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Foued Laroussi: Le sociolinguiste intercultural

Lamiaa Alsadaty , Dimanche, 16 avril 2023

Professeur des Universités, Foued Laroussi est le directeur de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme Société (IRIHS). Il vient de publier un premier roman, en harmonie avec son identité franco-tunisienne.

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Il a sillonné à maintes reprises la ville aux cent clochers carillonnant dans l’air, selon les termes de Victor Hugo, et a passé sa jeunesse dans la ville de Maupassant et de Jeanne D’Arc, mais il garde toujours dans le coeur les souvenirs de son enfance, en Tunisie, le pays d’Aboul Kacem Echchabi et de Bayram Al-Tunisi. Le professeur Foued Laroussi a vécu tant d’histoires sous le ciel beau et bleu de la Normandie, et a côtoyé les pluies de Rouen sans jamais oublier le soleil du pays du jasmin qui fait mûrir les dattes et les olives de Sfax. Ceci dit, il est à la fois français et tunisien, rouennais et sfaxien. Et fier de l’être.

Né dans une famille modeste, où la mère est femme au foyer analphabète, et le père issu d’une école coranique, et travaillant comme négociant dans le marché des olives, le jeune Foued a grandi dans un milieu où le savoir est le vrai ascenseur social. « On n’était pas pauvre, mais on n’était pas riche, non plus. Mon père pensait uniquement à très bien nourrir ses enfants et les scolariser », raconte Foued Laroussi, en se souvenant encore et toujours des conseils que son père n’arrêtait de lui prodiguer avant qu’il ne parte en bourse pour la France : « N’oublie pas d’où tu viens ! ». Une phrase que Laroussi n’a cessé de répéter au cours de notre entretien.

« Le jour où je devais quitter la maison, afin de partir pour la première fois de ma vie à l’étranger, j’avais une sorte de boule au ventre, mais je n’arrivais pas à pleurer. Quand j’ai vu ma mère, les larmes aux yeux, avec ma soeur, ça m’a fait craquer … j’avais 19 ans … Mon père ne cessait de répéter : N’oublie pas que tu es parti pour faire tes études. Tu fais attention, et tu n’oublies pas ton objectif », poursuit Laroussi, tout reconnaissant à l’égard de son père qui lui a inculqué le respect de l’autre, le sens du partage, de la tolérance, etc.

Le jeune homme, qui a eu de très bonnes notes en terminale, a voulu faire au début des études d’anglais. Et alors qu’il se préparait pour aller s’inscrire à l’Université de Tunis, il est tombé sur une petite annonce dans la presse selon laquelle le ministère de l’Education a mis en place un concours pour sélectionner ceux qui voulaient poursuivre leurs études en France. Une candidature sur dossier qu’il a réussie. « Je suis né à la campagne dans une grande maison, entourée d’un grand terrain. A Rouen, je me suis retrouvé dans une case de 9 m2, qui était la chambre universitaire perchée à Mont-Saint-Aignan. Par ailleurs, à Sfax, on avait la véranda ouverte et toujours pleine, et on ne mangeait jamais seuls. Et, les soirées estivales, c’était pratiquement la fête. Je pleurais, en me demandant ce que j’étais venu faire ici », décrit-il l’état d’âme vécu par un étudiant dévoré par la solitude.

Quelle était l’image de la France aux yeux d’un jeune Tunisien qui s’y est installé 24 ans après l’indépendance ? « J’avais une image de la France telle que transmise par les auteurs arabes : Taha Hussein, Bayram Al-Tunisi, Farid Ghazi, Soheil Idriss, Tewfiq Al-Hakim, etc. Taha Hussein disait souvent qu’il désirait que tous les Arabes aient l’occasion de lire Alphonse Daudet, Victor Hugo, etc. Et puis, il ne faut pas oublier que la France était l’ancien colonisateur de la Tunisie. Donc pour le jeune que j’étais, c’était le pays des lumières, de la haute gastronomie, le pays des écrivains et comme Taha Hussein l’avait dit de Paris, la ville des démons et des anges ».

La première année, Foued Laroussi passe du département d’anglais à celui de la géographie, mais celui-ci ne lui a pas plu. Vient ensuite le jour où il découvre le département de français. « Je me suis dit c’est bien cela que je devrais faire. La deuxième année, j’ai rattrapé toutes les matières que je devais passer la première année. J’ai eu mon Diplôme d’Etudes Universitaires Générales (DEUG). Et c’était parti ».

