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Moustapha Berjaoui : Merlin l’enchanteur

May Sélim, Mardi, 04 novembre 2014

De mère égyptienne et de père libanais, Moustapha Berjaoui a décidé de faire une carrière de magicien. Il est membre de l'IMS (Société internationale des magiciens) et vient d'être nommé directeur de sa filiale locale. Lauréat du prix Merlin 2014 pour le meilleur illusionniste, il rêve de fonder une école en Egypte pour cet art en voie de disparition.

Moustapha Berjaoui
Moustapha Berjaoui, membre de l'IMS (Société internationale des magiciens) et vient d'être nommé directeur de sa filiale locale.

Lors d’une soirée au Festival CirCairo, il fait son apparition sur les planches du théâtre Guéneina, en jean, t-shirt et petite veste noire. Sur le bras droit, il avait un tatou en latin Mundus Vult Decipi (le monde veut être trompé). Et sur le bras gauche, il a dessiné un coeur pique, comme celui des jeux de cartes. Moustapha Berjaoui, mi-Egyptien, mi-Libanais, est tout simplement un illusionniste. Son show interactif a duré quelque 45 minutes, semant l’humour sur scène, déclenchant les rires parmi les rangs du public, parfois jusqu’à couper le souffle. Entre jeux d’illusion, de cartes et de danger, Berjaoui fait passer son public d’un état à un autre. Les gens sont cloués sur leurs sièges, rien que par curiosité. Parfois même, c’est la peur qui domine. Personne ne réussit à trouver une réponse aux questions inoffensives que taraudent les petits comme les grands: « Comment réussit-il ses trucs ? », répète-t-on, avec les yeux rivés sur les planches, suivant passionnément son jeu. « Je ne possède pas une force extraordinaire », lance le jeune « magicien ». Voici une qualification qu’il rejette complètement. Il faut faire très attention et choisir ses mots. Berjaoui est précis, il est le Mind Illusionniste (illusionniste mental). « Le mot magie en anglais a un autre sens qu’en arabe. La magie est plutôt le charme, l’extraordinaire. Et en arabe, le mot évoque plutôt le monde des charlatans. Si on veut vraiment parler de magie, il faut parler de la vie elle-même, des planètes, du système solaire, du cosmos », dit-il. Un philosophe ? Oui, en quelque sorte. C’est aussi un charmeur qui emporte le public vers son propre monde, celui de l’illusion.

« Mon travail se base surtout sur l’agilité des doigts, l’intelligence et plusieurs autres sciences », explique Moustapha Berjaoui. Il a bien étudié la physique, les mathématiques, la psychologie et le langage du corps. Illusionniste autodidacte, il cherche toujours à mieux apprendre les astuces et les secrets des jeux illusoires. Il est soucieux de lire tout ce qui est en rapport avec les arts de la magie et ceux du spectacle. Et il gagne de l’expérience en se produisant sur scène. « Je suis toujours en contact avec le public. Je choisis au hasard des participants parmi la foule ; il faut savoir aussi comment leur adresser la parole ».

Peut-il se tromper? Commettre une erreur sur scène? Ne pas réussir son truc devant tant de spectateurs ? Certes, cela peut arriver. Mais au bout de six ans d’expérience professionnelle, Berjaoui est à même de tout manipuler. « Chaque situation impose une solution. Je peux jongler avec les mots, recourir aux effets humoristiques, afin de camoufler une astuce ratée ou inventer sur le vif ». Devant le public, tout est possible. Sans avoir recours à des jeux d’effets technologiques ou artificiels, il est souvent seul sur les planches avec un décor simple: une table, une chaise et une serviette où sont rangés jeux de cartes, monnaies, papiers blancs et agrafeuses. Voici ses simples outils qu’il manipule avec la dextérité d’une fée, mais le jeu peut être parfois dangereux.

Imitant la Roulette Russe ou plutôt le Shooting Guns, Berjaoui utilise Cinq agrafeuses, dont une seule est munie d’agrafes. Ensuite, il choisit un assistant parmi les gens présents. Et après avoir mélangé les outils, il se met au jeu. L’assistant tire une agrafeuse au sort et s’en sert pour agrafer la main de Berjaoui. Afin d’accentuer le suspens, on fait un dernier essai sur les deux veines du cou.

Son histoire avec le monde de la magie a débuté à l’âge de quatre ans. Pour célébrer son anniversaire, ses parents ont fait appel à un magicien. Le petit, bouche bée, était complètement épris par les foulards que le magicien faisait sortir de partout et les oiseaux qui voltigeaient subitement entre ses mains. « C’était un vieux magicien dont je ne me rappelle plus le nom. Mais ce petit show est resté gravé en ma mémoire », dit-il en souriant. Quelques mois plus tard, il a demandé à sa grand-mère un cadeau spécial, qu’elle devait le lui ramener de Las Vegas aux Etats-Unis. « Elle me demandait ce que je voulais de retour de son voyage... Sans trop réfléchir, j’ai répondu inconsciemment, et sans même formuler une phrase compréhensible: Magie». Le cadeau était donc une collection de jeux magiques. Ensuite, son oncle lui a acheté plusieurs ouvrages sur la magie. A partir de 13 ans, il a commencé à exercer certains jeux, s’adressant à sa famille et à ses amis comme étant son premier public. Souvent, il était vivement encouragé par ce public familial, pour qui ce n’était qu’une façon sympathique de passer leurs moments de loisirs. Berjaoui, lui, pensait autrement. Il a créé une page Facebook, communiqué avec d’autres illusionnistes, afin d’échanger les idées. Ils fouillaient sur les sites de la magie, visionnaient des spectacles divers, pour apprendre et acquérir un style particulier. « Mes parents s’intéressaient surtout à mes études. Ils voulaient d’abord que je reçoive un diplôme qui me permet de faire carrière. C’est la mentalité de toutes les familles du monde arabe. J’étais un élève studieux qui a brillamment réussi sa scolarité », raconte-t-il.

