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Alsarah : Une voix migrante ... à perpétuité

May Sélim, Lundi, 25 août 2014

La jeune chanteuse soudanaise Alsarah connaît un succès mérité grâce aux rythmes qu'elle va puiser dans les chansons ancestrales de Nubie. Celle qui dit faire du « rétro-pop d’Afrique de l’Est » nous raconte ses passions musicales.

Une voix migrante ... à perpétuité
(Photo:Bassam Al-Zoghby)

« Reine de la musique pop nubienne et du rétro soudanais » c’est ainsi qu’elle est qualifiée par le quotidien britannique The Gardian. Elle chante dans une voix impeccable, reprend les chansons ancestrales nubiennes des années 1960 et 70, puise dans le folklore africain et présente une version nouvelle et moderne de cet héritage musical riche et varié. Alsarah est une jeune auteur-compositeur et chanteuse sou­danaise qui a tracé son chemin.

A New York où elle vit, elle libère sa voix dans un voyage continu en Afrique. « Je suis née soudanaise et je mourrai soudanaise. Tout ce qui se passe entre ces deux incidents est une longue discussion. Une migrante, voilà ma vraie identité », explique la jeune artiste dont les traits du visage, le teint et la chevelure dévoilent une beauté de l’Afrique noire.

Sa relation avec le public égyptien remonte au projet musical du Nil, lancé il y a 2 ans. Un projet réunissant 11 artistes des pays du bassin du Nil et dont l’objectif est de chanter pour le brassage ethnoculturel et l’éducation de la jeu­nesse. « Ce qui m’a intéressée dans ce projet est le fait que les musiciens participants n’ont pas de position politique claire pour ou contre tel ou tel pays. Au contraire, le projet insiste sur l’im­portance de l’unité. Quant à l’aspect artistique, c’était un dialogue riche avec d’autres artistes africains. Nous nous sommes réunis par la musique et les rythmes. Chaque artiste retrouve ses ressources et des points de similitude avec l’Autre. C’était aussi une occasion pour se connaître et communiquer les uns avec les autres ». Ainsi, Alsarah a participé au premier concert à Assouan et au deuxième à Alexandrie, dans le cadre de ce même projet.

Le mois dernier, Alsarah, accompagnée de son groupe Nubatones, a animé un premier concert cairote au parc d’Al-Azhar. Sur les planches, elle était comme une fleur. Malgré une allure simple, la chanteuse, petit à petit, se libérait, rechargeait sa voix, gagnait de l’énergie, se don­nait corps et âme aux rythmes africains. Elle a débuté sa performance par une chanson slow. Ensuite, elle a mêlé l’arabe aux mélodies souda­naises en chantant Roddo Al-Salam (échangez le salut), évoquant les salutations à un ami absent. Puis, dans Qarrab Liya Habibi (approche mon amour), elle danse avec extase, ébranlant la scène et les rangs du public.

Ses oeuvres abordent souvent une relation d’amour ou un sentiment de nostalgie. Mais aussi à niveau plus profond, Alsarah joue avec les paroles qu’elle écrit, pour parler plus ou moins de sa patrie dans chacune de ses chan­sons. Elle reprend évidemment les composi­tions ancestrales évoquant la migration et le retour des Nubiens à leur terre natale (suite à l’inondation de leurs terres après la construc­tion du Haut-Barrage et leur déplacement obligatoire). C’est à partir d’ici qu’elle a retrouvé sa voix, son style et sa raison d’être. Déterminée, elle a fondé alors son groupe Nubatones, dont les membres sont issus de différentes nationalités.

« Il n’était pas question de créer un groupe de Soudanais originaires de la Nubie. Nous sommes plutôt des amis réunis autour d’un sujet et des chansons. Nous les quatre, nous sommes des immigrés aux Etats-Unis. Rami Al-Aassar est percussionniste américain d’origine égyp­tienne. Haig Manoukian (chant) est un Arménien, le bassiste Mawuena Kodjovi est originaire du Togo », raconte Alsarah, qui déplore aussi la mort du membre septuagénaire du groupe, l’Arménien Minoukian.

« Je me rappelle qu’un jour, j’étais en train de bavarder avec Rami. Je parlais des chansons de migration en prove­nance de la Nubie. Rami, qui est d’origine égyptienne, a bien assimilé l’idée. Il s’agissait des chansons de mon enfance, l’héritage de mes parents. Et soudainement, je me suis interrogée à haute voix : pourquoi aujourd’hui on ne trouve plus personne qui interprète ces chansons ? Je veux les écouter encore une fois. Et j’ai décidé de le faire moi-même ». Ainsi est né Nubatones. Huit mois de répétition, de sélection et d’arran­gement ont alors précédé le lancement du groupe, dans un premier concert.

Ethnomusicologue, Alsarah est toujours avide de partir à la recherche de ses racines. Elle s’in­téresse à la musique et au chant dès l’âge de 5 ans. Malgré l’exil, le dépaysement, elle ne s’éloigne jamais de la musique de ses origines. Plus encore, elle savoure tous les genres : « Au Soudan, j’avais l’habitude de voler des cas­settes dans le sac de ma mère ou la serviette de mon oncle. A l’âge de 8 ans, nous avons été obligés de quitter le Soudan, à cause des remous politiques, et sommes partis au Yémen ».

