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Fatma Omar médaillée d'or aux jeux paralympiques: L’ascension coûte que coûte

Lamiaa Al-Sadaty , Mardi, 16 octobre 2012

Fatma Omar est médaillée d’or aux Jeux paralympiques de Londres 2012. L’haltérophile détient en tout 4 médailles d'or et un record du monde. Des exploits qui lui valent aujourd’hui une inscription au Guiness Book des records.

Fatma Omar
(Photo: Mohamad Adel)

Nombreux sont ceux qui auraient baissé les bras. Mais Fatma Omar fait exception. Elle a remporté un nombre impressionnant de médailles dans des championnats réservés aux handicapés, et elle a réussi à battre tous les records dans la catégorie moins de 56 kilos. Avec son petit sourire, elle nous reçoit chaleureusement dans son modeste appartement de Hélméyet Al-Zeitoun, un des plus vieux quartiers du Caire. Elle se déplace sans fauteuil roulant ni béquilles et s’éclipse dans sa chambre … pour en sortir avec la médaille qu’elle vient de remporter il y a tout juste quelques mois. Cet alliage d’or voit inscrire sur chaque extrémité, en écriture braille et normale : Paralympiques de Londres 2012. « La médaille est si lourde qu’elle me fait mal au cou », souligne-t-elle d’un ton mécontent. Impossible de rester indifférent en touchant cette médaille d’or. Des sentiments de fierté et de gloire conquièrent le cœur. Une poésie de bonheur naît chez l’athlète.

« Je ne suis pas heureuse. Cela fait 16 ans que je participe à des championnats et à des paralympiques … A chaque fois, nous, mes collègues et moi, rêvons, d’une estime réservée aux gens sans handicap. Hélas, le bonheur que nous vivons avec chaque couronnement à l’étranger se transforme en malheur une fois que l’avion atterrit au Caire ». Le rêve s’évapore et seule reste la confrontation avec la réalité : personne ne considère leur effort. « Nous voulons simplement être traités sur un pied d’égalité que les autres ». De quel point de vue ? « Sur tous les plans : ni les médias, ni les responsables ne s’intéressent à nous. Les hommes d’affaires, eux, se hâtent afin d’organiser des soirées pour honorer les champions ordinaires et le gouvernement leur décerne des récompenses. De plus, ces stars sportives ont toujours la chance de rencontrer le président alors que nous restons toujours dans l’ombre. Je ne parle pas donc du point de vue matériel et moral. Nous avons besoin de ressentir que l’effort que nous faisons est à la fois rémunéré et gratifié ».

Comme beaucoup de secteurs, de catégories et de classes en Egypte, ces champions avaient tellement aspiré au changement qu’ils ont pensé que tout irait pour le mieux avec la révolution du 25 janvier. « Une lueur d’espoir est née avec Hossameddine Moustapha, président de la Commission paralympique, qui s’est réuni avec nous, mettant l’accent sur le rôle des médias à notre égard. Il a invité les médias à couvrir nos entraînements avant de partir aux paralympiques, pour préparer le public à nous reconnaître en tant que champions du monde dès notre retour ».

Le président Mohamad Morsi les a aussi bien accueillis avant leur départ. « Il nous a encouragés, soulignant qu’il suivait de près nos accomplissements, et qu’il s’attendait à des réalisations importantes à Londres. Cette rencontre nous a beaucoup motivés, et on est parti confiants qu’il y aurait un vrai tournant au niveau du handisport en Egypte ».

Personne ne peut nier que le comité paralympique a bien représenté l’Egypte. « C’était très touchant de voir le drapeau égyptien et d’entendre l’hymne national à Londres, en présence des autres pays du monde. Pour la première fois, beaucoup de chaînes satellites égyptiennes m’ont demandé des entrevues en direct. On nous a dit que le président allait nous accueillir à l’aéroport. Personnellement, j’ai vu la vie en rose », affirme-t-elle. Et d’ajouter : « Le choc fut que ni le président, ni le premier ministre n’y étaient ».

Ce n’était pas d’ailleurs le seul choc. Le deuxième était beaucoup plus grave ; ils ont renoncé à toutes les promesses concernant la promulgation des lois garantissant les droits des handicapés de manière égalitaire avec les sportifs normaux. En d’autres termes, un médaillé d’or a obtenu 1 million de L.E. comme récompense et 160 000 L.E. ont été destinées à tous les handicapés médaillés d’or. Cette somme a été augmentée pour atteindre ensuite 350 000 L.E. après avoir fait pression sur Al-Amri Farouq, ministre actuel de la Jeunesse. « Lors de la cérémonie organisée avec le président, un de nos collègues lui a rappelé ses promesses de traiter à égalité les sportifs handicapés médaillés et les sportifs ordinaires. Mais il lui a répondu : tu as tout à fait le droit de revendiquer cela, mais il faut aussi prendre en considération que le pays connaît, en ce moment, une situation très critique ». La question est donc : pourquoi la situation du pays est qualifiée de « critique » lorsqu’il s’agit d’handicapés revendiquant leurs droits, alors que ce n’est pas le cas avec les sportifs ordinaires ? « Il est triste de savoir qu’un pays comme l’Egypte maltraite les handicapés. On aurait bien pris en considération la situation économique précaire du pays si les récompenses avaient été diminuées pour tout le monde », explique-t-elle, affirmant que la pire des choses est de vous infliger l’indifférence.

