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Ahmed Nader Galal : L’homme qui a le cinéma dans le sang

Lamiaa Alsadaty , Samedi, 15 octobre 2022

Issu d’une grande famille cinématographique, le réalisateur Ahmed Nader Galal a pu se faire une place sur le grand et le petit écran tout en se démarquant de sa famille. Il travaille sur son nouveau film Al-Serb (l’escadron), prochainement en salle.

Ahmed Nader Galal

Il a attrapé très tôt le virus du cinéma. Et, c’est normal. Car la cinéphilie n’a pas sauté de génération dans sa famille. Sa grand-mère Mary Queeny, actrice et productrice, compte parmi les pionnières du cinéma égyptien. Son premier rôle remonte à 1929, dans le film Ghadat Al-Sahara (la rose du désert). Elle a ensuite joué dans tous les films produits par sa tante maternelle Asia Dagher, qui est venue, ainsi que sa soeur, habiter au Caire en 1919, après l’occupation française de la Syrie et du Liban.

Dagher s’est lancée dans le cinéma depuis 1926. Un an après, elle a fondé une première société de production cinématographique, Lotus Film, produisant une bonne partie des films dans lesquels elle jouait ; elle collaborait avec le réalisateur, journaliste et scénariste Ahmed Galal, qui a fini par épouser sa belle nièce, Mary Queeny. Ensemble, ces derniers ont fondé le fameux Studio Galal, qui existe toujours dans le quartier de Hadaëq Al-Qobba.

Ahmed Galal sénior, son grand-père, avait plusieurs cordes à son arc. Outre la réalisation, il était comédien, producteur et propriétaire d’un grand studio. Il est mort jeune, alors que son fils Nader avait trois ans; du coup, celui-ci a été essentiellement élevé par sa mère Mary Queeny, jusqu’à devenir l’un des grands réalisateurs des années 1970, 80 et 90. Pendant des décennies, il a enquillé et tourné avec les plus grands acteurs. «  Ma grand-mère vivait avec nous. Quand j’ai grandi et que j’ai commencé à me rendre compte que ma grand-mère est Mary Queeny, elle avait déjà cessé de jouer dans des films. Toutefois, elle n’avait jamais cessé de me conseiller de faire ce que j’aime dans la vie, d’aimer mon travail, d’être toujours patient et de ne jamais précipiter les résultats ». Des conseils qu’Ahmed Galal junior mémorise encore et cherche à appliquer sans hésitation. Ce qu’il aime le plus, c’est le cinéma. Il l’a déjà compris dès son âge tendre. Apparemment, dans cette famille, ils ont le cinéma dans le sang. Et lui, il a même hérité le physique et le nom de son grand-père, ainsi que la patience et la détermination de son père et de sa grand-mère.

« Enfant, j’avais l’habitude de me rendre, avec mon père, aux plateaux et aux salles de montage. Sombres, ces salles étaient pour moi un véritable lieu de magie que j’adorais », se souvient Ahmed Galal junior, qui a trouvé dans le septième art le lieu idoine où concilier ses passions. « Le cinéma m’était la plus belle distraction au monde. Avec mon père, j’avais vu Star Wars, Jaws, etc. des films qui m’ont beaucoup influencé ». Et les films de son père? Et ceux de son grand-père ? « Evidemment, oui, j’ai vu les films de mon père. On ne cessait d’en discuter ensemble. Je critiquais même certaines scènes, et il m’a toujours écouté. Enfin, à chacun son point de vue. Lui-même a aussi critiqué mes films : dans Abou-Ali, il n’a pas aimé la partie où il y avait le voyage des Oasis. Par ailleurs, elle a été très bien reçue par le public et était considérée comme l’une des meilleures parties du film », souligne-t-il. Et d’ajouter: « Mais, pour les films de mon grand-père, on avait deux films VHS, et d’autres qui passent à la télé… Au début de mon parcours, je détestais cette phase du cinéma égyptien, jugeant que le style était théâtral dans le sens où le récit est direct, l’interprétation des comédiens était directe. Or, mon père ne cessait de m’expliquer que c’était la tendance de ce temps et qu’il fallait voir les choses en les mettant dans leur contexte. Bref, il ne faut pas appliquer les règles d’aujourd’hui sur les films d’antan ».

