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Hassan Khan : A la recherche du temps perdu.

May Sélim, Mardi, 01 avril 2014

Hassan Khan est en quête d’une expression hors des stéréotypes associés à l’art contemporain. Vidéaste, musicien et plasticien, cet artiste touche-à-tout expose en ce moment une sélection de ses projets artistiques résumant son parcours depuis 1997.

Visages
Hassan Khan

Quelques jours avant le ver­nissage de son exposition lors du festival D-CAF, il était absorbé par son travail dans les locaux du passage de Kodak dans le centre-ville cairote. D’un air concentré, il vérifiait l’agencement de ses oeuvres entre la première et la deuxième salle. Des installations vidéo, sculptures, bandes sonores, textes, caricatures et gravures … tous signés Hassan Khan.

Depuis une dizaine d’années, cet artiste multidisciplinaire, qui vit et travaille en Egypte, expose ses projets artis­tiques en Europe. Aujourd’hui, au Caire, il présente une rétrospec­tive de son travail, avec des pièces qui n’ont jamais été exposées en Egypte.

« Le choix de mes oeuvres exposées est fait en coordination avec la cura­trice Beth Stryker qui m’a aidé à donner une vue d’ensemble de mon travail, très varié. On a opté pour certains textes afin de mieux expli­quer le contexte. Ce sont des extraits qui constituent des éléments de com­préhension. Ces textes sont placés à proximité des sculptures, films d’ani­mation … ». Ils font souvent allusion à des références locales et sont placés en parallèle avec des sculptures décontextualisées.

« Cette disposition, cet arrange­ment crée une sorte de dialogue entre les oeuvres et permet au récepteur d’identifier et d’approcher les oeuvres différemment », estime Hassan Khan. L’exposition se tient dans deux salles. La première est un espace limité, plus intime, qui introduit le public au tra­vail de l’artiste en regroupant plu­sieurs extraits textuels. La salle B regroupe des oeuvres plus grandes, basées sur différents langages artis­tiques. Presque deux expositions en une qui permet de mieux approcher Khan et son évolution au fil des ans, depuis 1997.

Ces derniers temps, l’artiste touche-à-tout tenait ses expositions en dehors de l’Egypte. Problème de public, de galeristes ou de curateurs ? « Au contraire, cela n’a rien à voir avec le public. Cela est dû au système. L’infrastructure des arts en Egypte est très pauvre. Il y a une certaine indif­férence au sein des institutions artis­tiques. J’ai toujours voulu présenter mes oeuvres sans compromis. Durant dix ans, aucune institution ne m’a proposé de manière sérieuse d’orga­niser une exposition ».

A travers la galeriste française Chantal Crousel, Khan a eu l’oc­casion de se retrouver sur la scène internationale. « Ma rencontre avec Crousel date de 2002. Elle a apprécié mon tra­vail et m’a proposé un mois de résidence à Paris où j’ai animé plusieurs rencontres artis­tiques. Dès lors j’ai participé avec la galerie à différentes expositions col­lectives. Et en 2004, la galerie a tenu ma première exposition individuelle ».

Au début de sa carrière en Egypte, Hassan Khan avait l’intention de pénétrer les institutions officielles et gouvernementales et de s’exprimer à travers elles. Ce fut le cas avec une série de projections vidéo, de concerts et de rencontres artistiques au Palais du cinéma à Garden City ou encore à travers des galeries et espaces du ministère de la Culture.

A l’époque, il cherchait à s’imposer et à être présent à sa façon. « Je vou­lais entrer en contact avec les institu­tions officielles. L’idée était de m’im­poser au sein de ces institutions et de présenter par la suite ce que je veux réellement … Et ceci n’était pas du tout conforme à leur vision, sans doute, avoue-t-il en riant. Je sentais que j’avais une responsabilité vis-à-vis de mon travail et je me disais que ce genre devait exister quel que soit le contexte ».

Cette attitude dévoile le caractère d’un homme astucieux qui ne baisse pas les bras facilement : bien au contraire il tient à son côté rebelle. « Certes, je suis entré en conflit, lequel a engendré un froid avec les responsables de ces entités cultu­relles », dit-il en éclatant de rire. Car pour lui, ce n’est ni une déception, ni une frustration. Il a simplement conti­nué son petit bonhomme de chemin, loin d’eux.

Fils du réalisateur Mohamad Khan, le monde des arts et de la littérature le hantait depuis son âge tendre. A l’Université américaine, il a choisi d’étudier la littérature comparée. Il était presque le seul garçon de sa pro­motion, parmi tant de filles. « La lec­ture m’intéressait depuis toujours. J’ai même commencé à lire et à déchiffrer les lettres et les mots à par­tir de deux ans et demi. Je me voyais comme un écrivain ».

