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Dalia Farouk : L’enchanteresse soprano coloratura

Névine Lameï, Lundi, 23 août 2021

La soprano égyptienne Dalia Farouk s’appuie sur une expérience de 25 ans, mais aussi sur une sensibilité à fleur de peau. L’édition en cours du Festival musical de la Citadelle vient de lui rendre hommage.

Dalia Farouk

Le Festival musical de la Citadelle, qui se poursuit jusqu’à la fin du mois, vient de lui rendre hommage le 15 août, lors de sa cérémonie d’ouverture. La soprano Dalia Farouk, une des étoiles de la troupe du chant lyrique de l’Opéra du Caire, a réussi à se faire une place sur la scène locale et internationale. Elle vient d’interpréter le rôle de la grande prêtresse de l’opéra Aïda à l’Académie égyptienne des arts à Rome, en juillet dernier. Puis, celui de Christine, dans Fantôme de l’opéra, le 19 août, au Festival de la Citadelle de Salaheddine au Caire. « Je suis heureuse que le festival ait ajouté une petite dose de musique classique à sa programmation : arias d’opéras, chansons napolitaines et extraits d’oeuvres de Broadway. Et ce, côte à côte avec le chant arabe et la musique orientale », déclare Dalia Farouk, qui a toujours été présente à ce festival, dès sa création en 1993.

Elle était encore étudiante en deuxième année au Conservatoire du Caire lorsqu’elle a fait ses premiers pas dans le domaine du chant lyrique, à l’âge de 15 ans. En 1991, elle a animé un récital de chants au Centre culturel russe du Caire. Sa voix disposant d’une large texture, en ambitus dans le registre aigu et grave, lui permet d’allier force et agilité. Ainsi, elle chante un répertoire riche, orné de trilles, d’arpèges et de notes piquées. « Mon premier concert était en 1991. Il reste bien ancré dans ma mémoire. Je dois son succès à ma chère professeure de chant au Conservatoire du Caire, Violette Makkar. C’est elle qui a découvert la texture de ma voix », précise la soprano. Et d’ajouter : « J’encourage constamment les nouvelles générations de chanteuses lyriques. Que la jeune soprano égyptienne Fatma Saïd chante sur les planches du prestigieux théâtre de l’Académie de La Scala de Milan, c’est une fierté pour nous tous. Chanter n’est pas une simple profession, mais c’est tout un mode de vie. Il faut beaucoup travailler sur soi, afin de préserver sa voix, maintenir sa forme physique, s’entraîner au quotidien, améliorer sa performance et sa tenue sur scène. Dans le temps, au Conservatoire, les étudiants de chant lyrique étaient plus nombreux que de nos jours. Malgré tout, cette section continue d’être une vraie couveuse de talents ».

Dalia Farouk a été la première soliste de la troupe du chant de l’Opéra du Caire à être honorée, en 2011, par l’actuelle ministre de la Culture, Inès Abdel-Dayem, qui était alors présidente de l’Opéra égyptien. « Toute soprano ne peut pas être une colorature. Car celle-ci a généralement des cordes de la longueur de celles d’un soprano lyrique et pratique le chant d’opéra à grandes vocalises. L’essentiel, c’est de ne pas se jouer à la star. Je préfère travailler en silence ».

Petite et mince, son corps est en contraste avec sa grande voix qualifiée des plus grandes prouesses vocales. « Violette Makkar m’appelait Al-Fatfouta (la miette). J’ai toujours maintenu le même poids, avant et après ma grossesse », lance-t-elle. Mère de deux enfants, elle assume ses responsabilités maternelles au quotidien. Elle tient aussi à ce que ses enfants suivent des cours de psychodrame. « Je crois fort en ce genre de thérapie. Le chant est pour moi une forme de thérapie qui nourrit l’âme et libère les émotions négatives. Il repose sur deux piliers : la respiration et la posture. Le chant c’est un sport, une source d’énergie inépuisable qui permet de se muscler et de se détendre en profondeur », souligne Dalia Farouk qui aime aussi lire sur le soufisme, la psychothérapie, le langage corporel et apprécie particulièrement la musique de Tchaïkovski, Puccini et Bizet.

Douce et charmante, elle bénéficie d’un véritable charisme sur scène. En 1999, Dalia Farouk incarne Muzetta dans La Bohème de Puccini, à l’Opéra du Caire. Un rôle qui convient parfaitement à sa voix vectrice d’émotion. « J’ai été choisie pour le rôle de Muzetta après une audition devant le maestro italien Alessio Vlad. C’est une fille belle et riche, espiègle et bohème, vivant dans l’insouciance et le grand rêve. Je suis un peu comme elle, une personne joviale, sociable et simple, mais je n’ai rien à voir avec son insouciance et sa vie de bohème. Bien au contraire, je suis de nature pragmatique et rationnelle ».

La soprano a joué également Olympia dans Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach ; Rosine (Le Barbier de Séville de Rossini) ; les trois personnages phare des opéras de Verdi : Gilda (Rigoletto), Violetta (La Traviata) et Oscar (Un Bal Masqué). « Ma première apparition sur scène, à l’Opéra du Caire en 1997, était dans le rôle d’Oscar. Violette Makkar m’avait choisie pour ce rôle. J’ai fait une audition devant le maestro bulgare Ivan Velev et le ténor égyptien Hassan Kami, qui tenait le rôle de Ricardo », se souvient Farouk laquelle a décroché en juin 1997 un diplôme en chant lyrique au Conservatoire du Caire, avec mention d’honneur. Une année plus tard, à la suite d’une audition devant le maestro italien Alessio Vlad, elle joue le rôle de Rosine, dans une nouvelle production pour l’Opéra du Caire, mise en scène par l’Italien Sandro Sequi. La soprano toute mignonne et futée, à l’image de Rosine, incarne brillamment son personnage. Elle ne manque pas une occasion sans améliorer sa performance.

