port-Saïd, où j’ai été scolarisé au lycée de Port-Saïd. Là-bas, j’ai mené une enfance ordinaire, même assez clichée, parmi une bande d’amis tous assez talentueux, aspirant à concrétiser leurs rêves en dehors de leur petite ville », raconte Nazih.
Lui, il avait les yeux braqués sur le monde du music-hall, sa vocation innée. Studieux, calme, tout en ayant l’esprit inventif, il avait des parents mélomanes et a appris à jouer au piano en autodidacte.
Son père lui achète un petit clavier électronique. Et lui, il passait des heures et des heures à jouer avec cette boîte magique, qui l’a attaché un peu plus au monde musical.
« L’orgue électrique était mon unique compagnon et mon meilleur ami. Toutes les autres activités étaient secondaires, y compris les devoirs scolaires. J’avais hâte de les terminer, afin de rejoindre rapidement mon clavier prodigieux », se souvient-il en riant.
Consciente également du talent de son fils, sa mère l’encourageait à s’exprimer librement et à chercher du travail dans le domaine de ses rêves. A l’âge de 13 ans, le petit Hicham a commencé déjà à se faire connaître parmi les jeunes mélomanes de Port-Saïd, grâce au groupe musical Freedom (liberté). Un groupe sans arrêt en tournée dans les quartiers de Port-Saïd et les villes avoisinantes, de quoi lui fournir une expérience inégalable, avant de jouer au piano en solo dans plusieurs restaurants de la ville.
A l’époque, il avait commencé déjà à composer quelques morceaux qu’il jouait et réécoutait grâce à son petit clavier électronique.
Après le baccalauréat, il a quitté sa famille à Port-Saïd pour aller vivre chez sa grand-mère au Caire, afin de faire des études universitaires en génie mécanique, juste pour faire plaisir à ses parents. « Comme la plupart des familles, la mienne me voyait faire un métier, loin de la musique. Ayant eu de très bonnes notes au bac, j’ai été donc admis à une faculté de prestige. Toutefois, l’aura de l’ingénierie n’a pas pu ternir ma passion ».
Ayant des amis en commun avec la star du pop Amr Diab, ce dernier le choisit comme organiste dans sa bande musicale. Il a d’ailleurs joué à ses côtés dans le film Ice Cream fi Glym, ensuite ce fut la collaboration avec le chanteur-compositeur engagé Waguih Aziz.
C’est également en 1995 qu’il composa pour la première fois la musique de la cérémonie d’ouverture du Festival national du cinéma, mise en scène par les deux réalisateurs Mohamad Khan et Adel Adib. Cependant, personne n’a pensé annoncer le nom du jeune musicien, même pas sur le générique !
La licence en poche, Hicham Nazih s’est lancé dans la composition musicale. Cherchant à s’exprimer pluslibrement, il travailla sur des courts métrages et des projets de fin d’études à l’Institut du cinéma.
Son premier rendez-vous avec le vrai professionnalisme fut en 1996, lorsque son ami, le cinéaste Adel Adib, le choisit pour signer la musique de son premier film Hysteria (hystérie), avec Ahmad Zaki. Une première pour le tandem Adib-Nazih. « Dans Hysteria, j’ai essayé de présenter une oeuvre dans le style des grands compositeurs, mixant piano, tambour et violon. Mais cela ne me ressemblait pas du tout », avoue Nazih.
Puis, ce fut le tour d’autres films, comme Omar 2000, du réalisateur Ahmad Atef et Al-Saher (le magicien) de Radwan Al-Kachef. « Néanmoins, ce fut grâce au réalisateur Atef Hatata et son film Al-Abwab Al-Moghlaqa (les portes fermées) que j’ai commencé à penser différemment à la musique. Hatata a été le premier à me parler de la musique concrète, c’est-à-dire sans artifices ni préfabrication. Il m’a invité à penser profondément et philosophiquement chaque scène et chaque réaction de la part des acteurs », indique-t-il.
