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Hala Choukrallah : Pour le parti, corps et âme.

May Sélim, Mardi, 22 avril 2014

Présidente du parti Al-Dostour (la Constitution), Hala Choukrallah est une femme de conscience. Elle croit à la force des jeunes et à leur esprit rebelle, et se démène pour insuffler le changement par le développement.

Visages
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Depuis un mois, sa vie a complètement changé. Elle ne s’attendait pas à ce bouleversement avec son élection en tant que première présidente d’un parti politique égyptien. Hala Choukrallah vient de remporter cette fonction au sein du parti Al-Dostour. « J’ai dû répondre aux appels et demandes d’un bon nombre de membres du parti Al-Dostour, notamment les jeunes. Après le départ d’ElBaradei, le parti a souffert. Beaucoup se sont retirés et ont déclaré ouvertement leur position, d’autres sont restés. Ces derniers défendent l’existence du parti avec obstination. J’ai cru à cette force et j’ai accepté de participer aux élections », souligne Hala Choukrallah avec un grand sourire.

Elle ne s’attendait pas à gagner les élections, et ne voulait pas y penser. Elle oeuvrait pourtant en faveur des membres qui défendaient comme elle son parti. Choukrallah faisait partie du comité des 100 fondé avec Mohamad ElBaradei, et qui croyait vraiment à la révolution du 25 janvier 2011.

Soucieuse du service public, Choukrallah était loin des médias. Elle a refusé maintes interviews télévisées pour se contenter de soutenir une cause de développement humain ou politique, à sa manière. Il lui suffisait de travailler et de mener une vie simple. Le 22 février dernier a mis terme à cette ambiance paisible. Choukrallah devient présidente d’un parti. « Ce n’était pas mon choix de mener une vie différente de ma personnalité et de ma nature. Mais je respecte mon engagement et je dois assumer mon rôle », lance-t-elle sans aucun regret. Elle s’ouvre à un monde plus médiatisé et semé de controverses. Volontiers ou obligée, elle le fait avec un esprit ouvert. Sa flexibilité lui permet de s’adonner à cette nouvelle vie surchargée de rendez-vous, de conférences de presse, sans jamais oublier la gestion de son parti.

Sa réussite à devenir la première femme d’Egypte à la tête d’un parti politique a déclenché les critiques et la colère des islamistes, qui voyaient en elle juste une femme chrétienne mariée à un musulman. Donc inapte à diriger un parti politique. Les propos lancés par les islamistes constituent, en réalité, une force pour Choukrallah. « Le problème est que je n’aime pas être classifiée et j’aime briser les moules. C’est comme cela que le changement arrive. Je ne vais pas prétendre être de cette trempe mais l’exemple de Rosa Parks me fascine toujours, cette femme, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis parce qu’un jour, elle a refusé de céder sa place dans un bus à un passager blanc », lance Choukrallah. Et rapidement elle ajoute : « La révolution du 25 janvier 2011 n’était qu’une manière de briser le moule. Mais malheureusement, elle n’a pas présenté de solution alternative. Ce qui a mené à cette période de confusion. Aujourd’hui, certains jeunes déclencheurs de la révolution sont en prison, d’autres ont perdu confiance en elle vu que rien n’a changé. Les situations deviennent bizarres et incroyables. Les solutions ne vont pas se présenter sur la place Tahrir. Il faut du travail. Mais personne ne peut nier que cette unification du peuple pendant 18 jours témoigne que les discriminations parmi les personnes dans notre société ne sont pas réelles. Puisque, soudainement, on s’est réuni. Il faut juste lutter contre ce genre de divisions », estime-t-elle.

Pour l’élection présidentielle prévue en mai prochain, Choukrallah affirme que le parti Al-Dostour n’a pas de candidat. « Les membres du parti vont plutôt avoir une position claire sur le candidat soutenu. Cela à travers un référendum dans tous les bureaux du parti et dans plus de 25 gouvernorats ». Le résultat a été de soutenir Hamdine Sabahi. « C’est vrai qu’il y a une tendance à s’abstenir et à ne pas voter prochainement, mais ce n’est pas la bonne solution pour moi. Participer au vote nous permet d’exprimer une position et de réclamer nos droits. Le fait de regarder de loin ce qui se passe et jouer le rôle de l’observateur n’aboutit à rien. La participation active est la seule issue », estime Choukrallah.

Le parti se prépare surtout pour les élections parlementaires. Hala Choukrallah en est bien consciente. « Je crois que le parti doit bien se préparer à cela et s’unifier avec d’autres partis ayant les mêmes principes et directions », évoque Choukrallah.

D’une manière générale, la nouvelle présidente pousse le parti à mieux s’intégrer avec le peuple et à travailler pour lui. Les activités lancées et le travail sur le terrain constituent des stratégies à long terme confirmant le rôle du parti. « On est en phase de reconstruction », précise-t-elle.