Actuellement, elle s’entraîne à l’Opéra du Caire avec les maestros italiens Davide Dellisanti et Elio Arciulo. Elle a déjà incarné Violetta dans La Traviata, un rôle qu’elle a tenu en 2016, toujours à l’Opéra du Caire. « Il n’y a pas de rôle plus parfait dans tout le répertoire des sopranos que celui de Violetta, un rôle qui nécessite non seulement des capacités vocales monstrueuses, mais aussi de grandes aptitudes théâtrales », précise Farouk. Et de poursuivre : « A chaque nouveau concert de Noël, mes collègues attendent impatiemment la robe que je vais porter, je mets du temps pour trouver le design parfait à mes yeux ».

En 1998, elle part suivre une formation aux Etats-Unis et obtient, deux ans plus tard, un master en performance vocale à l’UCLA, Université de Californie, sous la supervision du grand ténor Timothy Mussard. Au théâtre de cette prestigieuse université, elle a tenu le rôle de Thérèse dans Les Mamelles de Tirésias de Poulenc. « Thérèse est aussi très proche de ma personne, une grande féministe », lance-t-elle. Aux Etats-Unis, elle a chanté également au théâtre d’Albany à New York, à l’Université Catholique de Washington et à l’Université d’Indiana de Bloomington. Là-bas, elle a rencontré les vedettes du chant lyrique : Patricia Wise, Martina Arroyo et Carol Vaness. « A l’Opéra de Los Angeles, j’ai rencontré le grand ténor charismatique Placido Domingo. Faire des contacts et des auditions à l’étranger est très important pour la carrière d’un chanteur d’opéra. Bien qu’en Egypte, il n’existe qu’un seul théâtre et une seule troupe de chant d’opéra au Caire, nous avons la chance d’avoir, en Orient, un théâtre de chant lyrique, même si c’est un domaine encore assez restreint ».

En 2001, elle a la chance d’obtenir une bourse de la Fondation Fulbright, afin d’étudier au Julliard School of Music, à New York. La soprano interprète alors les rôles de Gilda (Rigoletto) et de soeur Geneviève (Sour Angelica de Puccini) au prestigieux Festival Shaker Mountain Performing Arts. En 2004, elle décroche une autre bourse à l’Ecole normale de Paris, couronnée d’un doctorat en chant lyrique, en 2008. « C’est ma professeure de l’Ecole normale de Paris, la soprano Caroline Dumas de l’Opéra de Paris, qui m’a inculqué la base du chant lyrique : technique, style et méthode de travail. Dumas, qui collaborait avec l’Opéra du Caire, a construit ma voix et ma personnalité. Déjà, je la connaissais, car nous avons travaillé ensemble en 1999 à l’Opéra du Caire. Avec elle, j’ai acquis plus de maturité et je suis rentrée en contact avec plusieurs chefs d’orchestre et metteurs en scène », affirme Dalia Farouk.

En France, elle a fait ses preuves dans des théâtres parisiens, tels l’illustre salle Cortot, la Cité internationale des arts et le somptueux Théâtre de Versailles où elle chante, en 2007, la « Grande prêtresse » de l’opéra Aïda devant la petite-fille de Napoléon. « A l’étranger, on acquiert plus d’expérience car les opportunités sont multiples. Cependant, la compétition est très dure. La rivalité entre les sopranos assez nombreux incite à travailler davantage. D’ailleurs, je suis rentrée en Egypte pour assurer quelques urgentes responsabilités familiales ». Une décision qu’elle ne regrette point. Vu la carrière de son père, elle a souvent vécu loin de l’Egypte.

Elle est née à Riyad en Arabie saoudite, son père Farouk Hassanein Makhlouf a travaillé aux Nations-Unies à Genève et à Berne. Il a été aussi ministre plénipotentiaire du Commerce, puis premier conseiller économique du ministre saoudien des Finances. Sa mère, Fadia Al-Qadi, a été une présentatrice radio, diplômée de l’Académie des arts en Egypte, avec comme spécialisation les arts du spectacle. A 14 ans, elle est rentrée avec sa mère en Egypte et a rejoint le Conservatoire du Caire. Ce fut le vrai début d’une carrière professionnelle de 25 ans. « Ma mère m’a appris comment chanter sur scène. Mes parents m’ont aidée à développer mes talents, que ce soit pour le chant ou le piano. Dans mon école Manaret Al-Riyad, ce sont les cours de musique qui m’enchantaient le plus. Mon père, étant un fan de Mozart, mettait souvent sa musique à la maison. Grâce à lui, j’ai pris l’habitude d’écouter de la musique classique, depuis toute petite », raconte la soprano, qui se prépare à chanter la symphonie N°14 de Chostakovitch le 26 décembre prochain à l’Opéra du Caire.

Jalons

Octobre … : Naissance à Riyad, en Arabie saoudite.

Depuis 1994 : Participation au doublage arabe de films de Walt Disney, production Masriya Media.

1997 : Diplôme en chant lyrique du Conservatoire du Caire.

2008 : Doctorat en chant lyrique de l’Ecole normale de Paris.

2007 : Participation au Festival Les Trois cultures, au Maroc, chantant des opéras français, italiens et des oeuvres de Fayrouz.

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