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Caroline Berzi : De la beauté née du recyclage

Névine Lameï, Dimanche, 11 avril 2021

La jeune plasticienne Caroline Berzi allie la beauté de l’art et les causes de l’environnement à travers ses installations-peintures en 3D. Des oeuvres souvent inspirées de l’art du recyclage des déchets qu’elle expose actuellement à Zamalek.

Caroline Berzi

A 33 ans, Caroline Berzi incarne l’image de l’aventureuse et barou­deuse créative. Elle expose actuel­lement, à la galerie Motion Art à Zamalek, ses installations et peintures en 3D sous le titre de Plasticular. Assemblant des bouteilles, des tubes en plastique recyclé, des tissus en lin, de la résine époxy, elle en fait des bouquets de fleurs de toutes les couleurs. L’ensemble est brillamment assorti et agréa­blement agencé, de manière à donner aux multiples objets une seconde vie, peut-être même les éterniser. Ses oeuvres, de grand for­mat, visent à sensibiliser la société égyp­tienne, génératrice de pollution. « L’exposition Plasticular questionne aussi le consumérisme, ses effets sur la planète et sur l’environne­ment. En s’inspirant de la nature, j’essaye de donner vie à la matière plastique, d’en faire des oeuvres d’art multidimensionnelles », indique Caroline Berzi.

Dans son studio situé au Nouveau Caire, à Al-Tagammoe Al-Khamès, elle collecte les déchets plastiques jetés ou délaissés, notam­ment les bouteilles en plastique, et travaille dessus. Elle mène une vie saine, loin du rythme haletant de la ville. Passionnée d’art depuis sa tendre enfance, au Lycée Français de Maadi, la petite Caroline aimait faire des découpages, expérimenter toutes sortes de matériaux et de techniques, jouer avec les crayons, les pastels, les couleurs … Tout travail manuel et artisanal qui consiste à assembler des éléments hétéroclites l’enchan­tait. « Au Lycée, mes collègues et moi, nous étions influencés par la culture française. Nous mettions des vête­ments gothiques, écoutions de la musique hip-hop, R’n’B, du rap français... Personnellement, j’aime la musique du multi-instrumentiste et chanteur franco-néo-zélandais Vincent Fenton, connu sous le nom de scène French Kiwi Juice (FKJ). A Paris et à Londres, lors de mes voyages avec mes parents, j’aimais acheter des livres sur le graffiti. J’étais émue par ce mouvement des années 1980, avec ses formes et ses couleurs vives et audacieuses, ses pochoirs, ses stic­kers et ses installations dans des endroits publics. Le graffiti, ce Street Art, était la voix communicative d’une large génération de jeunes enthousiastes dont je faisais partie », évoque Caroline Berzi.

Tenace, elle n’en fait qu’à sa tête, mais tou­jours avec dévouement et grande confiance en soi. Les beaux souvenirs de son enfance ont laissé des traces indélébiles sur sa vie actuelle. « C’est ma mère, une femme au foyer, qui m’a appris à faire du patchwork. Enfant, j’avais tout le temps les doigts trempés dans la pein­ture. Ma mère me laissait la liberté de créer avec mes aquarelles, mes crayons de dessin, mes bracelets... Ma grand-mère, elle, était responsable des designs de la fabrique de produits alimentaires que possède ma famille paternelle, les Berzi. Ceux-ci sont des spécia­listes de collation et de confiserie. Enfant, j’étais habituée à visiter les usines de la famille et à toucher de près à leur système de production, notamment l’aspect artistique et créatif », raconte Caroline qui a développé un lien spontané entre sa passion pour l’art et le business.

Son savoir-faire ne relève pas du hasard. Caroline est aussi titulaire d’un diplôme en administration des affaires, en 2010, de l’Uni­versité américaine du Caire, suivi d’une car­rière de sept ans au Caire en tant qu’analyste financière. Bref, elle a jonglé entre les métiers du financement et de l’investissement et a travaillé pendant cinq ans dans l’entreprise familiale. « Travailler dans le business m’a tout appris sur l’art du commerce. En business, la communication est la clé du suc­cès », assure Caroline Berzi. Et d’ajouter : « De tout temps, j’étais douée pour les mathé­matiques. Etant polyglotte, cela m’a permis de faire carrière dans le domaine de l’inves­tissement ».

Caroline Berzi a habité le quartier huppé de Zamalek pendant une vingtaine d’années, et ce, avant de se déplacer avec ses parents en 2009 et s’installer au Nouveau Caire, à Al-Tagammoe Al-Khamès. « Toutes les balades de mes parents et moi étaient à Zamalek, un quartier au bord du Nil que j’aime beaucoup jusqu’à présent. D’ailleurs, c’est là que j’expose mes oeuvres actuelle­ment. Mais le quartier a beaucoup changé, avec tant d’embouteillages », dit Caroline. Et d’ajouter: « Vivre à Al-Tagammoe m’a donné la chance de créer des oeuvres de grands for­mats, qui respirent l’air. A Zamalek, où allais-je trouver un si grand studio, aussi spacieux que celui que j’ai à Al-Tagammoe, avec un jardin et une immense ter­rasse, loin du chaos? Je suis une passionnée de la nature, j’aime le calme, ça me donne de l’énergie pour peindre ».