Alsarah éprouve alors une véritable joie de vivre, faisant son petit bonhomme de che­min pour aller à l’école à pied. En route, elle se rend dans une petite échoppe de cassettes d’occasion. « J’économisais mon argent de poche pour acheter des cassettes. J’écoutais tous les genres de musique et je découvrais du nouveau au fur et à mesure ».

Mais à la suite d’un coup d’Etat avorté au Yémen, sa famille doit à nouveau partir, cette fois-ci en direction des Etats-Unis. Un autre monde musical s’ouvre à la jeune mélomane. La musique devient un moyen permettant à l’ado­lescente de retrouver son équilibre. Elle décide alors d’étudier l’ethnomusicologie, sans trop penser à devenir chanteuse professionnelle.

Pendant ses études, elle se produit avec quelques groupes, et l’on commence à apprécier sa voix, notamment lorsqu’elle chante en arabe.

Son diplôme en poche, Alsarah comprend que sa vie ne fait que commencer. Elle plie bagage et part pour New York. « Mes parents vivaient dans un petit Etat qui abri­tait plusieurs universités. Ma mère étant professeur universitaire et mon père un militant des droits de l’homme, on était une maison assez engagée ».

Elle poursuit : « Je me posais souvent la ques­tion : si je décide de chanter, qui va pouvoir m’entendre ? Les vaches et les animaux de la ferme ? ». Au départ, ses parents sont inquiets, trouvant que leur fille a choisi un domaine diffi­cile. D’ailleurs, pour le reste de la famille au Soudan et en Egypte, elle est toujours « Sarah la folle ».

A ses débuts, la jeune chanteuse renonce à son nom de famille et ajoute un article à son prénom, pour devenir Alsarah. « J’ai toujours rêvé d’avoir ma propre île et de l’intituler le pays d’Alsarah », plaisante-t-elle.

A New York, la jeune aventurière soudanaise passe d’une expérience à l’autre. Malgré le manque de moyens, elle lutte pour son gagne-pain, tout en découvrant d’autres horizons musicaux. Elle travaille dans des restaurants, des compa­gnies privées et chante en anglais et en arabe. « Par contre, il y avait quelque chose qui me gênait. Je ne me trouvais plus dans ce genre de travail. Je ne voulais pas être la fille d’origine soudanaise qui chantait à l’américaine. Je cherchais à être moi-même ».

Avec la troupe Sound of Tarab, originaire du Zanzibar, la situation change. Alsarah est touchée par leur musique africaine. « Le tarab en Afrique est un genre musical répandu au Zanzibar mêlé aux rythmes africains et aux airs indiens. Car le Zanzibar est un point de rencontre pour les commerçants de tous pays. J’ai travaillé avec ce groupe pendant 2 ans, et c’est là que j’ai rencontré Rami Al-Aassar ».

Mais la formation Sound of Tarab est bientôt dissoute. Alsarah continue à creuser dans le champ traditionnel ... elle découvre aussi la musique techno et élargit son expérience.

En 2013, la chanteuse collabore avec le DJ et synthétiseur français, Débruit. Vers la fin de la même année, ils lancent l’album Al-Jawal (l’éternel voyageur). Un album qui fait fusion­ner la voix d’Alsarah et les mélodies souda­naises aux sonorités électroniques.

« Les gens gardent toujours en tête que la musique traditionnelle et folklorique est une musique stagnante. Or, j’ai voulu la revivifier, soit à travers mon travail avec Nubatones (avec qui elle signe un autre album, Silt), soit avec Débruit. On n’a pas besoin de créer juste une musique contemporaine de tous les jours avec des instruments techno ou électroniques. On peut donner un air de fraîcheur aux chansons du passé grâce à des instruments essentiels et à l’arrangement ».

Alsarah comptait à l’époque sortir les deux albums en même temps, jugeant qu’ils sont représentatifs de son identité musicale. « Je ne veux pas être emprisonnée dans le stéréotype de la chanteuse soudanaise possédant un seul style ». Mais pour obéir aux règles du marché, il a fallu les lancer à quelques mois d’intervalle.

Dans Al-Jawal, elle nous emmène au Soudan. Dans Silt, elle retrouve aussi ses racines, mais en voyage du Soudan vers le reste du monde. Alsarah affirme faire du rétro-pop de l’Afrique de l’Est. « Silt est un album qui a fait connaître Nubatones au monde entier. On n’a pas eu recours à une société de production, on s’est autofinancé. L’enregistrement de cet album nous a coûté deux ans d’économies. Et pour ce faire, j’ai imposé à mes collègues des règles assez strictes, en vrai dictateur. Je mettais de côté 30 % des recettes de nos concerts pour atteindre notre objectif ».

En octobre prochain, Alsarah et Nubatones retournent dans les studios enregistrer un 2e album. En attendant, la chanteuse poursuit ses tournées musicales, emmenant toujours ses auditeurs dans des voyages lointains.

Jalons

1982 : Naissance au Soudan.
1994 : Départ aux USA.
2004 : Diplôme en ethnomu­sicologie et départ pour New York.
2010 : Fondation du groupe Nubatones et premier concert.
2013 : Collaboration avec le DJ français Débruit pour l’al­bum Al-Jawal (le voyageur).
2014 : Silt (limon/boue) pre­mier album.

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