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Hanada Taha : L’ardente défenseure de la langue arabe

Lamiaa Alsadaty , Dimanche, 26 février 2023

Professeure de chaire de langue arabe à l’Université Zayed aux Emirats arabes unis, Hanada Taha rompt avec toutes les représentations stéréotypées de l’enseignant de la langue arabe. A travers des vidéos courtes, simples et claires, elle incite le public à remettre en cause des idées reçues.

Hanada Taha

Tirée à quatre épingles, son regard vif est rapidement bonifié d’un large sourire : « Ahlan ! Ahlan ! » (vous êtes les bienvenus), c’est ainsi que Hanada Taha commence toujours sa vidéo quasi quotidienne. Avec une grande présence devant la caméra et une intro attirante, le public est déjà incité à continuer à regarder chaque fois qu’elle poste un nouvel enregistrement. Normal. D’abord, elle porte bien son nom : Hanada signifie la gentillesse et la sympathie. Et celles-ci se lisent bien sur son visage. Puis, les thèmes qu’aborde cette professeure passionnée sont très intéressants : la langue arabe estelle difficile ? Combien de mots doivent apprendre les étudiants chaque année ? Les proverbes comme médium d’enseignement de la langue arabe … Et, au bout de quelques secondes, le public se trouve, à l’instar des étudiants, totalement impliqué : la prof clôt sa vidéo de quelques minutes par « Pensez-y ! ». Impossible donc de renoncer à l’orientation d’une bonne professeure qui accorde une grande importance à la forme de communication qui questionne, interpelle et surprend. Par conséquent, l’on est poussé à imaginer l’environnement d’enseignement qu’elle crée.

Certes, elle fait partie de ces enseignants qui savent établir une relation directe avec leurs étudiants, qui les considèrent comme partie intégrante du processus d’enseignement, qui leur donnent la parole et les écoutent. Bref, elle sait mettre en place des situations d’apprentissage susceptibles de les motiver. Hanada Taha est une incarnation de la citation de son concitoyen le grand poète libanais Jibran Khalil Jibran : « Les souffrances ont donné vie aux plus grandes âmes, les personnages les plus éminents portent en eux des cicatrices ».

Fille de la guerre civile libanaise, elle avait 5 ans lorsque ce conflit a éclaté. « J’ai grandi au sein d’une famille aimable. Ma mère était une femme au foyer, mon père faisait partie des petits exploitants. Il était réputé dans notre entourage pour chercher toujours à venir en aide à ceux qui en ont besoin », racontet- elle, émue. Et d’ajouter : « Il a été tué alors que j’avais 10 ans. Une douleur fulgurante, qui s’est amplifiée encore par la mort de mon frère aîné, tué lui aussi six ans plus tard. Pour ce, à un très jeune âge, je me suis rendu compte d’une réalité : tout peut être détruit ou volé en un clin d’oeil, sauf le savoir. Celui-ci reste avec l’homme jusqu’à sa mort. J’ai ainsi appris que c’est le savoir qui a la vraie puissance et non pas la guerre ». La jeune fille a décidé, depuis, de mobiliser toute sa force pour se confirmer. Au bac, elle a été classée première au niveau de 50 écoles. Les portes de l’Université américaine de Beyrouth lui ont été ainsi ouvertes. Son coeur balançait entre deux spécialisations : langue arabe ou psychologie. « Or, ma mère a crié : Impossible ! On ne gagne pas sa vie avec la langue arabe ! Et comme je devrais à l’époque remplir un formulaire avec trois choix, j’ai écrit en premier psychologie, puis en deuxième arabe et en troisième business ».