Elle adore lire et acheter des livres sur la nature, la cuisine et le design floral contemporain. Elle aime la verdure, les balades au bord de la mer, le sport, notamment le vélo, ainsi que la visite des musées et des galeries d’art. Elle se plaît à voyager à Hamata, dans la mer Rouge, en Grèce, en Italie, à Beyrouth, à Louqsor et Assouan… « Lire la Bible est l’une de mes grandes passions », avoue-t-elle. « Quand j’offre un bouquet de fleurs à ma mère ou quand mon époux m’en présente un à son tour, cela m’enchante énormément. Je suis une personne trop romantique. Avec mon conjoint, je partage une belle vie ». Et de préciser: « J’apprécie les motifs floraux, le style ornemental riche de l’art nouveau. Dans Plasticular, j’ai créé, avec des bouteilles en plastique, une installation-peinture en 3D intitulée White Lotus, cette fleur blanche sacrée, emblématique de notre héritage pha­raonique. C’est la beauté de la nature dans son état de pureté absolue. Le lotus blanc signifie que mon oeuvre est capable de jeter des ponts entre la représentation tradition­nelle issue de notre héritage ancestral et la représentation contemporaine inspirée de l’art nouveau ».

Sa première exposition en solo, en Egypte, à la galerie Motion Art, en juin 2020, sous le titre de Genesis (genèse), a eu un grand suc­cès. Elle y a présenté toujours des installa­tions-peintures en 3D, réalisées à partir de matières collectées par-ci, par-là, recyclées de façon à les réhabiliter et accentuer leur valeur esthétique. « Genesis est un terme utilisé pour décrire la création du monde dans plusieurs livres religieux. J’ai voulu dans l’exposition éponyme, inaugurée durant la pandémie, transmettre de l’énergie positive tout en atti­rant l’attention vers les problèmes écolo­giques », dit-elle.

L’idée de travailler à partir d’objets et de matières recyclés est née juste après son retour d’Italie, d’où elle a obtenu en 2019 un diplôme en arts Studio, de la SACI College of Art and Design, à Florence, spécialisation sérigraphie et peinture. « Avant mon séjour à Florence, je faisais le tour des galeries cairotes pour assouvir ma passion pour l’art, en tant que débutante. J’étais consciente que je n’avais pas suffisamment d’expérience pour mener une carrière artistique. Pourtant, j’avais suivi des études sur l’art à l’Université américaine du Caire, comme spécialisation mineure. J’ai réalisé assez tôt qu’il me fallait une éducation académique plus sérieuse, d’où est née ma décision de partir pour Florence ». Elle a passé un an en Italie, durant lequel elle a visité les foires artistiques à Milan, plusieurs ateliers d’artistes professionnels; bref, elle est partie à la découverte du monde de l’art contemporain là-bas. « L’Italie est le pays de la culture, de l’histoire, de l’art, du savoir-vivre. Les Italiens sont de bons vivants. Dans mon sketch-book, toujours en main durant tous mes déplace­ments, je croquais les paysages pittoresques du pays, ses maisonnettes aux petites persiennes, les villages, la montagne … », se souvient-elle.

En mars 2018, elle décide de renoncer à sa carrière dans le domaine des finances et de l’investissement, pour se lancer dans une nou­velle aventure. Sa passion pour l’art l’em­porte. « J’étais épuisée par mon travail dans les banques et le milieu des investissements, alors j’ai opté pour la créativité. De retour en Egypte en 2019, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas de politique régissant le recyclage des objets en plastique comme en Europe. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de mettre en évidence ce problème environne­mental qui détruit notre écosys­tème, à travers mes oeuvres d’art ».

Etant disciple du grand artiste Magd Al-Seguini, aujourd’hui dis­paru, Caroline Berzi fréquentait régulièrement l’atelier de ce der­nier à Zamalek. Elle participe depuis 2015 à plusieurs exposi­tions collectives en Egypte et en Florence. D’ailleurs, en août 2019, dans un hôtel de luxe de la Côte-Nord égyptienne, elle a expo­sé une première oeuvre du genre art du recy­clage, réalisée à partir de bouteilles en plas­tique peintes en blanc. « La couleur blanche est essentielle dans mon travail, elle désigne la perte de l’équilibre écologique, provoquée par le changement climatique et l’élévation annuelle de la température de la mer, qui tue les coraux chaque année », explique Caroline, marquée par les oeuvres de Ghizlane Sahli, Claude Monet, Zhuang Hong-Yi et, surtout, Françoise Nielly. « J’ai besoin de temps pour développer mon travail et acquérir de nou­velles idées et de nouvelles techniques », conclut Caroline Berzi, qui voltige dans son propre monde .

Jalons

1988 : Naissance au Caire.

Septembre 2019 : Participation à une exposition collective à la galerie Ubuntu, à Zamalek.

Juin 2020 : Genesis, première exposi­tion en solo à Motion Art.

Jusqu’au 22 avril 2021 : Plasticular, à Motion Art, Zamalek.

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