Vendredi, 29 mars 2024
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Sara Sabri : Neil Armstrong, version égyptienne... pourquoi pas?

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 29 juin 2022

Première astronaute égyptienne analogue, Sara Sabri rêve de son premier voyage dans l’espace. Elle a débuté ses explorations sur terre et au fond de l’océan avant de s’occuper de l’espace.

Sara Sabri

Elle n’avait au coin de sa chambre ni télescope, ni planètes du système solaire accrochées au plafond. L’enfant, qu’elle fut, n’avait jamais compté les étoiles, ni rêvé de marcher sur la lune. Tenter l’espace ne figurait pas sur la liste de ses ambitions.

Cependant, elle avait la passion de découvertes dans les veines: elle ne cessait de démanteler ses jouets ou les télécommandes en vue d’en sortir les petites pièces. «  J’étais avide de voir les composants des appareils électriques et de savoir leur mode de fonctionnement ». Cette passion n’a cessé de grandir avec la petite, pour porter sur les grandes machines et les automobiles : s’inscrire en génie mécanique devient ainsi une conséquence logique. « En parallèle, j’ai ressenti un engouement pour les sciences qui se renforce. Et ce, étant donné que j’avais déjà fait un Bac S avec une spécialité en physique. Alors, j’ai décidé de faire de la chimie et de la biologie en parallèle avec le génie mécanique. C’était une manière d’ouvrir assez de portes, car je ne savais pas à l’époque ce que j’allais exactement faire comme travail », raconte Sara, simplement, sans oublier de souligner le poids de deux modèles sur sa vie: sa mère libanaise, ingénieure biomédicale, et son père, businessman égyptien. « Mes parents sont des super-héros: quand nous étions enfants, maman faisait deux shifts et rentrait entretemps à la maison pour nous servir le déjeuner, et mon père travaillait et, en même temps, bossait sur sa thèse en comptabilité », affirme-t-elle. Et d’ajouter: « Je me souviens qu’alors que les enfants ont toujours peur des hôpitaux, ce n’était plus le cas pour moi. A chaque fois que j’accompagnais maman, c’était un vrai voyage de découverte », sourit-elle.

Ce voyage de découverte ne s’est jamais terminé. Depuis, elle vit dans une péripétie étonnante. Le diplôme en poche, la jeune a décidé de découvrir l’autre bout de son continent noir. Ses séjours en Ouganda et en Afrique du Sud lui ont permis de découvrir l’Afrique en dehors des sentiers battus, des zones touristiques. « J’ai appris à connaître le mode de vie des Africains dans leurs croyances, leur philosophie éducative et le statut de femmes. Il m’a fait beaucoup réfléchir sur les différences sociales, l’impact de l’histoire sur la société actuelle et nos centres d’intérêts comparés aux leurs ». Son exploration ne s’arrête pourtant pas là. Elle n’a pas hésité à se diriger vers l’océan Indien pour atteindre « l’île rouge ». « J’y faisais de la plongée avec une équipe pour étudier les récifs et leur diversité. En outre, un comptage des tortues de mer était une exigence quotidienne ».

Les tortues de mer de Madagascar restent cependant une espèce menacée, de par la destruction des lieux de ponte par les oiseaux, mais aussi du trafic local pour la consommation de leur chair. Ainsi, des volontariats viennent en aide pour les populations locales, afin d’être très actives dans la sauvegarde des espèces de tortues.

Une fois cette riche tournée achevée, Sara décide de poursuivre ses études supérieures. Elle n’a plus le temps de s’ennuyer! Après avoir obtenu son master en chirurgie robotique, la jeune curieuse a complètement foncé dans la technologie. Normal. L’ingénieur en robotique programme met au point et entretient des robots et des systèmes électroniques ou mécaniques de robots qui seront utilisés principalement par l’industrie (automobile, aéronautique, électronique, chimique…) et le secteur médical. A force de lire en génie mécanique et biomédicale, la jeune ingénieure découvre que l’exploration spatiale est la combinaison de plusieurs métiers. Pour devenir un astronaute professionnel, mieux vaut obtenir une formation d’ingénieur, de chercheur ou de médecin. « Malheureusement, nous ne sommes pas entourés de modèles arabes dans ce domaine. Alors, pourquoi ne pas oser commencer? De par mes études en mécatronique (génie mécanique et électrique), j’ai appris que le premier pas consiste toujours en la connaissance des spécificités requises et des tâches à réaliser. En fonction des besoins identifiés, il fallait définir les solutions technologiques à utiliser. J’ai décidé de m’y lancer ». Sara s’est lancée à l’aventure. Elle a commencé à faire des recherches pour connaître les étapes à suivre.

