Les hommages, il en a l’habitude. Il a été déjà honoré au Festival du théâtre arabe organisé par l’Association des amateurs du théâtre au Caire en 2007, au Festival du monodrame au Koweït en 2019, etc. Fahad Redah Al-Harthy est un dramaturge, pionnier du théâtre nouveau en Arabie saoudite, qui a signé plus de 50 pièces. Ses textes dramatiques expérimentent surtout au niveau des dialogues et des indications scéniques et misent sur le rapprochement entre les genres littéraires. En fait, il est considéré comme le parrain du théâtre saoudien. « J’ai un rapport particulier avec le Festival du théâtre expérimental en Egypte ; c’est le plus grand du monde arabe et j’y assiste depuis 1994. Mais ma première participation active date de 1997, ayant présenté ma pièce de théâtre Al-Fanar (le phare). Ce festival m’a poussé à m’interroger davantage sur le théâtre, son évolution et les modes de l’expérimentation », souligne Al-Harthy, insistant sur son sentiment de gratitude. Pour ce, il se sent fier d’être honoré à ce festival qui a contribué à former sa culture théâtrale et son expérience en tant qu’auteur. Sur les réseaux sociaux, il tient à évoquer les soirées passées au Caire, les rencontres entre amis, les colloques thématiques, etc. « Après la suspension du festival de 2011 à 2015, puis la crise du coronavirus, le festival est en cours de rétablissement », estime le dramaturge saoudien.
Pour lui, le théâtre n’a jamais été une simple profession, mais tout un univers, une partie intégrante de sa vie. « Au théâtre, on apprend à réfléchir, à s’interroger. Le théâtre est partout autour de nous. C’est un parlement, un sénat … Il est toujours là, même dans les choses les plus simples de la vie. Vous voyez par exemple un vendeur de légumes sur son charriot, appelant les clients à venir voir sa marchandise. Sa manière d’appeler les clients, d’énumérer les avantages des légumes, c’est une scène de théâtre en soi. Une danse populaire que l’on pratique dans les fêtes foraines ou autres revêt elle aussi une forme de théâtre. La narration et l’intonation du narrateur sont une forme de théâtre. Le théâtre c’est la vie ».
Le dramaturge originaire de la ville d’Al- Taëf a commencé ses activités théâtrales à l’école primaire. Ensuite, en étudiant la littérature arabe à l’université, il a plongé dans la poésie et l’art de la nouvelle. Durant ces années, il se voyait déjà en tant qu’écrivain. Puis, il s’est lancé dans l’écriture journalistique et a signé plusieurs articles sur le théâtre dans des organes de presse tels Okaz et Al-Belad et a créé dans celui-ci une page hebdomadaire spécialisée, qui couvrait les activités théâtrales de la péninsule arabique. Peu de temps après, Fahad Al-Harthy s’est lancé dans l’écriture littéraire. « J’ai voulu écrire des nouvelles, mais il y avait quelque chose qui clochait. J’ai fini par écrire un dialogue et du coup, ça s’est transformé en une pièce de théâtre. C’est ainsi qu’est né mon premier texte dramatique Ya Rayeh Al- Wadi (toi qui vas dans la vallée). Celui-ci m’a encouragé à écrire un deuxième, puis un troisième et ainsi de suite ».
Cela étant, le théâtre lui a permis d’exister, d’expérimenter et de révolutionner l’espace scénique saoudien. « Dans les années 1990, j’ai remarqué la présence de plusieurs hommes de théâtre qui ont oeuvré à son évolution et qui ont essayé de rompre avec les formes traditionnelles. Mes amis et moi, nous avons affronté tant d’obstacles, en essayant de présenter un spectacle en dehors des cadres classiques. Il fallait préparer les comédiens, les jeunes metteurs en scène et le public, les initier à l’expérimentation. D’où la naissance de Warchet Masrah Al-Taëf (l’atelier du théâtre de Taëf) qui offre aux jeunes intéressés une formation en continu, accentuée par des stages et des rencontres autour du théâtre. Nous avons profité notamment de l’expérience des metteurs en scène égyptiens Abdel-Rahman Arnous et Hassan Al-Gretly », précise Fahad Al-Harthy, l’un des fondateurs de l’atelier de Taëf, devenu aujourd’hui la troupe de Taëf, dont les activités englobent un atelier de formation, des stages, mais aussi un laboratoire accueillant à bras ouverts toutes sortes d’aventures expérimentales. « Ce sont des activités complémentaires, qui permettent d’engager une véritable communication entre les diverses générations. Les plus anciens ont acquis de l’expérience et les plus jeunes apportent leur fraicheur », souligne Fahad Redah Al-Harthy.
