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Youssef Diawara: Des questions d’identité

May Sélim, Mardi, 13 novembre 2012

Comédien mais aussi boxeur français d’origine égypto-malienne, Youssef Diawara n'est pas passé à côté des difficultés du métier. Dans son active carrière et avec le film Rengaine de Rachid Djaïdani, il connaît un nouveau succès au cinéma.

Youssef Diawara
Youssef Diawara

Le mercredi 14 novembre 2012 restera pour toujours gravé dans sa mémoire. Il attendait la date depuis longtemps. Enfin, le film Rengaine, réalisé par Rachid Djaïdani, sortait en salle à Paris et dans lequel Youssef Diawara, comédien français d’origine égypto-malienne, joue une scène-clé.

Il s’agit de Sabrina, jeune Maghrébine qui vit aujourd’hui à Paris. Elle aime Dorcy, un comédien africain. Le couple décide de se marier. Cela serait si simple si Sabrina n’avait pas quarante frères et que ce mariage plein d’insouciance ne venait cristalliser un tabou encore bien ancré dans les mentalités de ces deux communautés : pas de mariage entre Noirs et Arabes. Le frère aîné, gardien des traditions, va s’opposer par tous les moyens à ce mariage.

Diawara n’est pas le héros principal, mais son jeu dans une scène improvisée résume toute l’intrigue dramatique et sociale du film. Diawara dénonce avec simplicité la discrimination raciale, le manque d’ouverture et les idées traditionnelles auxquelles s’attachent souvent les immigrés. Son discours n’est ni un long slogan, ni un texte à réciter par cœur.

« Je connaissais déjà Rachid Djaïdani depuis 12 ans. Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il a une scène pour moi. Il m’a raconté l’idée de son film et j’ai accepté de le faire »,lance le jeune comédien égypto-malien de 36 ans. Il rit soudainement en se rappelant ce coup de fil puis reprend : « Sans scénario, sans budget, Djaïdani travaillait sur son film depuis 9 ans. Il a choisi son casting, et a tourné quelques scènes ». Malgré les lentes avancées dans ce film, Youssef Diawara respecte sa promesse. « J’ai quand même de la chance par rapport aux autres membres du casting. La scène était tournée depuis seulement trois ans. J’imagine les autres qui avaient déjà tourné au début ... »,précise-t-il en souriant. Malgré leur amitié de longue date, ce fut la première fois que Diawara jouait devant les caméras de Djaïdani. « C’est un beau cadeau », lance Diawara. Le tournage de la scène a été annoncé subitement.

« Rachid m’a appelé : Es-tu prêt à tourner la scène ?

J’ai répondu rapidement : Oui.

— Donc, allons-y ».

Youssef Diawara n’avait pas oublié. Le lendemain, devant les caméras, il faisait connaissance avec Kamel. Dans Rengaine, les deux ont des origines arabes et musulmanes et sont des amis de longue date. Kamel était aussi l’un des frères s’opposant au mariage entre Arabe et Africain. En plein Ramadan, ils étaient en train de rompre leur jeûne et se sont disputés. Le dialogue, le reste de la scène, leur attitude n’étaient que de la pure improvisation.

Dans Rengaine, Youssef Diawara n’a pas l’air de jouer. Il interprète sa personnalité réelle. Au cinéma, il est ce type d’Africain à son aise, qui parle vite et qui récite quelques mots en arabe avec un accent étrange. Il évoque son histoire et ses points de vue clairement, sans artifice et avec simplicité. « Dans Rengaine, j’ai tout laissé sortir »,lance-t-il.

La première du film a eu lieu au Festival de Cannes en mai dernier. Il a été sélectionné en compétition pour la Caméra d’or dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs et a remporté le prix FIPRESCI de la critique internationale. « Sur le tapis rouge, j’ai connu un grand sentiment de fierté. Une journée inoubliable », souligne Diawara.

Dès lors, Rengaine a participé à plusieurs festivals. Les prix se sont accumulés, entre autres celui de Michel-d’Ornano au Festival de Deauville et celui de la Lune d’or au Festival international du film indépendant de Bordeaux.

Malgré sa bonne réception dans les festivals internationaux et les éloges des critiques, Diawara n’est pas encore satisfait. Avec son rôle-clé, il cherche à cibler beaucoup plus le large public, à l’impressionner.

Menant une carrière de comédien depuis plus de vingt ans, Diawara est toujours conscient de l’enjeu de son métier.

