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Ireny Estmalek : Génie en génie

Lamiaa Alsadaty , Dimanche, 19 mars 2023

Ingénieure environnementale, Ireny Estmalek a réussi à se forger une place dans ce domaine malgré les défis. Vice-présidente de la commission allemande pour la coopération internationale, elle a conçu et supervisé la construction d’une station d’épuration des eaux usées à Al-Gabal Al-Asfar, la plus grande du genre au Moyen-Orient.

Ireny Estmalek

Une dame dévorée d’ambitions. C’est ainsi qu’on pourrait décrire, en quelques mots, l’ingénieure égyptienne Ireny Estmalek. Il suffit de lui dire qu’elle est incapable de faire une telle chose pour qu’elle s’acharne à la faire. Le mot « impossible » ne fait pas partie de son lexique. « Suite à mon mariage, j’ai quitté Le Caire pour habiter une ville dans les périphéries wde Francfort. A l’époque, je ne parlais pas un mot en allemand. Des amis m’avaient dit qu’il fallait attendre trois années pour pouvoir parler couramment cette langue. Or, j’ai insisté à l’apprendre à travers la télé, la radio, des cours de langue privés, etc. Et au bout de trois mois, je suis devenue parfaitement germanophone ! », raconte-t-elle, fière de sa réalisation. Et d’ajouter modestement: « Je ne possède pas de super-pouvoir, mais j’ai été motivée par le désir d’aller à la rencontre de ce nouveau monde qui m’entoure. Ne pas parler sa langue conduit à un sentiment de renfermement qui ne va faire qu’augmenter ce sentiment misérable d’isolement, surtout qu’il y a toujours un écart entre le monde où j’étais et là où je me suis installée ».

Née au Caire et ayant grandi dans une famille où les tantes, les oncles et les grands-parents constituent des acteurs incontournables de soutien et de stabilité, elle était toujours habituée à assister à des réunions de famille tous les week-ends et à toutes les occasions. « Mon père était une personne aimable, intelligente, puissante. Bref, je pourrais dire qu’il était le principal moteur de ma vie. Ma mère, quant à elle, une femme au foyer gentille et tendre, agissait toujours en tant qu’amie proche », souligne-t-elle, émue. Et d’ajouter: « Etant donné qu’on est 4 soeurs, on nous a appris, toutes petites, le sens de la responsabilité. Et étant la fille aînée, j’étais toujours remplie de zèle pour prouver qu’avoir seulement des filles n’est pas un manque ».

La petite fille qu’elle était avait une relation particulière avec son père. Propriétaire d’une entreprise de construction, il n’avait jamais explicité son désir de la voir ingénieure. « Or, je l’ai toujours ressenti et je voulais réaliser son désir. Et c’est grâce à lui que j’ai appris que vouloir c’est pouvoir ». Studieuse, elle a décroché le bac avec un grand pourcentage. Du coup, elle s’est inscrite en ingénierie. Mais pourquoi choisir le département de génie civil et se spécialiser en génie de l’environnement? « C’est parce que j’ai trouvé que c’était le département qui convenait le plus à ma personnalité. Il exige beaucoup de déplacements et requiert de la supervision. C’est une spécialisation interdisciplinaire qui exige un travail d’équipe. En outre, le génie d’environnement est une sous-branche qui cherche à développer des moyens de résoudre les problèmes liés à l’environnement. Les ingénieurs environnementaux sont toujours impliqués dans les efforts locaux et mondiaux de protection de l’environnement, tels que le contrôle de la pollution de l’air et de l’eau, le recyclage et l’élimination des déchets. Et je trouve que c’est un domaine très intéressant et important ». Ireny Estmalek avoue avoir la chance de travailler au bureau Misr pour l’ingénierie environnementale, dirigé à l’époque avec Michael Saliba, un grand ingénieur expert en la matière. « C’était un vrai contact avec le réel. J’ai appris à tout faire à la main. C’était avant les logiciels conçus pour faire les designs des projets. J’ai balayé une bonne partie du territoire égyptien pour relever des mesures ou faire des designs ».

Toutefois, elle n’avait pas pu se défaire d’un certain sentiment d’insatisfaction. « J’avais toujours eu un penchant pour la littérature et j’avais des tentatives d’écriture. Par ailleurs, jamais je n’avais autre désir que d’être ingénieure ». Et pourquoi ne pas faire les deux professions adorées? C’est ainsi qu’Ireny a réussi à saisir son bonheur. « Parallèlement à mon travail d’ingénieure, j’ai travaillé dans la programmation à la chaîne Nile TV et à l’association Zahra pour le patrimoine national, pour laquelle j’ai assisté à l’écriture du scénario d’un documentaire sur la Sainte Famille ». Entre amis, famille et deux types de profession tout à fait différents, Ireny avait mené en Egypte une vie bruyante et bien remplie. Cependant, avec son départ en Allemagne, tout s’est calmé.