Au fil des années, les créations de la troupe ont attiré l’attention du public et celle des critiques ; elles ont également remporté de nombreux prix dans les festivals. Les 50 pièces signées par Fahad Al-Harthy révèlent son amour pour l’expérimentation textuelle. « D’abord, le metteur en scène Ahmed Al-Ahmary et moi-même, nous étions très soucieux du mouvement dans le théâtre. Les dialogues de mes premiers textes étaient donc assez courts, denses et rapides, pour permettre aux comédiens de passer à un autre mouvement ou à une autre scène. C’était le cas des textes Ya Rayeh Al-Wadi, Al-Nabée (la source), Al-Babour (le navire). Puis, je me suis intéressé au rapprochement entre l’écriture dramatique pour le théâtre et les techniques de narration propres à d’autres genres littéraires, surtout la nouvelle ». Et de poursuivre : « Après, j’ai voulu rédiger des phrases dramatiques pleines d’émotions, qui abondent de figures de style, sans pour autant recourir à une langue emphatique. J’ai essayé le théâtre-journal, soit une forme d’écriture dramatique où je focalisais sur les détails simples, ceux de la vie quotidienne. Je les captais et tentais par la suite de les transmettre à travers un texte dramatique. Actuellement, je favorise une autre technique qui consiste à rapprocher entre les billets postés sur les réseaux sociaux et l’écriture dramatique. L’idée commence ainsi par un post sur Facebook, puis se transforme en texte théâtral ».
Le dramaturge saoudien avoue avoir exercé tous les métiers relatifs au théâtre. Il a été technicien d’éclairage, scénographe, technicien de son, musicien, décorateur, etc. « Cependant, je n’ai jamais été comédien. Je me suis occupé de la mise en scène dans cinq de mes spectacles, mais c’était exhaustif. Bien que mes mises en scène aient eu beaucoup de succès, je me sens plus à l’aise dans le rôle du dramaturge. Ecrire pour le théâtre me satisfait », souligne-t-il. Dans ses écrits, Fahad Al-Harthy est soucieux de l’humain. Ses personnages sont de vrais êtres humains, en chair et en os. « Sur les planches du théâtre saoudien, il n’y avait pas de place pour les femmes comédiennes. Donc, dans mes textes, les préoccupations des femmes étaient toujours présentes, mais sans avoir des comédiennes sur les planches. Juste les idées. Aujourd’hui, la situation est toute autre », estime-t-il.
Car de nos jours, un air d’ouverture plane sur la monarchie pétrolière. Les femmes connaissent progressivement une plus grande liberté. « Cet esprit d’ouverture va changer le théâtre saoudien. Et ce, à l’ombre de l’application d’une stratégie de long terme dans le domaine des lettres et des arts. Il y a un intérêt grandissant pour les festivals et la tenue de rencontres théâtrales. On compte créer de nouvelles académies artistiques », affirme-t-il.
Ses récentes pièces de théâtre se déroulent toujours dans la péninsule arabique et dans la région moyen-orientale : Kafy, Saken Motaharrek et Al- Malaf Al-Enguilizi. « J’ai écrit cette dernière il y a cinq ans. Récemment, elle a été donnée sur les planches selon dix différentes mises en scène ».
La pièce Saken Motaharrek (figé-mobile) sera donnée d’ailleurs dans le cadre des Journées du Caire sur le monodrame (du 12 au 16 septembre). Al-Harthy y sera présent aussi en tant que membre du jury de la compétition sur l’écriture dramatique. Ensuite, la pièce participera au Festival international du théâtre d’Alexandrie, à la fin du mois. Elle sera également reprise en Arabie saoudite, à travers le Festival de duo-drame et du monodrame de Dammam.
Ayant plusieurs cordes à son arc, Fahad Redah Al-Harthy ne cesse de nous surprendre. Il va bientôt sortir son premier roman, Fi Entizar December (dans l’attente de décembre).

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