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Mohamed Salah Sorour : Un biologiste au front

Lamiaa Alsadaty , Lundi, 07 février 2022

Passionné par la théorie de l’évolution – bien qu’elle soit réfutée au Moyen-Orient y compris en Egypte –, Mohamed Salah Sorour décide d’en faire sa spécialité. Et continue de se battre avec acharnement.

Mohamed Salah Sorour

Comprendre l’évolution et la faire comprendre afin de se donner les moyens d’admettre le dynamisme de la vie. Tel est l’objectif du biologiste Mohamed Sorour. Et pour ce faire, il fallait d’abord développer un esprit critique. « C’était toujours une chose qui me hante, autant que je la traque », souligne le chercheur. Né dans une famille modeste dans le quartier cairote de Aïn-Chams, la lecture, notamment dans le domaine de la biologie, était son seul passe-temps. Une fois le bac en poche avec un pourcentage de 93 %, s’inscrire à la faculté des sciences était pour lui le début de tout un parcours. « A la faculté des sciences, je me suis trouvé dans l’obligation de choisir la zoologie comme domaine de spécialité. Or, j’avais tant rêvé de faire des études en biologie évolutionniste, celle-ci étant à la base des sciences de la médecine et des gènes », confie Sorour. Et d’ajouter : « La zoologie est la science qui étudie les animaux et décrit l’aspect externe, interne, le fonctionnement des divers appareils (digestif, reproducteur …), leurs comportements, etc. C’est pourquoi je l’ai choisie, étant la discipline la plus proche de la biologie évolutionniste ».

Postulée par Charles Darwin, celle-ci suggère que toutes les espèces, animales comme végétales ou même bactériennes, sont en perpétuelle transformation. Cette évolution au cours des temps géologiques – milliers à millions d’années – provoque l’apparition de nouvelles espèces, mais aussi la disparition d’autres. « Toutefois, Darwin ne disposait pas des outils de la génétique pour expliquer correctement d’où venaient ces variations spontanées et héréditaires entre les individus d’une même espèce. Les avancées scientifiques de ces derniers siècles ont permis de mettre en évidence que ces variations sont d’origine génétique », explique-t-il.

Après avoir obtenu son diplôme universitaire, il part pour l’Arabie saoudite où il décroche un poste de superviseur des programmes de sciences dans les écoles internationales. Un choix étrange ? Pas forcément. « En effet, ce choix était toujours en rapport avec ma passion pour la discipline de la biologie évolutionniste. D’abord, un tel poste m’a garanti le côté financier indispensable à la poursuite de mes études en Europe, puis, il m’a permis de me débarrasser de certains stéréotypes : les pays du Golfe ont pris des mesures importantes dans l’évolution de l’enseignement des sciences et des maths ». Ainsi, travailler à l’étranger et économiser de l’argent n’était pas une fin en soi, mais plutôt un moyen. « Je me suis mis à contacter de grandes universités européennes. Car ces dernières ont réalisé des pas importants dans le domaine, à l’encontre des universités américaines. D’ailleurs, mon directeur de recherche m’a dit qu’il avait accepté de diriger ma recherche en raison de l’insistance que j’avais affichée dans la lettre de motivation. Cependant, il trouvait que je commettais un crime contre moi-même, puisque j’ai choisi de faire des études dans une discipline niée dans la région d’où je viens ».

Le rejet de la théorie de l’évolution elle-même est majoritairement le fait de fondamentalistes religieux. Ces derniers conçoivent dans le mot « évolution », qui correspond au mot arabe « tatawor », un acte de diffamation. Car, selon eux, Dieu a créé l’Homme sous sa meilleure forme, alors comment parler d’évolution ? D’ailleurs, selon Sorour, en arabe, le mot « évolution » laisse penser à une modification positive, une sorte d’amélioration. Or, scientifiquement, « évolution » correspond à un changement positif ou négatif. « En sciences, on n’a que deux types d’objets : des observations directes sous nos yeux et ce qu’on appelle des théories qu’on n’observe pas directement, mais dont on observe les conséquences. La théorie de l’évolution, c’est une théorie parce qu’on ne l’observe pas directement, mais on a accumulé un nombre incroyable d’observations qui la confirment. Un nombre si grand qu’aujourd’hui, la théorie de l’évolution fait partie des théories scientifiques les plus solides de tout le domaine de la science. On n’a plus aujourd’hui les mêmes bactéries qu’on avait autrefois parce qu’elles ont été sélectionnées par la sélection naturelle liée à la présence des antibiotiques. Pourquoi devons-nous nous faire vacciner tous les ans contre le virus de la grippe et pas une fois pour toutes ? Car le virus de la grippe change, il évolue sous l’effet de l’immunité acquise ». Il défend ainsi, avec insistance, cette théorie qui continue de susciter tant de controverses. Avant de s’inscrire à l’Université de Goethe, Sorour était déterminé à éveiller la passion qui lui tient à coeur, en faisant des études au pays de Darwin, « le père de l’évolution ».