« Ce n’était pas facile de quitter une vie si dynamique, mais je me suis mariée avec un homme qui résidait en Allemagne et je devais l’accompagner. J’avais aussi le sentiment d’avoir accompli tout ce que voulais faire », déclare-t-elle. Nouvelles coutumes, habitudes, manières de faire, de penser, d’appréhender le monde et de fonctionner au quotidien, langue étrangère, tout paraît différent et difficile à ce moment-là, et parfois même très déstabilisant. Que faire pour s’en sortir? « Il faut savoir se mettre dans une position d’apprentissage et chercher à construire un nouvel équilibre grâce à l’adaptation. Cette période d’acclimatation exige beaucoup d’énergie », affirme-t-elle.

L’expatriation n’est pas seulement un voyage physique, mais bien aussi un déplacement psychique. Et les défis ne cessaient de s’imposer au cours de ces déplacements. Après avoir donné naissance à une fille et un garçon, Ireny Estmalek a bien voulu reprendre son rythme de vie normal. « Je me suis mise à chercher un emploi. Mauvaise surprise : mon diplôme n’était pas reconnu en Allemagne. Il fallait donc que je fasse des études dans une université allemande, sinon travailler dans un domaine autre que l’ingénierie », évoque-t-elle. Deux options qu’elle a complètement écartées. Et comme elle avait un désir ardent de travailler, elle a fait une demande pour s’entraîner dans l’autorité locale de drainage. Une façon d’acquérir de l’expérience dans un environnement différent et de découvrir un système qui lui est nouveau. Au cours de cette formation, Ireny entend parler d’un immense projet à concevoir par l’autorité de drainage: transformer une base militaire utilisée pour laver les chars américains pendant la Seconde Guerre mondiale en une station d’épuration. Une idée lui a traversé l’esprit: demander à l’autorité de drainage de lui donner la chance de concevoir ce projet, qu’elle élaborera gratuitement, volontiers. « Normalement, une demande pareille n’aurait pas pu avoir d’écho. Mais faute de temps, l’autorité l’a acceptée », précise Ireny, toute reconnaissante à Dieu dont les merveilles ont changé le cours de sa vie.

« J’ai réussi à concevoir et à transformer cette station de lavage en une station d’épuration des eaux usées en six mois et à moindre coût. Les ingénieurs allemands en étaient surpris: ils avaient déclaré l’impossibilité de cette transformation », sourit-elle.

En réaction à cette grande efficacité, le diplôme d’ingénierie d’Ireny a été reconnu. Et avant l’inauguration officielle de la station, elle a été embauchée à Passavant Rödiger, la plus grande société allemande spécialiste dans le domaine de l’ingénierie et de la construction de stations d’épuration des eaux usées et de stations de traitement des déchets, etc. Un point de départ pour concevoir, grâce à cette société, des projets en dehors des frontières: Iraq, Tunisie, Turquie, Vietnam, Kosovo… Et en 2014, c’était le tour de l’Egypte.

« Une station d’épuration des eaux usées a été mise en place à Al-Gabal Al-Asfar au gouvernorat de Daqahliya. A raison de 130 millions d’euros, la phase 2 traite 500000 m3 d’eaux », souligne-t-elle, tout en mettant en valeur une idée qu’elle avait déjà avancée lors de la conférence Misr Tastatie bel Sénaa (l’Egypte peut par l’industrie), tenue au mois de mai dernier. « Dans un monde qui souffre de problèmes d’énergie et de coûts élevés, la cartographie des investissements industriels a changé. L’Egypte détient toutes les composantes nécessaires pour se lancer dans la fabrication de ce dont l’industrie environnementale a besoin. Il faut juste avoir une bonne planification avant de passer à la réalisation ». La planification, un mot-clé dont elle a certainement appris le sens en Allemagne.

« J’ai appris des Allemands la précision et l’importance de mettre en place un système. Car c’est grâce à celui-ci que la vie devient plus facile. En outre, j’ai également appris qu’aucune question n’est bête: c’est l’une des voies de la découverte et de l’apprentissage ». Ireny énumère ainsi les bénéfices qu’elle a tirés de son pays d’accueil. Toutefois, elle a refusé de porter sa nationalité. « Je ne peux pas renoncer à mon identité égyptienne. L’égyptianité constitue ma manière d’être », conclut-elle.

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