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Mohamad Amin : Le cinéaste engagé et enragé

Lamiaa Alsadaty, Mardi, 30 novembre 2021

Mohamad Amin propose des films qui vont au-delà du divertissement. Auteur et réalisateur, il pose un regard différent sur des sujets sérieux, enveloppés d’humour noir. Son long métrage Al-Mahkama (le tribunal) est actuellement en salle.

Mohamad Amin

Footballeur ou policier des métiers rêvés par les petits garçons, à l’exception du gamin qu’était Mohamad Amin. « Moi, je voulais être imam », se souvient-il. « A l’âge de 6 ans, j’étais très impressionné en voyant l’imam prêcher à la mosquée. Les gens n’hésitaient pas à lui demander conseil pour résoudre leurs problèmes. Mais, avec le temps, j’ai compris que je ne suis pas obligé d’être imam pour avoir un rôle important dans la vie des gens, et que je pourrais les aider autrement à se remettre en question et à trouver des solutions à leurs difficultés ».

Enfant, il adorait passer son temps à lire des romans traduits vers l’arabe, notamment du genre policier telles les oeuvres d’Agatha Christie, auteure de Le Crime de l’Orient Express, et de Maurice Leblanc, créateur d’Arsène Lupin. « Puis, petit à petit, j’ai commencé à découvrir la grande littérature égyptienne avec Tewfiq Al-Hakim, Youssef Al-Sébaï, Taha Hussein, Yéhia Haqqi, Youssef Idris et Naguib Mahfouz », racontet- il.

« A 15 ans déjà, j’ai pris la décision de devenir cinéaste. A l’époque, je regardais quotidiennement 3 films, ce qui m’a donné envie de produire moi-même des images ». Le bac en poche avec un grand pourcentage de 87 %, il décide de s’inscrire à l’Institut supérieur du cinéma. Une décision étrange pour une famille dont la plupart des membres sont soit ingénieur, soit médecin ou enseignant.

« Mon père était enseignant d’arabe, ma mère enseignante de chimie. Or, ils étaient très ouverts d’esprit et m’ont encouragé à poursuivre mes rêves, à condition qu’ils aient des répercussions positives sur les Hommes ». Depuis, Mohamad Amin ne cesse de faire un va-et-vient entre l’écran et la page blanche où il projette également ses fantasmes et visions.

Mais, peut-on vraiment réussir à pratiquer deux langages artistiques différents en rejouant le conflit de valeurs opposant des mondes présentés comme irréconciliables : ceux de l’industrie et de l’art ? « Le désir de cinéma et celui du roman sont concomitants. Très jeune, j’ai commencé à écrire des nouvelles en adoptant une approche psychologique des personnages et une description fine de l’environnement qui les entoure. C’est comme si je voulais illustrer mes histoires par les mots. Ces dernières étaient élaborées de manière à y inclure sons et images comme si elles étaient destinées à être filmées ».

Un exercice créatif pour tout écrivain en herbe. Un champ d’expérimentation narratif et stylistique, mais aussi un espace de pratique de l’ensemble des techniques de la construction d’une histoire ? « Absolument ! Avec peu de narration, peu de personnages et des dénouements rapides. Mais court ne signifie pas aisé », affirme-t-il. En effet, c’est précisément la taille de la nouvelle qui lui donne ses lettres de noblesse. Si vous n’avez pas le rythme dans le sang, mieux vaut abandonner.

Amin ne l’a jamais abandonné. Pourtant, s’imposer comme cinéaste est rendu difficile par le fait d’être aussi scénariste. « Eh oui ! Bien sûr ! J’avais déjà écrit plusieurs films, mais je n’arrivais pas à les réaliser … Les producteurs ont toujours peur de franchir de nouveaux seuils. Et, il ne faut pas oublier que la capacité du producteur à prendre en charge les contraintes financières lui donne une autorité », explique-t-il. Et d’ajouter : « Le directeur de production peut conseiller sur des changements scénaristiques pour réduire le coût de production d’un scénario, après estimation du budget total. Le scénario est donc le premier outil de travail au coeur de la relation entre l’auteur et le producteur. Par ailleurs, les différentes manières de produire influent aussi sur la manière de réaliser et peuvent être une entrave pour le réalisateur. Il faut que les intérêts auteur-réalisateur-producteur soient partagés, car les trois parties souhaitent la réussite du film ». Pourquoi ne pas faire le choix de s’autofinancer ?

« Ce choix peut être fait dans l’objectif de gagner en liberté artistique, mais peut être difficile à porter : un film moyen exige un budget de 11 millions de livres égyptiennes environ », affirme-t-il. « Je n’ai pas d’enfants. Et c’est peut-être là un bienfait caché : je ne suis pas obligé de faire un film qui ne m’intéresse pas ». Exigeant et intellectuel, Mohamad Amin présente un cinéma d’auteur. Ce dernier s’opposant au cinéma commercial à but lucratif, il y reflète sa vision sur la société et affirme une signature qui lui est propre.