L’universitaire avoue avoir un faible pour la littérature, ce qui lui a rendu difficile de choisir entre littérature et linguistique, après avoir eu sa licence. « J’écrivais de la poésie et des textes en prose. Il suffisait de lire une fois un poème arabe pour que je l’apprenne par coeur », affirme t-il. Et d’ajouter : « En troisième année, j’ai été contacté par ma prof de littérature qui m’a demandé de faire un exposé sur Agrippa d’Aubigné, un écrivain baroque du XVIe siècle. J’ai laissé de côté son cours et j’ai plutôt insisté sur la pensée de D’Aubigné en la comparant à celle d’Al-Maari dans Ressalet Al-Ghofrane (l’épître du pardon) et donc elle était très étonnée, mais elle m’a demandé si je voulais continuer en littérature avec elle, je lui ai dit : je vais réfléchir … ». Une décision difficile à prendre pour un jeune homme, qui suivait dès la deuxième année des cours assurés par le père de la sociolinguistique française Jean-Baptiste Marcellesi. « En effet, il m’a attiré parce que j’intervenais souvent dans ses cours, et parfois même j’osais exprimer mon désaccord, surtout lorsqu’il s’agissait de cours sur la diglossie que je comparais au monde arabe ». Il se souvient encore du jour où Marcellesi lui a demandé d’assister au groupe de recherches en sociolinguistique. « J’étais le plus jeune étudiant qui assistait à l’époque à ce groupe ; les sociolinguistes rouennais étaient en train de théoriser sur la linguistique rouennaise. Du coup, j’ai sacrifié le choix du coeur, le côté créatif et fantaisiste, pour la linguistique qui est plus rationnelle ».

De nos jours, Laroussi renoue avec sa passion pour l’écriture littéraire, puisque son premier roman, Pavillon Claude Monet, vient de paraître aux éditions AC. Il s’agit d’une autofiction qui dresse un voyage dans le monde de la culture et du savoir, en ayant comme intrigue une histoire d’amour. Il porte le nom de la cité universitaire où il a habité pendant les six premières années passées en France. Mais pourquoi écrire en français ? « Etant donné que je ne vis pas dans un environnement arabophone et que depuis 40 ans je n’écris que des articles scientifiques en français, et que je lis surtout en français, j’ai un petit peu basculé dans l’autre langue. Quand je rêve même, je parle en français. C’est vrai que je parle parfaitement le tunisien, et j’écris l’arabe standard, mais les mots ne me viennent pas facilement ».

Après être devenu un spécialiste reconnu de la langue de Molière, l’image de la France a certainement changé. « La France est devenue mon deuxième pays, puisque je suis devenu français depuis les années 1990. Je n’ai plus le regard du jeune rêveur. La France m’a tout donné sur un tapis rouge. Une fois que j’ai eu ma licence, j’ai eu une bourse pour faire ma thèse, j’ai été recruté par la suite en tant qu’attaché temporaire d’enseignement et de recherche pendant un an, puis recruté en tant que maître de conférences. J’ai mes racines en Tunisie, mais la France, j’en suis redevable ». Vit-il un tiraillement ? « Absolument pas. Je me sens à la fois tunisien et français. C’est une richesse qui m’a beaucoup servi dans ma vie professionnelle. J’ai essayé de faire un compromis … une seule identité, mais composite. Ce sont les situations qui exigent de mettre en avant telle composite au détriment d’une autre, je suis francophone, mais aussi arabophone. Pour moi, la francophonie n’est pas la négation de l’arabophonie. Et inversement ».

Pour affirmer sa perspective, Laroussi raconte une anecdote pour dire que dès le départ, il n’était pas dans le tiraillement: « Un jour, j’allais chercher mon fils à l’école maternelle. Après l’avoir installé dans son siège, il m’a demandé : papa je suis français ou tunisien ? Alors je lui ai répondu : tu es les deux. Et là, il m’a tendu la main, en me disant le côté plus blanc est français, l’autre est tunisien ? Je lui ai dit : non, être français ou tunisien n’a rien à voir avec la couleur de la peau. Et puis, quand on est à la fois tunisien et français, c’est qu’on a deux choses. Et deux c’est mieux qu’un. Deux bonbons ou un seul ? Il m’a répondu gaiement : deux, bien sûr ».

Foued Laroussi a toujours gardé dans le coeur la Tunisie des années 1980, la petite Suisse du Maghreb avec tout ce que Bourguiba avait mis en place dont, entre autres, une diplomatie raisonnée. Toujours attaché à ses racines, il n’a de cesse effectué des recherches sur l’espace francophone, notamment le Maghreb. Cela étant, il a organisé en mars dernier une semaine de la Francophonie brillamment réussie, avec la Tunisie comme invitée d’honneur (N’oublions pas aussi qu’elle est le pays fondateur de la Francophonie), et un focus sur l’Orient avec l’Egypte comme exemple. Sa vie durant, il a compris parfaitement bien d’où il venait, c’est pourquoi il a su où il allait.

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