Avant d’explorer l’espace ou de séjourner au sein de la station spatiale internationale, l’astronaute se prépare longtemps à l’avance. Pour chaque mission spatiale, l’astronaute doit ainsi acquérir des connaissances astronautiques et spécifiques à sa mission et se former aux expériences et tâches spécifiques qu’il devra réaliser une fois dans l’espace. Sa préparation comprend des entraînements physiques, des entraînements aux sorties extravéhiculaires, au pilotage et au vol en apesanteur, des simulations de mission et des expériences scientifiques, etc. « Malheureusement, cette formation n’existe pas en Egypte. Je suis allée à l’Agence spatiale égyptienne pour leur exprimer mon intérêt et mes intentions. Les responsables m’ont encouragée et m’ont même octroyé le logo de l’Agence », raconte Sara.

« Mes parents étaient étonnés de ma décision. Mais en même temps, ils savent très bien que voir leur fille la première astronaute égyptienne est une fierté et pour l’Egypte et pour eux-mêmes », dit-elle. Et d’ajouter: « Je suis partie pour la Pologne où j’avais déposé ma candidature à Lunares Space Research Station. J’ai été choisie pour être astronaute analogue pour une mission d’isolement durant deux semaines. J’ai été nommée Medical Officer, c’est-à-dire responsable des côtés physiques et psychologiques de toute l’équipe avant, durant et après la mission, de manière à détecter les changements survenus ». Les effets nocifs de l’espace sur le corps humain sont plusieurs, entre autres, les troubles visuels et le mal d’espace. Mais les plus importants et les plus connus sont la perte osseuse et musculaire. « Lorsque les astronautes sont en mission, leur corps subit les conséquences de la micropesanteur et des radiations. Pour les préparer au mieux, des médecins de l’espace les suivent au sol. L’os est un tissu vivant: en permanence, une destruction et reconstruction osseuse s’opèrent ». En micropesanteur, la reconstruction osseuse se fait plus lentement que la destruction, car les os sont peu utiles : ils n’ont plus besoin de soutenir le corps. En conséquence, l’os se déminéralise et une excrétion urinaire du calcium se produit.

Expériences scientifiques, maintenance de la station spatiale, exécution des manoeuvres, organisation de la vie à bord de la station, entraînement physique... rythment ses journées, ainsi que celles de l’ensemble des membres de son équipage. Ainsi, souligne Sara, la vraie difficulté qu’elle avait connue était juste après l’achèvement de la mission. « J’étais habituée à un certain rythme et mode de vie à tel point qu’il devient difficile de reprendre le rythme de la vie ordinaire ».

Bientôt, Sara passera à sa deuxième mission, mais cette fois-ci en tant que Commander (commandante). Etre commandant(e) de la station spatiale, c’est être responsable de la gestion quotidienne, de l’organisation du travail de l’équipe et de la prise de décisions dans les situations d’urgence, même si toute l’équipe a été hautement formée et sait quoi faire. Un poste qui correspond bien au profil de Sara qui, grâce à ses aventures, avait acquis une expérience importante quant à la communication avec les gens. « Pendant mes années universitaires, j’avais commencé à m’intéresser au fonctionnement de mon corps. Ainsi, je me suis mise à manger sainement et à pratiquer le yoga. Ce dernier apporte un grand nombre de bienfaits physiques, notamment l’assouplissement des muscles, la réduction du stress et le contrôle de ses émotions ».

Quelles sont les compétences nécessaires pour devenir astronaute? « Connaissances astronautiques et scientifiques, bonnes conditions physiques, aptitudes intellectuelles et techniques, capacité à garder son calme sous la pression, et esprit d’équipe… ».

Après la deuxième mission, Sara va se mettre à ses études doctorales aux Etats-Unis. Elle travaillera sur le scaphandre spatial. « Il s’agit de voir comment pourrait-on entraîner des changements sur cette tenue d’astronaute de manière à la rendre plus légère tout en permettant un mouvement facile et sans perdre son efficacité quant aux contraintes naturelles ».

D’ailleurs, Sara n’a pas oublié non plus les contraintes qu’elle avait rencontrées pour se lancer dans cette formation d’astronaute. Ainsi, elle a mis en place sa start-up Deep Space Initiative pour donner un big push aux futurs étudiants. « Des cours en ligne, des séminaires, un centre de recherche et un podcast… Il s’agit d’un établissement entièrement consacré à tout ce qui touche à l’espace en se servant des professeurs et des experts de la NASA ».

Etre une femme, est-ce un atout ou un frein pour devenir astronaute? « Pour moi, la question ne s’est pas posée. J’ai osé cette aventure, sans doute avec audace, mais surtout avec beaucoup de travail. Il faut oser pour briser les clichés de métiers réservés aux hommes et encourager les jeunes femmes arabes à candidater ».

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