« Faire des recherches à l’Université de Kent en Grande-Bretagne m’emplissait d’une stupéfaction qui fit bientôt place à la terreur : j’étais conscient d’une faiblesse systémique à laquelle il conviendrait de remédier sans retard, à savoir le côté pratique. Alors, j’ai demandé de passer plus de temps au laboratoire ».

Selon le biologiste, l’Europe est reconnue pour son potentiel dans la théorie de l’évolution vu son enseignement dès le niveau scolaire ; mais aux Etats-Unis, elle n’est enseignée qu’au niveau universitaire. « Alors que l’esprit critique domine les deux continents, européen et américain, quant à analyser la théorie de l’évolution, au Moyen-Orient, la théorie est totalement réfutée. Toutefois, environ 1 000 ans avant que Charles Darwin n’écrive un livre sur la façon dont les animaux changent par un processus qu’il appelait sélection naturelle, des philosophes musulmans, comme Ibn Khaldoun, l’avaient déjà précédé », précise Mohamed Sorour, en se souvenant de ses conversations avec son père et ses deux soeurs qui s’y opposent totalement. Une position commune à un grand nombre de personnes ici et là. « Bien que la microévolution, c’est-àdire des modifications au niveau des génomes et qui sont responsables des variations entre individus d’une même espèce (par exemple la couleur des yeux), soit acceptée, le problème se pose et devient aigu lorsqu’on aborde la macroévolution. Par ailleurs, cette dernière est une conséquence de la microévolution ».

Darwin suggère que les variations, qui constituent le premier pilier de la théorie de l’évolution, peuvent se transmettre aux générations suivantes par le biais de l’hérédité. L’autre grand principe de la théorie de l’évolution est la sélection naturelle. Elle définit que les individus d’une espèce, les plus avantagés dans un environnement, pourront se reproduire et transmettre leurs traits avantageux (par exemple la forme du bec) à la descendance, tandis que les moins avantagés ne pourront survivre. La sélection naturelle est donc intimement dépendante de la variation entre les individus d’une espèce, sans quoi elle ne peut avoir lieu.

Les discussions incessantes dans sa famille et entre amis l’ont amené à penser à fonder une page Facebook pour y exposer et expliquer la théorie de manière régulière et profonde. « J’ai donné à ma page le nom de Rabena Yetawarna Kolena (que Dieu nous fasse évoluer tous). Celui-ci a été inspiré d’une pub à la télé portant sur un service de livraison à domicile, où un des personnages, ébloui par le service qui a tant évolué, dit : Que Dieu nous fasse évoluer tous ! ». Mais l’appellation de la page Facebook a été loin de faire l’unanimité parmi ses amis et les membres de sa famille. « Ces derniers ont vu qu’elle fera beaucoup de bruit, mais j’ai quand même insisté sur le fait de la garder, car elle correspond parfaitement au concept de la page », dit-il. Malgré un nombre d’abonnés qui a atteint les 20 000 environ en un an et qui ne cesse d’augmenter, la page n’a pas manqué de lui attirer des insultes et même des menaces. « C’était prévisible, si vous me demandez. J’y fais face avec patience et j’évite la controverse », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Le vrai problème est que certains n’hésitent pas à lancer des jugements arbitraires sans fondement scientifique ».

Selon lui, la civilisation n’est pas confinée à l’Occident. Certains pays tels la Chine, l’Inde et la Malaisie ont déjà pris le dessus dans cette discipline. Sorour souhaite pouvoir, un jour, diffuser cette discipline dans les universités égyptiennes, entre autres l’Université Zoweil. Intéressé par des problématiques liées à la logique et au raisonnement, il est très influencé par l’écrivain et philosophe Youssef Zidan, notamment par ses écrits sur la philosophie des sciences.

« Dans nos universités, on étudie les sciences, mais pas leur philosophie. Celle-ci est fondamentale, puisqu’elle questionne la science, et aussi l’épistémologie, l’ontologie des objets de la science, l’histoire de la science … Bref, toutes les disciplines qui interagissent avec la connaissance scientifique ». Ainsi, il affirme être très préoccupé par la question : pourquoi vulgariser les sciences ? « C’est surtout pour développer l’esprit critique des citoyens, les aider à former leur esprit, à développer leur esprit critique et à acquérir plus d’objectivité sur les connaissances scientifiques et une plus grande autonomie pour la recherche d’informations. Ce qui crée un environnement favorable aux sciences ».

Au-delà des sciences qui dominent sa vie, Sorour adore la poésie arabe et la musique. « J’ai fait de la guitare et j’ai poursuivi des cours en théories musicales ». Or, il est très pris par sa thèse qu’il souhaite soutenir bientôt et sa page Facebook qu’il cherche à développer, afin de susciter la curiosité et l’envie de s’intéresser à la biologie évolutionniste.

 

Mohamed Salah Sorour
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