A 11 ans, le hasard a fait son jeu. Se promenant dans la rue avec sa mère, le petit Youssef attire l’attention du réalisateur du Black Mic Mac. Il s’approcha de lui et lui posa la question directement : « Voulez-vous jouer dans mon film ? ». Sa mère est rapidement intervenue, avec étonnement. Le réalisateur lui a donné sa carte. « Le lendemain nous, ma mère et moi, étions sur le plateau à l’heure du tournage ». Dès lors, la carrière de comédien semble plaire aussi à toute la famille et son entourage. Diawara a toujours été encouragé par eux.

Figurant souvent dans des films policiers, des comédies, des thrillers, des feuilletons télévisés et interprétant des seconds rôles, il ne se plaint pas. « Mes rôles interprétés auparavant étaient souvent loin de moi. Je me disais, bon, c’est quand même du jeu. Je peux les interpréter. Mais avec Rengaine, l’idée était complètement différente. Je ne jouais pas un rôle. Je me suis présenté », explique-t-il.

C’est la première fois que Diawara interprète un rôle qui le touche en tant que personne et en tant qu’Africain. Il ajoute : « Tout le monde peut se retrouver dans l’histoire de Rengaine. Elle n’est pas seulement liée au rapport d’une Arabe et d’un Africain. Elle touche le côté humain ».Ce long métrage constitue pour cet acteur son « premier film engagé. Il me permet d’aller chercher au fond de moi », souligne-t-il. « Dans ma carrière, je crois que Rachid Djaïdani m’a ouvert le chemin vers une autre direction ». Y aura-t-il de nouveaux critères pour Diawara dans la sélection de ses rôles ? Se place-t-il à un autre niveau ? Les projets à venir ne sont pas encore déterminés. Il plaisante et dit en arabe dialectal « Allah aalam » (Dieu seul le sait). Mais ses yeux qui brillent témoignent de son grand espoir. Se rapproche-t-il de la célébrité ? Du statut de star ? Ce n’est plus son objectif. « Une star cherche à briller, à être reconnue partout. C’est tout à fait autre chose. La star est une personne qui met toute sa vie sous les projecteurs. Cela ne m’intéresse pas. Je veux travailler avec des gens intéressants qui veulent raconter leur histoire et toucher les gens ».

A 25 ans, Diawara a étudié les arts dramatiques pendant deux ans. Avec son expérience acquise, il est maintenant convaincu de sa compétence en tant qu’acteur. Son filmographie compte près d’une vingtaine de films, une dizaine de feuilletons. On le retrouve aussi comme un animateur d’ateliers de jeu, comme acteur sur les planches … Il éprouve de la passion pour son art et veut « pouvoir vivre de mon métier ». Mais il ne nie pas connaître des moments d’inactivité. Raison pour laquelle Diawara donne quelques cours d’interprétation ici et là. Avec aussi sa formation d’entraîneur de boxe, il donne aux jeunes quelques leçons. Ce sport de combat lui donne la force de continuer à jouer. D’une certaine manière dans le milieu artistique, il continue aussi à lutter. Avec chaque film, chaque rôle, les coups sont marquants.

Issu du mariage de sa mère égyptienne et de son père malien, Youssef Diawara est l’exemple type de la rencontre de deux cultures, avec leurs compatibilité et différences. Ce va-et-vient entre identité natale et nationalité acquise le marque profondément et rend son discours dans Rengaine sincère et vrai. Entre le Mali et l’Egypte, il ne peut identifier les différences, mais se contente de leur appartenir.

Le mois dernier, Rengaine a été projeté lors de deux séances au Caire, dans le cadre du Festival du film européen. Suite à la projection du film, Diawara était ravi de la réception du public et du fait de constater dans les rangs des spectateurs ses cousines, qui l’applaudissaient. « C’est ma deuxième visite en Egypte. Je suis content de retrouver, après 20 ans, quelques membres de la famille de ma mère », souligne-t-il.

Mais avant cette visite en Egypte, Diawara ne nie pas qu’il l’appréhendait, vu la situation instable du pays. « A Paris, j’ai rencontré un ami égyptien qui me parlait de cet état de confusion qui régnait dans le pays. Quelques jours après, Djaïdani m’a annoncé notre participation au festival cairote et m’a dit : Prépare-toi à partir en Egypte », raconte-t-il. « D’accord, je ferai le voyage », répond-il même si au fond de lui, Diawara se méfiait de tout.

Arrivé au Caire, il laisse tomber son inquiétude pour palper la réussite du film auprès du public égyptien qui connaît le sujet. Décidément, avec Rengaine, tout est question d’identité.

Jalons

1976 :Naissance en France.

1988 :Première apparition comme comédien à l’âge de 11 ans, dans le film Black Mic Mac.

1997 :Naissance de son fils.

2012 :Projection de Rengaine au Festival de Cannes (France).

14 novembre 2012 : Sortie en France du film Rengaine.

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