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Mona Al-Sabbane : La reine du copier-coller

May Sélim, Mardi, 15 juin 2021

Professeure de montage à l’Institut du cinéma, directrice de l’Ecole arabe du cinéma et de télévision en ligne, Mona Al-Sabbane est une femme dynamique et aguerrie. Elle vient de remporter le Prix d’Excellence de l’Etat.

Mona Al-Sabbane

Elle est présente à quasiment tous les festivals du cinéma, toujours soucieuse de ne rater aucun événement relatif au 7e art. Mona Al-Sabbane, professeure de montage à l’Institut du cinéma et directrice de la première école arabe en ligne consacrée au cinéma et à la télévision, vient de remporter le Prix d’Excellence de l’Etat pour 2021. « L’Institut du cinéma a proposé mon nom pour recevoir le prix et a soumis le dossier de ma candidature. Je crois que cette reconnaissance officielle est un peu tardive d’ailleurs. Normalement, je ne suis pas préoccupée par la récolte de prix, n’empêche que je ne peux cacher ma joie et ma gratitude », affirme Mona Al-Sabbane. Cette septuagénaire ne cesse de rêver de faire évoluer le cinéma dans son pays. Elle consacre une belle partie de son temps au site arabfilmtvschool.edu.eg, qu’elle a lancé en 2001. « Cette école à distance répond aux attentes de toute personne arabophone cherchant à mieux comprendre le monde du cinéma. Elle offre aux étudiants d’apprendre le scénario, le montage, la réalisation, le tournage, les dessins animés, la production et le son. Le tout est expliqué par le biais de textes, images et vidéos. Au départ, on se servait de Skype, aujourd’hui, il y a Zoom ainsi que d’autres logiciels », explique Al-Sabbane. Et de préciser: « Dans le montage, il y a le côté artisanal relatif au travail traditionnel par la main et il y a le côté technique relatif aux logiciels de montage. A l’école, nous abordons les deux façons de travailler ».

L’idée du projet remonte à 1999. « Le professeur de médias et communication à l’Université américaine au Caire, Hussein Amin, m’a invitée à participer à l’Association arabo-américaine pour les hommes des médias. Cette association vise à tenir tous les ans une conférence dans l’une des universités américaines dans le monde arabe. Chaque année au mois de mars, les membres reçoivent une invitation pour participer à la conférence autour d’un thème précis ».

En 1999, la conférence allait se tenir à Beyrouth autour de l’usage des multimédias dans l’apprentissage à distance. « Au départ, le thème ne m’intéressait pas, mais professeur Amin a insisté à ce que j’y participe. Pourquoi vous ne montez pas un projet d’enseignement à distance ?, me demandait-il. J’ai donc travaillé dessus et j’ai décidé de présenter le résultat de ma recherche à la conférence de Beyrouth », se souvient-elle. Avant la conférence, Al-Sabbane reçoit une bourse de six mois à Londres pour effectuer une recherche sur le montage. Elle passe les six mois dans les bibliothèques anglaises, creusant aussi dans les moyens d’apprentissage cinématographique à distance. « J’étais fascinée par les modèles des écoles américaines et anglaises, en ligne. Et j’ai commencé à penser une école arabe à distance qui s’en inspire ».

A Beyrouth, la recherche présentée par Mona Al-Sabbane est acclamée. Certains professeurs palestiniens lui demandent de mettre en place son projet, une fois rentrée en Egypte, et ce fut ainsi puisqu’elle soumet l’idée au ministre de la Culture à l’époque, Farouk Hosni. Aujourd’hui, l’école compte quelque 80000 étudiants arabes de par le monde.

Or, la fondatrice de la première école arabe de cinéma en ligne ne savait pas manier son ordinateur deux ans auparavant. « En 1997, j’ai été lauréate d’une bourse Fulbright et je devrais voyager aux Etats-Unis. Mon fils Mohamad, ingénieur en informatique, m’a dit qu’il était indispensable d’apprendre à utiliser l’ordinateur, sinon ça serait scandaleux! Et c’était lui qui m’a pris la main pour savoir manier la souris comme je l’ai fait avec lui en lui montrant comment tenir le crayon pour écrire », raconte-t-elle.

Et d’ajouter: « J’ai toujours été prête à apprendre quelque chose de nouveau. Jusqu’au dernier souffle, je serai avide de savoir ». Sans doute oui, en ce qui concerne ses rêves et ses expériences, elle peut toujours recommencer à zéro. D’ailleurs, elle le répète souvent à ses étudiants à l’Institut du cinéma. « Si vous m’apprenez quelque chose de nouveau, je vous saurai toujours gré et je vous aimerai davantage ».

Mona Al-Sabbane ne sait quand ni comment elle a attrapé le virus du cinéma. « Dans ma famille, j’étais la fille aînée. Quand j’obtenais 20/20 dans un examen, ma mère me laissait choisir mon cadeau: l’accompagner voir un film au cinéma ou avoir une poupée. Ma réponse était intuitivement toujours la même : aller au cinéma. Je jouais souvent avec les poupées de ma soeur. Mais je ne voulais pas rater une occasion de regarder un nouveau film ».