Depuis son jeune âge, Ahmed Galal n’avait jamais pensé à faire un autre métier. « Cette décision a comblé mon père et ma grand-mère. Ils voyaient qu’ainsi, je pourrais prendre la relève et poursuivre le parcours familial ». Mais, suit-il vraiment les pas de son père? « Je poursuis le trajet cinématographique de mon père et de mes grands-parents. Mais cela ne veut pas dire forcément que je dois ressembler à l’un ou à l’autre. On est différents vu le temps auquel l’on appartient et le contexte dans lequel l’on vit», explique Ahmed, tout en affirmant qu’il avait de la chance d’être né au sein de cette famille et qu’il n’avait jamais pensé au fait que les gens allaient le comparer à son père. « Penser de la sorte aurait pu avoir un impact négatif sur mon parcours », lance-t-il.

Mais, si Ahmed Galal a décidé de marcher sur les plates-bandes de sa famille, sa fille ne l’a pas fait. « Elle est libre de choisir ce qu’elle veut. Personnellement, je n’ai jamais cru qu’elle voulait se lancer dans le domaine, surtout qu’elle n’a aucun penchant pour le cinéma ». Une rupture avec la tradition familiale ? « Pas de soucis. L’essentiel c’est de réussir dans le domaine de son choix ».

Dans ses oeuvres, il aime bien aborder des sujets comme la corruption, l’injustice sociale, etc. Mais en tous les cas, n’allez pas dire à Ahmed Galal qu’il a des thèmes de prédilection. Car il n’aime pas ce genre de catégorisation. « Je cherche de bons sujets, puis le style s’impose ». Ainsi, il a passé de la comédie politique dans Ayez Haqqi (réclamer son droit), qui s’attaque à la privatisation, problématique du secteur public, à l’action dans Abou-Ali, relatant une histoire d’amour entre un jeune homme modeste, qui travaille de temps en temps avec des hors-la-loi, et une fille issue de la classe aisée. Ce dernier film a eu d’ailleurs un succès fou, lui permettant d’enchaîner des films et des séries de tout genre.

Il en est de même pour ses oeuvres pour la télévision, tout en variant les genres, il va de succès en succès, comme le feuilleton de suspense Kafr Delhab (le bourg de Delhab) ou la science-fiction avec Covid-25. « A la suite de la Révolution du 25 Janvier 2011, le cinéma était abandonné. Je devais quand même travailler, d’où le recours à la télévision. J’ai pensé alors introduire des genres nouveaux, et heureusement, mes tentatives ont eu du succès. Spielberg s’est frotté au format. Enfin, c’est un médium comme les autres », fait-il remarquer.

Ahmed Galal a montré la voie en faisant le pont entre des oeuvres intellectuellement exigeantes et la pop culture, et entre le cinéma et la télévision. D’ailleurs, à l’encontre de certains cinéastes, il conçoit que les plateformes pourront rendre au cinéma ses lettres de noblesse. Car elles font monter la concurrence. « La magie et le glamour du cinéma, ainsi que la réception collective d’une oeuvre ne peuvent jamais passer au petit écran. Ces éléments resteront l’apanage du cinéma ».

Le cinéaste tente de ressusciter tout ceci en tournant actuellement son nouveau film Al-Serb (l’escadron) qui aborde des incidents réels dont l’assassinat brutal de 21 Egyptiens coptes en Libye par un groupe terroriste, ainsi que les frappes aériennes égyptiennes intervenues quelques heures après la diffusion de la vidéo montrant la décapitation des victimes par les djihadistes. « Le défi est de faire un film à la fois artistique et commercial, et non pas un documentaire. C’est un film qui doit être regardé sur grand écran ». Galal espère être à la hauteur du défi.

Toutes les fois qu’un de ses films sorte en salle, il bombarde ses proches de questions : « Avez-vous vu le film? Dans quelle salle ? Le son était bon ? ». Le cinéaste est perfectionniste, tatillon sur le caractère sacré des salles de cinéma. Aucun détail ne lui échappe. Il fait attention à chaque plan, à chaque scène, pour assurer la cohérence de l’oeuvre. Lumières, décors, son, mouvement des caméras... rien n’est laissé au hasard.

Il visionne au fur et à mesure ce qui a été filmé, avant de donner ses directives au monteur qui choisit et assemble les différents plans du film. Galal fait sans cesse preuve d’imagination et de créativité à chaque fois que cela est nécessaire. Il sait imposer ses choix et les faire respecter. A lui d’user de diplomatie, de persuasion ou d’autorité, selon le cas. C’est ainsi qu’il a réussi à se faire un nom, au-delà de son héritage familial.

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