Petit à petit, les jeux d’illusion occupaient l’esprit de Moustapha, lequel exerçait aussi la photographie et l’art vidéo. Et comme il n’existe pas d’académie pour la magie en Egypte, Berjaoui a choisi de faire des études de communication et de s’inscrire à la section Radio et Télévision. « J’aime la photographie. Je suis né dans une maison pleine d’appareils photo. De plus, les tournages m’intéressaient particulièrement. Donc, à la faculté, j’ai bien étudié le montage, la réalisation, etc. Mais la magie est restée ma vraie passion ». A 16 ans, le jeune illusionniste franchit un pas vers la carrière professionnelle. Il présente ses tours de magie sur les planches de Saqiet Al-Sawy, avec la troupe Rock Redeemers. Celle-ci invite souvent, à ses soirées, de jeunes talentueux, afin de se faire connaître. La rencontre de Moustapha Berjaoui et des Redeemers a été un véritable succès, et il a commencé à avoir des fans. Quelques mois après, Berjaoui fut invité en Chine en tant qu’illusionniste. Il acquiert une renommée internationale. De quoi constituer un défi pour un adolescent de 16 ans. « On m’a contacté à travers le Facebook. Le spectacle était inoubliable. J’étais mineur, et pour pouvoir voyager, mon père a dû m’accompagner ». Berjaoui a fait ses preuves devant un large public. Sa carrière était lancée et il n’était plus question d’abandonner le monde des jeux magiques.

Berjaoui s’impliquait de plus en plus et participait, avec ses shows, à des campagnes publicitaires lancées par des sociétés privées. De même, il multipliait les soirées artistiques et culturelles.

A travers sa chaîne sur Youtube et sa page Facebook, il attire des fans de plus en plus nombreux, en partageant ses nouveautés.

Résidant à Réhab, une banlieue du Caire, le jeune illusionniste tient de temps en temps un petit show dans les rues avoisinantes, en réponse à son entourage. Accompagné d’un magicien malaysien, Berjaoui a débuté par la performance de quelques jeux. Ensuite, tous les deux furent entourés d’une foule immense et arrêtés par la police qui ignorait quelle était leur intention. Son partenaire malaysien fut libéré, mais Berjaoui a été envoyé tout droit au commissariat. « J’ai eu de la chance. L’officier m’a reconnu car son fils était parmi mes fans. Donc pas de suspicion d’escroquerie. Et j’ai même présenté un show au commissariat, devant les gendarmes », raconte-t-il, non sans humour.

Le hasard fait son jeu, et Berjaoui a été sélectionné comme membre de l’IMS. « C’est presque un club qui réunit tous les magiciens de renom de par le monde. On y note David Coperfield, Criss Angel et autres. Le président de l’IMS, le libanais Tony Hassini, a entendu parler de mon travail à travers un ami. Après avoir visionné mes clips, il m’a appelé un jour à 4h du matin et m’a demandé de me joindre à l’association ». Une belle surprise, puisque le jeune Berjaoui est le seul Egyptien au sein de l’IMS.

Grâce aux recommandations de Hassini et d’autres membres de l’IMS, Berjaoui a reçu, cette année, le prix Merlin accordé au meilleur illusionniste en Egypte. « Le prix Merlin est divisé en différentes catégories. J’ai été l’Egyptien chanceux qui a remporté le prix décerné aux Jeux d’illusion ». Il a été ensuite nommé président de la branche de l’IMS au Caire. Et cherche à installer officiellement son bureau. « Tout d’abord, je vais creuser pour trouver les illusionnistes les plus talentueux en Egypte. A travers Internet, je communique déjà avec plusieurs d’entre eux, qu’ils soient professionnels ou amateurs. On échange des idées et des vidéos sans jamais dévoiler les secrets des jeux », dit l’illusionniste, qui aspire à fonder une école pour enseigner les tours de magie et les jeux d’illusion. « Au cours des deux dernières années, j’ai été vraiment étonné par le nombre d’Egyptiens avides d’apprendre cet art et de le pratiquer. Ils font quelques jeux de cartes, imitent quelques trucs révélés par les stars de la magie internationale, mais ils ont besoin d’un guide », souligne l’illusionniste, qui promet toujours à son public plus d’astuces et de jeux, faisant preuve d’une grande habileté.

Jalons :

12 juillet 1992 : Naissance au Caire.

2010 : Premier spectacle à Saqiet Al-Sawy et voyage pour la Chine.

2012 : Devient membre de la Société internationale des magiciens (IMS).

24 mai 2014 : Prix Merlin comme meilleur illusionniste en Egypte.

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