Le parcours de Hiam Abbas est pour le moins passionnant. Productrice, directrice de castings, scénariste et photographe, elle est aussi comédienne. Ajoutons à cela qu’elle est polyglotte. Elle parle couramment le français, l’anglais, l’arabe, et s’y connaît en hébreu. Née le 30 novembre 1960 dans un petit village connu sous le nom de Dar Hanna, situé au nord de Nazareth, elle est à la croisée des cultures, des religions, des langues et des métiers. Voici ce qui constitue l’essence de la carrière de cette dame du cinéma international.
Issue d’un quartier d’obédience musulmane, elle a eu des voisins juifs et chrétiens. « J’ai l’impression d’être née au coeur de l’histoire et des cultures. Mon quartier d’origine résume, à lui seul, tout ce que l’on voit à la télévision. Paix, querelles, brassage culturel, refus de communication… Bref, pendant de longues années, les médias nous ont donné l’impression d’être le centre du monde, parce qu’on ne parlait que de nous: Palestiniens, Arabes d’Israël, rebelles islamistes, Tsahal, etc. », résume-t-elle.
Fille de parents enseignants, elle sait, depuis toute petite, que la vie ne vaut rien sans études, aussi poussées ou modestes soient-elles. Depuis la même époque, elle sait également qu’elle voulait devenir comédienne dans une grande troupe de théâtre.
Le baccalauréat en poche, Hiam quitte son cocon familial et décide de poursuivre des études de photographie à Haïfa. Quelques années plus tard, elle s’initie au théâtre en rejoignant la fameuse troupe Al-Hakawati.
En 1987, alors que plusieurs troupes palestiniennes faisaient du théâtre et des arts leurs seuls outils de résistance, Hiam Abbas a fait sa première apparition au cinéma dans le film Noces de Galilée de Michel Khleifi, issu lui aussi de cette jeunesse palestinienne assoiffée d’occasion, pour s’exprimer sur une planche ou à l’écran. Ce fut à une ère où les médias occidentaux s’interrogeaient encore s’il fallait appeler les habitants de Nazareth les Israéliens, les Palestiniens, les Arabes de 1948 ou encore les Arabes de l’intérieur. « Nous étions tous des citoyens palestiniens, nés de parents palestiniens. Nous étions apolitiques, mais notre but était la libération des territoires palestiniens arabes occupés par le Tsahal. Nous ne jouions pas avec des tueurs, qu’ils aient été du côté du Tsahal, comme du côté des islamistes. Nous étions des artistes pacifistes. Notre quête initiale a été et est encore la paix dans la région et la libération des jeunes Palestiniens qui n’ont aucune relation avec les groupuscules de la résistance terroristes », témoigne-t-elle.
Mais de tout ce qui a été dit en parlant de ces « Arabes de l’intérieur », l’on retient que leur malaise identitaire a fait d’eux des artistes créatifs, bel et bien optimistes. « Je vivais ce malaise après chaque guerre, chaque crise diplomatique, et parfois même au coeur d’une simple discussion entre amis. Je voulais partir loin de ce pays, mais pas pour le fuir. C’était plutôt pour étudier ailleurs, devenir quelqu’un et vivre loin… Je ne suis pas en train de dire du mal de mon pays, mais de son climat politique. Les citoyens meurent par milliers aux yeux de tous. Le droit à la vie est sacré, c’est une phrase qui m’a fait souvent rire. Il était temps de partir, surtout lorsque mon amoureux était lui aussi parti à l’étranger », se souvient-elle.
Quelque temps plus tard, elle part rejoindre son amoureux à Londres et s’installe, dans les années qui ont suivi, en France, le pays des Lumières et du cinéma. En 2001, elle a décroché sa toute première distinction internationale en tant que réalisatrice. C’était le prix Golden Bayard qu’elle a mérité pour son court métrage Le Pain, une ode à la vie et à ses aléas. L’année d’après, elle devient célèbre grâce à sa prestation dans le film franco-tunisien Satin Rouge de Raja Amari.
« Collaborer avec Raja Amari m’a permis d’avoir un pied dans le cinéma maghrébin qui a reçu ses lettres de noblesse il y a bien longtemps. J’étais contente de ce qui m’arrivait ces années-là, mais j’ai gardé la tête sur les épaules », dit-elle.
Par la suite, Hiam Abbas a réussi à se faire connaître en tant qu’actrice internationale polyglotte. Elle a été sollicitée par les soins de Steven Spielberg en personne, pour le tournage de Munich il y a dix ans. Aujourd’hui, elle collabore à différents travaux artistiques en Palestine, en Angleterre, au Maghreb, en Egypte, aux Etats-Unis et en France. « Avec tout mon respect pour le cinéma égyptien, ceux qui croient qu’ils ne peuvent faire carrière que dans ce pays se trompent complètement. Parce que l’essentiel c’est d’être bien formé en cinéma et en théâtre, d’élargir son réseau professionnel, d’écrire son propre scénario s’il le faut et de frapper aux portes des grandes maisons de production cinématographique. Je dis cela parce qu’on m’a très souvent posé la question de savoir pourquoi je n’ai pas fait carrière en Egypte. Je n’ai rien contre ce pays, mais je ne regrette pas d’avoir joué des rôles en France et ailleurs », fait-elle remarquer, avant d’ajouter: « Par contre, j’ai beaucoup aimé collaborer avec Yousri Nasrallah, il y a quelques années, dans La Porte du Soleil».
Il y a trois ans, Hiam Abbas a fait partie du jury de la 65e édition du Festival de Cannes et a sorti, par la suite, son premier long métrage Héritage, et ce, en tant que co-scénariste et réalisatrice. « Ce film est une fiction inspirée de faits réels. Il s’agit, plus exactement, d’un hymne à la liberté de l’être humain. Le choix du scénario a porté sur le conflit israélo-palestinien parce qu’il s’agit de l’exemple le plus éloquent du voisinage involontaire. De deux sociétés condamnées à vivre côte à côté sans que l’une ou l’autre ne soit prête à garder ses convictions culturelles et religieuses pour elle. Ce qui fait que cet héritage est lourd à porter pour les générations à venir ».
« Le maître-mot reste la démocratie. Surtout lorsqu’il s’agit de prendre la parole en public, s’exprimer librement, vivre librement et décemment. Mais pour en arriver là, il faut cultiver les masses, les préparer au respect de l’autre quelles que soient sa race, sa religion ou ses convictions personnelles. Il me semble que c’est pour cela que le Printemps arabe n’a pas fait long feu. Parce que nous, Arabes du bassin méditerranéen, nous ne sommes pas prêts encore à une vraie révolution ».
Jalons
1960 : Naissance à Dar Hanna en Palestine.
1980 : Cours de théâtre.
1987 : Première apparition cinématographique dans Noces de Galilée.
2001 : Séjour à Londres.
2002 : Séjour en France.
2012 : Réalisation de son film Héritage. Et participation au jury du Festival de Cannes.
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