« Divertir ne m’est pas le seul objectif, mais c’est plutôt faire réfléchir sur des sujets divers, notamment sociaux et humains ». Ainsi, il n’hésite pas à écrire le scénario et à réaliser des films comportant des idées originales et audacieuses. Dans Film Saqafi (film culturel), il s’agit de l’histoire de trois jeunes gens qui cherchent à visionner un film porno. Une série d’aventures a lieu afin de chercher le film et le magnétoscope.

Trouver l’endroit convenable s’impose comme un autre défi. Ainsi, le focus est porté sur de jeunes gens perdus, baignés dans le désoeuvrement et manipulés par leurs désirs. Dans Febrayer Al-Aswad (février noir), il évoque des situations économiques graves et le statut social précaire d’une famille dont les parents sont des professeurs d’université. Le père réunit les membres de la famille pour leur dévoiler sa découverte, à savoir pour mener une vie meilleure, il faut absolument avoir certains rapports avec les différents pouvoirs dominant l’Etat : le pouvoir judiciaire, législatif, exécutif et les hommes d’affaires.

Un subtil dosage entre humour et réalisme social, entre comédie et drame domine ses oeuvres. « La société recèle tant de choses tristes ! J’observe la vie et j’en ris. Il ne faut pas se vautrer dans le chagrin. Tout finira de la même façon ». Il semble ainsi un fort croyant de la philosophie de Nietzsche selon laquelle « l’homme souffre si profondément qu’il a dû inventer le rire ». Selon Amin, quand on rit, on est plus enclin à accepter une critique qu’on ne supporterait pas si elle était formulée sur un mode sérieux.

L’humour est bénéfique, dit-il, car donnant du recul sur les événements, il permet d’affronter certains sujets et d’en désamorcer la gravité. « Faire rire avec des sujets graves, ce n’est pas évident. L’humour est avant tout conscience de son propre personnage, de sa propre extravagance, de l’écart entre ce qu’on voudrait être et ce qu’on est. Il est difficile de ne pas se prendre au sérieux, de résister à la peur ou à l’espoir ». La peur et l’espoir semblent être les deux mots-clés qui forgent la personnalité d’Amin. L’espoir de changer une société qui souffre. Et, la peur de ne plus avoir le temps de le faire. Alors, il se consacre entièrement au travail.

A part d’être son propre scénariste, le cinéaste n’hésite pas à tourner des films écrits par d’autres collègues. Il y a quelques mois, on voit sortir son film Mitein Guéneih (200 livres égyptiennes). Ecrit par Ahmad Abdallah, il suit la trajectoire d’un billet de 200 L.E. qui passe d’une personne à une autre, appartenant à de différentes classes sociales et plusieurs milieux résidentiels. Ces jours-ci, Al-Mahkama (le tribunal), écrit toujours par Abdallah, est projeté en salle. En une seule journée, le film s’articule autour d’une série d’affaires devant la cour dont les requérants se présentent pour raconter les incidents.

Malgré une tendance gauchiste dans ses oeuvres, Mohamad Amin affirme ne jamais être associé à un parti politique. Seul le cinéma constitue son monde entier. Il n’a même pas de comptes sur Facebook, Twitter ou Instagram. « Je me consacre exclusivement à mon travail. Lui seul est autorisé à exprimer le regard que je pose sur notre société, nos stupeurs et nos doutes. Les réseaux sociaux ne sont que des tribunes libres où chacun véhicule des nouvelles ou des idées qui n’ont nécessairement pas de valeur », critique-t-il.

En dehors du plateau, Amin se met à lire, à écrire ou à visionner des films étrangers et arabes. Henri Barakat, Salah Abou-Seif, Youssef Chahine … autant de cinéastes égyptiens séparés par leur style cinématographique, mais réunis par le talent et la passion que reflètent leurs oeuvres. De vrais mouvements. Et Amin où en est-il ? « Pour constituer un mouvement à part entière, il faut au moins avoir fait une quinzaine de films pour proposer des variantes. Or, je n’ai fait que 7 films. Et je sais parfaitement que tôt ou tard, je vais cesser d’être cinéaste pour me contenter uniquement de l’écriture », souligne-t-il en toute sérénité.

Selon lui, l’accompagnement d’acteurs est quelque chose d’assez pesant. Avoir des comédiens extrêmement talentueux, mais qui peuvent devenir capricieux ou difficiles sur un plateau ajoute à la lourdeur de sa tâche. De quoi exiger une certaine force psychologique .

Jalons

1964 : Naissance au quartier Al-Haram.

1985 : Licence de l’Institut supérieur du cinéma.

2000 : Film Saqafi (scénario et réalisation).

2001 : Gaäna Al-Bayane Al-Tali (scénario).

2013 : Febrayer Al-Aswad (scénario et réalisation)

2021 : Mitein Guéneih et Al-Mahkama (réalisation).

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