Les dés sont jetés et la musique de Hicham Nazih ne manqua pas d’attirer l’attention de plusieurs autres réalisateurs, dont Tareq Al-Erian en 2001, dans son film Al-Sellem wal Thoabane (l’échelle et le serpent). « Je me sentais vraiment à l’aise en travaillant avec Tareq Al-Erian, car il essaie toujours de présenter des oeuvres en dehors des sentiers battus, ce qui me convient parfaitement bien », ajoute le compositeur.
Nazih réussit le pari en 2003, avec un autre film à succès, Sahar Al-Layali (nuits blanches) de Hani Khalifa. Puis connut la consécration avec Tito de Chérif Arafa, l’année suivante. « C’était la première fois où je mets en musique un film d’action ou un thriller. Une belle expérience qui m’a beaucoup servi », dit-il, ajoutant: « Jusqu’à 2005, je composais ma musique sans savoir lire ni écrire de note musicale, étant donné que je n’avais pas effectué d’études académiques en musique, mais cela a changé avec le film An Al-Echq wal Hawa (sur l’amour et la passion), lorsque je suis parti à Prague pour exécuter la bande musicale. Pendant les enregistrements, je n’arrivais pas à m’expliquer face aux musiciens. Je ne parlais pas leur langage et je ne communiquais pas par le biais des notes musicales. J’ai alors décidé d’apprendre correctement ».
Avec une carrière en crescendo, Nazih décida de recourir aux différentes sonorités issues des événements, les bruits de l’entourage, et de les marier aux mélodies et airs instrumentaux. « Dans la bande du film Ibrahim Al-Abiad de Marwan Hamed, j’ai essayé de fusionner les thèmes musicaux et les sonorités à même d’exprimer les bas-fonds du Caire, cette capitale qui n’a pas de musique caractéristique. J’ai eu recours aux bruits, aux chants soufis, pour créer une musique différente, qui ressemble en quelque sorte au personnage d’Ibrahim Al-Abiad, un monstre au coeur brisé ».
A la télévision, dernier refuge des artistes face à la stagnation qui a frappé le cinéma depuis 2011, Nazih a réussi à se démarquer. Il signa Charbat Loz (sirop d’amandes) en 2012, Nirane Sadiqa (tirs amis) en 2013, et enfin Al-Sabaa Wassaya (les sept commandements) en 2014.
Le scénario de ce dernier télé-feuilleton étant basé sur des idées mystiques, Nazih a eu recours à la mélodie soufie d’Al-Hadra (cercle soufi où l’on évoque les noms de Dieu), qu’il a mixée avec des airs rock. Un nouveau pas vers l’innovation qui lui a offert une véritable notoriété. Un succès qui a été vite secondé par un autre assez équivalent au cinéma, à travers la musique du film Al-Fil Al-Azraq (l’éléphant bleu) de Marwan Hamed.
Depuis des mois, cet infatigable novateur ne cesse de creuser, rien que pour donner quelque chose de différent. « Pour moi, le succès est une belle contrainte. Il exige la continuité... Il faut toujours faire mieux, innover, sinon, ce sera une peine perdue ».
Avec deux nouvelles oeuvres en préparation, le feuilleton Al-Ahd (la promesse) de Khaled Mareï et le film Awlad Rizq (les fils de Rizq) de Tareq Al-Erian, Hicham Nazih ne quitte point son studio, entouré des photos de sa famille, notamment son fils unique Ibrahim, qu’il surnomme Zico.
« Mon travail et ma petite famille sont l’élixir de ma vie. J’espère toujours rester à la hauteur de leurs attentes, de leur amour ».
Jalons :
23 Octobre 1972 : Naissance au Caire.
1990 : Début de sa carrière professionnelle en tant que pianiste.
1996 : Composition de la première bande son pour le film Hysteria.
2001 : Grand succès de la bande musicale du film Al-Sellem wal Thoabane.
2014 : Musique du feuilleton Al-Sabaa Wassaya.
2015 : Bande musique du film Aswar Al-Qamar.
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