Son succès, elle le doit essentiellement à sa mère. « Ma mère avait à peine 17 ans de plus que moi. Elle était plutôt mon amie. Elle vivait au premier étage et moi au quatrième. On s’amusait bien en allant ensemble au cinéma, en faisant des courses et on partageait les détails du quotidien. Elle m’a appris à respecter mes rendez-vous, à tenir mes promesses et à rester fidèle à mes principes. Je lui dois beaucoup. Elle n’est plus de notre monde, mais même à mon âge, je ne peux oublier son impact sur ma vie ».

Après le baccalauréat, son oncle Assaad Nadim, alors professeur à l’Académie des arts, lui propose de faire des études à l’Institut du cinéma. « C’était encore tout nouveau et l’idée m’a plu. Mon deuxième oncle, le cinéaste Saad Nadim, m’a offert le livre Film Making from Script to Screen, d’Andrew Buchanan. Après avoir lu ce livre, j’ai constaté que le montage est le creuset d’où sort le film. A la section Montage, nous étions juste deux personnes : Rahma Montasser et moi-même ».

Ses années d’études se sont vite écoulées. Al-Sabbane a eu son diplôme et fut embauchée comme professeure à l’Institut où elle a aussi rencontré l’amour de sa vie: Mahmoud Azmy, le frère de son collègue Yéhia Azmy. « Mahmoud venait souvent voir son frère à l’institut. Nous sommes tombés amoureux. Notre mariage devait avoir lieu début juin 1967, mais la guerre a tout chamboulé. Pendant les raids aériens, on éteignait la lumières, et ma mère cousait ma robe de mariée à la lueur d’une ancienne lanterne. Deux semaines plus tard, après l’arrêt des combats, Mahmoud et moi, nous nous sommes mariés assez rapidement ».

Le couple s’est ensuite installé au Liban. Mona a suivi son mari qui s’intéressait aux études stratégiques et écrivait des articles sur la guerre civile au Liban pour des revues arabes. Leur séjour là-bas a duré 20 ans. « Au Liban, j’ai appris comment célébrer la vie à tout moment. Et ce, malgré les bombardements, les blessures et les morts. Le cessez-le-feu était toujours une occasion pour faire la fête. Les samedis soirs, les femmes sortaient avec leurs maris. Les dimanches, c’était le temps de la famille, on faisait souvent des barbecues en montagne. J’ai appris à être plus flexible aussi. Avant le Liban, la vie pour moi était en noir et blanc seulement, la guerre m’a fait voir les choses autrement, de manière plus nuancée ».

Au Liban, Mona Al-Sabbane ne s’est pas éloignée du montage des films. Vu son expérience dans ce domaine, elle a été vite embauchée par la Télévision libanaise et a travaillé dans plusieurs documentaires sur Ziad Rahbani, Walid Aouni et bien d’autres. « Un jour, le directeur de la Télévision m’a appelée pour me dire qu’il était temps de passer à la vidéo et que je devais m’en occuper, sinon il serait contraint de mettre fin à mon contrat. Je n’avais aucune expérience dans ce domaine. Encouragée par mon mari et par le directeur de la Télévision, je me suis lancée dans une nouvelle expérience. Sous les conseils du directeur, j’ai passé du temps à contempler ce qui se passe dans les studios, je demandais souvent l’aide des techniciens. En passant à la vidéo, j’ai commencé par faire tant de fautes, mais j’ai appris par essai et erreur ».

De retour en Egypte, Al-Sabbane a introduit le montage de la vidéo à l’Institut du cinéma. Elle a voulu former des jeunes monteurs et leur permettre de travailler dans le domaine de la télévision. Et pour ce faire, il fallait convaincre le président de l’Académie des arts à l’époque, Fawzi Fahmi, d’acheter un studio Sony et de l’installer à l’Institut du cinéma.

Curieuse toujours de toute nouveauté, la professeure Mona Al-Sabbane a l’habitude de visiter, depuis 1992, l’exposition NAPA à Las Vegas sur les biens d’équipements cinématographiques. « Ainsi, j’ai découvert les nouveaux logiciels de montage. C’était nécessaire pour moi d’inclure les techniques modernes, malgré la résistance des professeurs qui voulaient maintenir les modes d’enseignement traditionnels ».

Des projets multiples mijotent toujours dans sa tête. « Je veux créer une encyclopédie de cinéma multimédias. Le projet est ambitieux et exige un grand financement. Faute de moyens, le projet reste en plan, mais j’espère relancer l’idée dans un avenir proche », conclut cette grande dame du cinéma.

Jalons

Naissance au Caire.

1965 : Diplôme de l’Institut du cinéma.

1967 : Mariage avec Mahmoud Azmy.

1968 : Naissance de son fils aîné Khaled.

1970 : Naissance de son fils cadet Mohamad.

2001 : Lancement de l’Ecole arabe de cinéma et de télévision, en ligne.

2021 : Prix d’Excellence de l’Etat.

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