Fatma Omar met l’accent sur la nécessité de rémunérer les champions, car ce genre de sport implique d’énormes dépenses. De quoi constituer un véritable obstacle quant à la formation de nouvelles générations.« On dépense beaucoup pour un sport pareil. D’abord, 1 500 L.E. doivent être consacrées tous les mois à l’achat des vitamines. 1 000 L.E. au moins à la nourriture, sans compter l’achat de vêtements spécifiques ». Un budget énorme qu’elle a dû verser tous les mois, pendant 4 ans : le temps de se préparer à une paralympique. Cela en l’absence quasi totale du rôle de l’Union sportive qui n’assure que les camps d’entraînement. « C’est vraiment grave de nous traiter comme des mendiants. On attend les récompenses pour couvrir nos dépenses, qui auraient dû être prises en charge par l’Union ».

Cela étant, Fatma Omar pense sérieusement à mettre un terme à sa carrière sportive, affligée par sa blessure morale. Cette décision elle l’avait déjà prise pour les mêmes raisons, à la suite des Jeux paralympiques de Pékin en 2008, à l’issue desquels elle a été médaillée d’or. Mais elle y a renoncé sous la pression de l’Union. Et bien qu’elle ait cessé de s’entraîner pendant 3 ans, elle a quand même réussi à se maintenir la forme en 12 mois pour remporter une médaille d’or et pour établir 3 records.

« Ce n’était pas facile de me préparer aux Jeux paralympiques de Londres après une longue période sans entraînement. Je suis en plus épouse et mère de deux filles dont l’aînée est scolarisée. Alors, entre les devoirs et les responsabilités de la maison … D’ailleurs, je suis reconnaissante à mon mari très compréhensif qui jamais n’hésitait à m’aider, ainsi que ma sœur ».

Enfant, Fatma a été partie des victimes d’une crise qui a secoué le pays en 1973, pendant la Guerre, à cause de vaccins périmés. « A l’âge d’un an, j’ai eu de la fièvre qui a tourné en une poliomyélite. J’ai grandi avec mon handicap et un sentiment amer d’avoir quelque chose qui manque. Ce sentiment a pris de l’ampleur avec l’école : je voyais la pitié dans les regards », raconte-t-elle. « Un handicapé a toujours besoin d’être traité comme une personne normale, sinon, il ressent une sorte d’humiliation. C’est pourquoi j’ai décidé de quitter mes études : j’étais dévorée par une crise psychologique ».Ce n’était pas la fin, mais plutôt le début d’une autre histoire. Car une championne est ainsi née. « Mes parents m’ont emmenée à l’Institut de la poliomyélite pour suivre un traitement psychologique. Là-bas, j’ai découvert un autre monde dans lequel je n’étais pas la seule handicapée ». Petit à petit, la jeune fille a commencé à trouver confiance en elle-même. « Face à l’institut, il y avait un club où se rendaient mes collègues. J’ai décidé de les joindre. Et j’étais surprise de découvrir une salle destinée à l’haltérophilie. Du coup, j’ai pris la décision de m’y lancer ».

Cette jeune fille maigre, de 39 kilos à l’époque, s’est présentée à l’un des entraîneurs et lui a demandé d’essayer de soulever 50 kilos. « Il a accepté sous ma pression et s’est étonné de remarquer ma force. Il m’a même dit que je suis faite pour ce sport », dit-elle, se rappelant cette histoire remontant à plus de 18 ans. Et d’ajouter : « J’ai cherché un sport de force pour démontrer que je n’étais pas faible et dotée d’une force qui dépassait les autres ».

Une telle décision était difficile à comprendre, surtout par sa mère, toujours inquiète quant à l’état de sa fille. « Mais mon père l’a persuadée qu’il fallait me laisser faire. 15 jours après, j’ai participé à un championnat où j’ai obtenu une médaille d’or. Depuis, mon père me traite en championne ». Fatma Omar s’exprime avec aisance, les larmes aux yeux … Elle admire son père qui a joué un rôle déterminant dans sa vie.« Il a assisté à la guerre du Yémen, et il aimait beaucoup son pays. Il m’a appris le sens de la persévérance et de la détermination », dit-elle, sans cacher son amertume.

Jalons

6 octobre 1973 :Naissance au Caire.

1997 :Médaille d’or au Championnat européen de Slovaquie.

1998 : Médaille d’or au Championnat du monde de Dubaï.

2000 :Médaille d’or aux Jeux paralympiques de Sydney.

6 octobre 2002 :Mariage.

2008 :Médaille d’or aux Jeux paralympiques de Pékin.

2012 :Médaille d’or aux Jeux paralympiques de Londres.

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