C’est aussi pendant ces années d’étude universitaire que le jeune Khan découvre le monde fascinant de l’expression artistique underground qu’il qualifie de « very wild » (très sauvage). Ce n’était simplement ni une aventure artistique, ni une activité amatrice mais plutôt « un mode de vie. Mes amis et moi, nous nous sommes donnés à ce nouveau monde qui s’ouvrait à nos yeux depuis l’uni­versité. C’était le moment où l’on brisait les tabous et rompait avec les préjugés. Notre cercle était plus ou moins clos », évoque Khan qui se lançait à l’époque dans la musique, l’art et toutes autres sortes de disci­plines.

Il expérimentait tout et redécouvrait tout. Dans son milieu, parmi ses sem­blables, il était très apprécié. Mais il fallait toucher le public et s’adresser aux autres. C’était l’époque de Nafas ou Nafs, une projection vidéo à l’Ate­lier du Caire, largement rejetée par le public.

« C’était une projection de diaposi­tives conçue avec mon ami Amr Hosni. La réaction du public était plutôt négative. Nous étions accusés de trahison. On nous considérait comme des agents de l’Etat hébreu ! Je me rappelle qu’un responsable du ministère a commenté la projection en disant : Nous voulions donner une chance aux jeunes pour s’exprimer mais voilà ce qu’ils font ! Nous étions ces jeunes venus d’une société refer­mée sur elle-même », raconte Khan.

C’était le moment de se découvrir, de se chercher et Hassan Khan ne le regrette pas. « Ce qu’on a présenté à l’époque était juste différent au niveau de la forme. Ça ne faisait pas partie de la culture officielle dominante et, du coup, on constituait une menace pour beaucoup. Aujourd’hui, la situa­tion a nettement changé mais les intellectuels au discours officiel exis­tent toujours ».

Khan a rédigé en 2010 un article intitulé « A la défense de l’intellectuel corrompu ». Il y disait que les intel­lectuels qui adoptent le discours offi­ciel et gouvernemental contribuent au maintien du régime politique et du statu quo.

En musique, il s’inspire de tout bord et redécouvre la musique chaabi (populaire). « J’ai toujours rejeté la musique d’Oum Karlsoum et de Abdel-Halim Hafez. Pour moi, ces chanteurs représentent la culture offi­cielle. Ce sont les responsables de toutes les calamités du pays. Les chansons pop n’expriment pas tous les sentiments du peuple et les chan­sons officielles ne comportent aucun sentiment. Alors que dans la musique chaabi, on peut trouver de la colère, des contradictions Elle est vrai­ment issue du peuple ».

Epris de musique, Khan la retra­vaillait à sa manière. Il garde dans ses morceaux un air inspiré du chaabi et le renouvelle, pour en donner sa propre version. Car Khan compose, enregistre en studio avec des musi­ciens puis fait son propre mixage sur scène, devant le public.

Impossible de cadrer Khan dans un style ou une discipline particulière : il passe de la musique à la vidéo, de la performance à la bande sonore, au texte … Parfois même il associe tous ces médiums à la fois. Bref, c’est l’exemple type de l’artiste contempo­rain, une qualification qu’il n’aime pas trop : « On se perd dans les défi­nitions de l’art contemporain ». A quoi sert une classification pareille ? Pour Khan, il suffit de travailler.

« Je crains souvent de tomber dans le piège des stéréotypes. C’est la fin, la mort totale. Je me mets souvent dans le défi du changement ». Khan varie alors le style et le médium. Il brise les présomptions. Son objectif n’est pas de commenter les événe­ments ou d’approcher un sujet précis mais plutôt de créer un monde nou­veau, d’inciter le récepteur à réfléchir.

Un objectif philosophique et idéa­liste ? Peut-être. « L’oeuvre artistique n’est pas entièrement compréhen­sible. Je ne sais pas exactement ce que je fais. Mais je le découvre au fur et à mesure : en travaillant, je com­prends autre chose … ».

Tout en créant, de nouveaux codes se déchiffrent et d’autres se forment. C’est un processus continu chez un vrai artiste. Et Khan l’est. Et avec chaque nouvelle création, il renaît.

Jalons

1975 : Naissance au Caire.
1995 : Diplômé de l’Université américaine du Caire et projection du Nafs à l’Atelier du Caire.
1997 : Première performance à l’Université américaine du Caire.
2001 : Sortie de l’album Tabla Dubb.
2004 : Collaboration avec la galerie Chantal Crousel et première exposition solo en France.
2010 : Jewel.
2014 : Exposition au passage de Kodak au centre-ville dans le cadre du festival D-CAF et nomination au prix international Hugo Boss.
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