Cette femme, à la tête d’un parti libéral qui veut avoir un rôle dans la vie politique égyptienne, n’avait jamais appartenu à une organisation politique. Choukrallah était plutôt une femme libérale, une activiste qui se dédiait au développement humain dans les ONG de la société civile. « J’ai longtemps vécu avec mes parents au Canada. De retour en Egypte au début de 1973, j’ai rejoint la faculté des lettres de l’Université du Caire pour étudier la littérature anglaise. Dès ma première année à la faculté, j’ai beaucoup découvert ». La jeune étudiante était attirée par le mouvement des étudiants qui réclamait une vie sociale démocrate, une participation à la vie politique et la défense de la terre égyptienne. Et voir ses frères emmenés en prison l’a fortement marquée. Elle a aussi expérimenté la détention pour son activisme. Alors, pour elle, il faut chercher la justice, l’égalité sociale et l’expression libre. « J’étais parmi les familles ayant des proches emprisonnés pour avoir réclamé leurs droits. Je participais à la solidarité des familles des détenus et je leur ai presque tous rendu visite. J’ai découvert que la vie n’était pas aussi rose qu’on le croyait, et j’ai touché de près le mal de ces personnes. C’était pour moi aussi un choc... ». La jeune étudiante était donc arrivée du Canada sans aucune expérience, pour soudainement être plongée dans les problèmes de la société égyptienne pauvre et aliénée.

En 1975, elle s’installe avec sa famille en Angleterre et continue ses études. Elle s’intéresse alors plutôt à la sociologie et au développement humain. Un tournant? Choukrallah avait déjà ressenti l’importance du développement social et humain. Elle étudiait afin de comprendre et participer ensuite à jouer un rôle efficace dans la société. Mais à la fin des années 1970, elle apprend la nouvelle d’être renvoyée de l’université égyptienne pour incitation des étudiants à participer aux événements des 18 et 19 janvier 1977, où le peuple s’est insurgé contre la hausse des prix. « C’était absurde. Je n’étais pas là. Et en 1979, après être revenue au Caire, j’ai intenté un procès contre l’université et j’ai retrouvé mes droits ».

Après une période de frustration de cinq ans, Choukrallah ressent la nécessité de se lancer dans le service public. L’atmosphère était encourageante avec le retour des partis politiques, le mouvement de solidarité au Liban contre l’invasion israélienne, etc. Choukrallah travaillait avec les organisations de développement de l’Onu, à l’Association des droits de l’homme et autres ONG. Elle fonda l’Association de la nouvelle femme. « Le travail dans ces ONG constituait une carrière proche de mon activisme. L’Association de la nouvelle femme était à l’origine fondée pour affronter la mentalité fondamentaliste islamique qui appelait au retour de la femme au foyer et qui adoptait un discours répressif vis-à-vis de cette dernière », explique-t-elle. Quelques années plus tard, elle fonde le Centre de soutien du développement, de formation et de conseil. Un centre qui offre aux ONG et aux fonctionnaires des stages de formation. « Après une certaine expérience, j’ai commencé à avoir une vision sur la nature de la relation entre les ONG et les personnes concernées. Parfois les gens trouvent dans les ONG des organisations alternatives qui remplacent les organismes d’Etat. Ce qui n’est pas le cas, puisque les ONG n’ont jamais le budget de l’Etat. De même, certaines ONG ne croient pas à la force des personnes et se méfient de leur ignorance. En fait, le travail n’est fructueux que si les deux parties s’entendent différemment. Il faut croire à la force des gens et ne plus les traiter comme de pauvres récepteurs. Il faut les initier et les encourager à un rôle actif ». A travers le centre, Choukrallah tâche de proposer une nouvelle vision du service public.

Entre politique et service public, le temps court. « Avant la présidence du parti, j’avais le temps de maintenir l’équilibre entre ma vie sociale et mon travail. Aujourd’hui, ce nouveau poste et ses fonctions prennent un temps fou. La semaine dernière, j’ai dû participer à la conférence des unions d’ouvriers un vendredi à 9h du matin. La fête des Mères que je devais passer avec ma fille, je l’ai célébrée au siège du secrétariat du parti Al-Dostour à Béheira … ». Un militantisme auquel elle s’adonne corps et âme, espérant qu’une société respectueuse de l’humain et du citoyen verra le jour.

Jalons:

1954 : Naissance au Caire.
1973 : Retour au Caire, intègre la faculté des lettres de l’Université du Caire et participe au mouvement estudiantin.
1984 : Naissance de sa fille.
1997 : Fondation du Centre de développement humain.
2012 : Participation au comité des 100 qui fonde le parti Al-Dostour.
2014 : Présidente du parti Al-Dostour.
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