Le fait que la psychologie a été sur sa liste de préférence était-il lié au contexte embrouillé qu’elle a connu ? « Tout à fait. A l’époque, j’ai pensé qu’il fallait étudier la psychologie pour comprendre la vie. Or, avec le temps, j’ai découvert que ce n’est pas vrai. Les expériences de la vie sont plus susceptibles de le faire ». Heureusement, à la faculté, il a été obligatoire d’étudier la langue arabe. « J’ai été formée par de grands professeurs, à l’instar de Nadim Neïmi et Ramzy Baalbaky. Ma passion pour la langue arabe n’a cessé de grandir ». Pour ce, elle a fait en parallèle un diplôme en éducation. De quoi lui avoir appris comment dresser un programme éducatif et suivre des méthodes d’enseignement moderne. Un domaine qui s’avère complémentaire à la psychologie. « Malheureusement, les professeurs de langue arabe ne regardent pas dans les yeux de leurs étudiants. Ils n’instaurent pas de dialogue avec eux. Du coup, la communication est interrompue. Les cours d’arabe deviennent donc monotones et lourds. Et ce, à l’encontre des cours d’anglais, par exemple, qui sont interactifs et débordent de dynamisme. Par conséquent, les étudiants renoncent à l’apprentissage de l’arabe », regrette-t-elle. Mais en tant qu’experte en la matière, qui a déjà conçu des programmes pour un nombre de pays arabes tels le Maroc, Bahreïn et la Jordanie, croit-elle que les défis connus par la langue arabe soient communs à tout le monde arabe ? « Evidemment, il existe un dénominateur commun : le marketing nous manque tous. Il suffit d’observer l’image du professeur d’arabe véhiculée par les films. C’est toujours une personne antipathique, modeste et hors du temps. Ainsi, l’ensemble des représentations construites n’est ni en faveur de la langue, ni de celui qui l’enseigne. Et il devient normal, par conséquent, de voir des sociétés contre cette profession. Une profession qui ne donne pas de pain, comme l’avait dit ma mère », souligne Hanada, enthousiaste. Et d’ajouter : « Il faut absolument aborder l’enseignement de la langue arabe avec une nouvelle optique. Il faut le gérer en tant qu’un modèle commercial et financier. Il faut y mettre de l’argent pour avoir des bénéfices. Les programmes sont à revoir, et les enseignants ont besoin d’une formation bien planifiée ».

Mais le fait que la langue arabe soit revêtue d’un caractère sacré n’empêche-t-il aussi son évolution, ce qui risque de la rendre figée ? « Le Coran est sacré. La langue arabe ne l’est pas. Sinon, elle aurait dû disparaître aujourd’hui comme le latin. La langue arabe est vivante, dynamique : son lexique ne cesse de s’enrichir. D’ailleurs, elle n’est pas une langue difficile. Et il n’y a pas non plus de mauvais élèves-étudiants. Ils sont victimes, en fin de compte, d’un mauvais enseignement », estime-t-elle. Contrairement à de nombreux linguistes, Hanada Taha ne voit dans la diglossie fosha (arabe soutenu)-ammiya (arabe dialectal) aucune rivalité. Elle conçoit que le dialectal pourrait être un pont conduisant au soutenu. « Beaucoup de termes du dialectal sont à l’origine issus du soutenu. D’ailleurs, il faut s’arrêter d’hyper-corriger les enfants en phase d’apprentissage de la langue. Il faut, cependant, les initier à s’exprimer en dialectal, puis passer petit à petit vers le soutenu », insiste-telle. Et de poursuivre : « Notre identité est façonnée par ces deux registres. A chacun sa place. D’ailleurs, des fragments d’ici et de là s’infiltrent et s’interfèrent merveilleusement dans nos discours quotidiens. Nous profitons d’Oum Kalsoum lorsqu’elle chante des poèmes ou interprète des chansons. Cette diglossie fait partie intégrante de notre identité. C’est ainsi que fonctionne notre langue qui véhicule nos valeurs, qui transporte toute la culture. Une langue certes ancienne, mais qui a su se transformer, évoluer et s’adapter à toutes les époques ».

Hanada prend en charge la défense de la cause de la langue arabe. A travers des vidéos courtes, elle partage ses études ou celles des autres avec un public qui devient assoiffé des informations nouvelles et de communication sans égale. Mère de deux filles, Yasmina et Raya, qui sont nées et ont grandi aux Etats-Unis, Hanada est fière d’avoir pu leur inculquer la langue arabe. « Elles se sentent plus arabes qu’américaines, bien que leur père soit américain », affirme Hanada, pour qui l’identité est un choix. « Quand elles étaient encore petites, je ne parlais avec elles qu’en libanais orné de quelques mots d’arabe soutenu. Elles écoutaient toujours Faïrouz et Oum Kalsoum, et jouaient au piano leurs chansons, même si parfois elles ne saisissaient pas tous les mots ».

En tant qu’excellente enseignante, elle leur avait offert un environnement qui leur a permis d’atteindre leur plein potentiel : « Yasmina a fait du business et de l’entrepreneuriat, et Raya s’est spécialisée en kinésiologie. Et je ne leur ai rien imposé ».

Faute d’une vie sociale bruyante, Hanada avoue se donner entièrement, aujourd’hui, à son travail qu’elle est heureuse de faire. Directrice du centre Zay pour les recherches académiques centrées sur les méthodes d’enseignement de la langue arabe et du développement des compétences des enseignants, elle est toujours bien préparée, enthousiaste, préoccupée par le travail bien fait.

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