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Réda Abdel-Salam : Le peintre des murs et des villes

Névine Lameï, Dimanche, 08 août 2021

Le plasticien et professeur d’art Réda Abdel-Salam multiplie les supports et les styles afin de mieux exprimer son art. Il expose jusqu’à fin août à la galerie Cleg.

Réda Abdel-Salam
(Mohamad Moustapha)

Ses toiles en médias mixtes, exposées actuellement à la galerie Cleg, au 6 Octobre, capturent les détails de la vie égyptienne et mesurent le tempérament de la ville. Elles se veulent en quelque sorte témoins des événements sociopolitiques en cours, en reflétant la vision philosophique de leur créateur, chez qui le passé coexiste avec le présent. Réda Abdel-Salam donne corps à des mythes anciens, leur attribuant des traits contemporains, en puisant surtout dans le pop art.

Peintre et professeur à la faculté des beaux-arts de l’Université de Hélouan, où il enseigne la peinture murale depuis 2007, il a choisi d’exposer régulièrement, tout en poursuivant une voie académique. Et ce, en obtenant un doctorat en la philosophie de l’art en 1988. Né dans la ville de Suez en 1947, à l’embouchure du canal navigable, il a connu dès l’enfance beaucoup d’histoires de bravoure, pendant les différentes guerres, ayant grandi dans le quartier populaire d’Al-Qassara, tout près de la rue Sidi Al-Gharib, célèbre pour les actes de résistance. Sa mère, Fawziya Chalabi, était une femme au foyer, passionnée de couture. Son père, Abdel-Salam Sadaqa, un commerçant de tissus et de mercerie. « Je garde de beaux souvenirs de mon enfance passée au chalet de ma famille paternelle à Port-Tewfiq, à l’ouest du Canal de Suez. Enfant, j’aimais contempler les vagues et les petits bateaux de pêche aux côtés de porte-conteneurs géants. Dans le temps, Suez était une jolie ville très calme où tout le monde vivait ensemble, Egyptiens, Arméniens, juifs, Grecs ... Ces rapports de bon voisinage ont duré jusqu’à 1956, année de l’agression tripartite. Après, pas mal d’habitants ont quitté. Je me souviens de la corniche de Suez, à l’architecture ottomane formidable. Suez était à l’origine un jardin de légumes et de fruits, que l’on exportait aux divers gouvernorats, mais aussi à l’étranger. L’Egypte était un pays ouvert sur le monde entier, doté d’une grande diversité culturelle. C’était aussi un pays exportateur et la livre égyptienne avait une grande valeur », raconte Réda Abdel-Salam. Enfant, il aimait dessiner, bricoler et modeler l’argile. Toute sorte de travail manuel l’intéressait, il se plaisait à jouer avec les divers outils: pinceau, marteau, enclume …

L’artiste en herbe a effectué ses études primaires à l’école Al-Nahda, dans la ville de Suez. Puis, il a passé ses études préparatoires, entre 1961 et 1963, à l’école artisanale de Port-Tewfiq, section de soudure. A la fin des années 1950, son père a fait faillite et a été obligé de fermer son petit commerce. Alors Réda, à l’âge de 15 ans, a décidé d’aider sa famille, en travaillant dans une compagnie pétrolière, à Abou-Rédis, dans le Sinaï, en mécanique automobile, de 1964 à 1966. « C’était un vrai bouleversement, passant d’une vie aisée à une autre beaucoup moins prospère », signale Abdel-Salam. Les principes du socialisme de la Révolution de 1952 l’ont encouragé à travailler en tant qu’ouvrier à la compagnie d’Abou-Rédis. « Ces principes du socialisme nassérien qui étaient censés éliminer les injustices sociales n’ont pas réussi à mettre les ouvriers et les fonctionnaires sur un pied d’égalité. C’est un fait auquel j’ai touché de près lors de mon travail à la compagnie pétrolière, et cela m’a énormément blessé », se rappelle-t-il, tout en évoquant sa nature de rêveur. « Nous, les fils des villes côtières, nous avons une nature de rêveurs, pour des raisons géographiques. Nous aimons contempler la mer au-dessous d’un ciel bleu et d’un horizon ouvert à l’infini, et nous rêvons ».

Le jeune ouvrier décide en 1964, lors d’une nuit d’été, sous le clair de lune, de poursuivre ses études et de passer dans l’enseignement secondaire jusqu’à obtenir son baccalauréat en 1968. « Je devais obtenir mon baccalauréat en 1967, mais la défaite a entravé momentanément mes ambitions. La ville du Suez était l’une des plus touchées par les bombes et l’artillerie », se souvient Réda Abdel-Salam. De 1967 à 1969, il rejoint la défense populaire, se forme à utiliser tous les types d’armes, puis devient volontaire à l’armée égyptienne, précisément à une brigade de la ville d’Anchas, au gouvernorat de Charqiya.

Il s’entraîne alors aux arts martiaux et à des sports de combat, afin de se préparer à la guerre d’Octobre 1973. « Le concept de la révolution est étroitement lié à la liberté, à la démocratie, à la justice sociale, au respect de la valeur du travail et à la recherche de l’inédit », affirme Abdel-Salam qui n’a pas participé concrètement à la victoire de 1973, mais qui a réalisé un autre exploit personnel, la même année. Car il a réussi à se joindre aux beaux-arts. « A l’armée, nous étions bien entraînés pour traverser le Canal de Suez et la ligne de Bar-Lev. J’étais prêt à aller en guerre, mais comme la date de celle-ci était maintenue sous le plus grand secret, je ne voulais pas gâcher ma vie en attendant davantage et rater ma chance », précise Abdel-Salam qui a obtenu en 1977 son diplôme. Et d’ajouter: « La guerre est comme l’art, un challenge au quotidien, qui demande beaucoup de courage et d’audace. Il faut être prêt à tout expérimenter ».

Partant de ce principe, l’artiste n’hésite pas à mettre la main à toutes les pâtes et à explorer de nouveaux médiums. C’est un véritable aventurier de l’art, qui passe d’un style très émotif à une iconographie provocatrice, d’une vie paisible à celle chaotique de la ville. D’ailleurs, l’atrocité de cette dernière est accentuée dans ses tableaux, avec ses bidonvilles, ses créatures bizarroïdes, ses conflits, son infamie et les dérives du quotidien. « Je traite la surface de la toile comme un champ de bataille, où tout se mêle, peinture à l’huile fluide, dense et contradictoire ; formes cubiques, surréalistes et abstraites; figures empreintes d’expressionnisme abstrait ; mosaïques, collages... L’ensemble est porteur de l’esprit de la ville », indique Réda Abdel-Salam.

Son côté pop art est issu de sa personnalité rebelle, sérieuse et ironique. L’artiste s’inscrit dans le « mouvement artistique du cobra », un courant expérimental, validé à Paris en 1948, qui a recours à l’expression spontanée.

Celui-ci va de pair avec l’imagination espiègle de l’artiste, souvent renforcée par l’actualité du jour. Ainsi, sur les murs de son petit appartement, situé dans un immeuble du complexe résidentiel Dream Land, dans la cité du 6 Octobre, il accroche sa plus récente série de toiles sur le coronavirus. Il peint un singe assis, portant un masque devant la télévision. Des bouteilles de chlore et des stocks d’aliments sont représentés dans un désordre chaotique et bouleversant. « Nous vivons comme dans une cage, comme dans un zoo; nous sommes enfermés et isolés, la peur au ventre », ironise l’artiste qui est normalement quelqu’un de très sportif et incapable de rester oisif, à l’ombre.

Sa grande taille bien dressée lui permet de pratiquer son sport préféré, le basket-ball et la navigation. Il adore communiquer avec ses pairs, notamment les plus jeunes et ses étudiants. « Je suis le Salon des jeunes dès sa première édition, tenue en 1989. A plusieurs reprises, j’ai fait partie du jury de cet événement artistique de taille. J’encourage souvent mes étudiants à élargir leurs horizons », dit-il. Et d’ajouter: « J’ai un projet artistique qui vise à se servir des murs et des différents espaces de l’immeuble où je réside, et ce, dans le but d’en faire un modèle pour d’autres bâtiments résidentiels qui peuvent carrément se transformer en espaces d’exposition. Une manière de promouvoir l’idée de l’art pour tous ».

Il s’inspire du travail de l’Américain Jasper Jones, mais aussi du style de ses mentors égyptiens, Hamed Nada, Zakariya Al-Zeini et Mounir Canaan. Son attachement à l’art du collage et du découpage est né en 1977, quand il a eu la chance de travailler en tant que dessinateur de presse au journal Al-Ahram, jusqu’aux années 1981, puis au magazine Al-Mossawar, de 1981 à 2007. « C’est à Al-Ahram que j’ai fait la connaissance de Youssef Al-Sébaï, Youssef Francis, Makram Hénein, Mounir Canaan, Salah Jahine, Maher Al-Dahabi, lesquels ont enrichi mon bagage culturel. Mes dessins de presse accompagnaient les écrits de Naguib Mahfouz, Youssef Idriss, Tewfiq Al-Hakim et d’autrtes », raconte le peintre et académicien, également auteur de dix livres sur l’histoire de l’art en Egypte, tels L’Art du dessin égyptien contemporain (2002) et L’Aspect visuel des murs en ruine (2012). « Dans ce livre, je documente les graffitis contestataires des jeunes lors de la Révolution du 25 Janvier 2011. Avec la reconstruction d’une nouvelle Egypte, j’espère pouvoir jeter un regard attentionné aux arts plastiques, un domaine qui demande un vrai soutien de la part de l’Etat. Pourquoi ne pas profiter du savoir-faire des plasticiens et de leurs productions pour décorer les rues d’Egypte ?», s’interroge l’artiste soucieux de partager ses préoccupations politiques et humanistes avec ses compatriotes sur les murs, dans les rues et les places publiques.

Jalons

1947 : Naissance à Suez.

1977 : Participation au Festival des jeunes arabes, Bagdad.

1996 : Participation au pavillon égyptien à la Biennale de San Paulo.

1981 à 2021 : Membre du conseil administratif de l’Atelier du Caire.

1996 et 2003 : Exposition à l’Académie des arts à Rome.

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