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Hend El-Falafly : Libre comme un papillon …

Névine Lameï, Mercredi, 11 novembre 2020

Professeure d’art graphique aux beaux-arts, Hend El-Falafly ressemble aux femmes qu’elle dessine et qu’elle expose en ce moment à la galerie SafarKhan, douces, joviales, rêveuses, avec beaucoup de caractère.

Hend El-Falafly
(Photo : Mohamad Moustapha)

Lauréate du prix de l’Encouragement de l’Etat en juillet 2020, dans le domaine des arts plastiques, pour son oeuvre Hob (amour), l’artiste Hend El-Falafly est aussi professeure d’art graphique à la faculté des beaux-arts, de l'Université de Hélouan. Sa toile primée, de 135 cm de long et 142 cm de large, au crayon noir et au fusain, dépeint une femme à forte caractère, et derrière elle, figure un homme jeté dans l’ombre. Ce dernier se profile comme un spectre, en toute légèreté. « La femme est peinte en vert, symbole de la pureté et de la maturité. Elle ne peut pas se passer de l’homme, au quotidien, c’est son soutien. Sans amour, il n’y a pas de vie. Je parle ici de l’amour inconditionnel, basé sur le respect mutuel », dit-elle. « Encouragée par l’une de mes amies peintres, je me suis présentée à ce prix, c’est la première fois qu’il soit ouvert à des candidats âgés de moins de 40 ans. En juillet 2020, j’avais 39 ans, juste l’âge qu’il faut. Je n’ai donc pas voulu rater l’occasion ou la regretter un jour », raconte Hend El-Falafly, qui accorde toujours une place particulière à la femme au sein de son oeuvre. D’ailleurs, son actuelle exposition à la galerie SafarKhan, intitulée Glow (éclat), en témoigne.

Moins effacée, la femme devient, dans cette exposition, plus chaleureuse, plus gaie, plus amoureuse et plus puissante. Elle laisse voir ses multiples états d’âme, tracés par l’artiste avec douceur. Sans un soupçon de féminisme, ni de guerre contre la domination masculine, elle fait place aussi à l’homme. « La présence masculine est très rare dans mon oeuvre. Il en est quasiment absent, mais il existe quand même. Si je fais appel à lui, dans mon travail récent, c’est pour accentuer la présence fémi­nine et l’inviter au dialogue, en respectant la différence de l’un et de l’autre. La femme, elle, tient le rôle de déesse, depuis la mytho­logie grecque et l’époque pharaonique. Elle sert d’intermédiaire entre les artistes et les dieux. Elle sait exprimer ce qu’elle ressent avec aisance, grâce à son intelligence émo­tionnelle et ses merveilleuses aptitudes rela­tionnelles. Tandis que l’homme est la victime d’un lourd héritage ancestral qui le pousse à vouloir tout contrôler, pour rester maître chez soi. On ne lui a pas appris à exprimer ses sentiments », précise Hend El-Falafly.

Les toiles de Glow, exposées jusqu’au 17 novembre, ont toutes été travaillées en février 2020, c’est-à-dire en temps de confinement. Elles ont toutes quelque chose de mystérieux, accentué par les tons foncés. « La force que j’ai attribuée à mes protagonistes femmes dans Glow provient du changement que je ressens à présent en Egypte. Je ne dis pas que tout va bien et que la vie est belle, mais au moins nous vivons à une époque où l’on peut dénoncer le harcèlement sexuel, l’injustice sociale et bri­ser les tabous. La femme est plus sollicitée dans le domaine public. Je me souviens des tableaux que j’ai réalisés après la Révolution du 25 Janvier 2011 et la montée en puissance des Frères musul­mans. Ils représentaient des femmes enfermées dans une boîte, privées de leur droit à la parole, d’agir en toute liberté », indique Hend El-Falafly, dont les personnages-femmes sont parfois entourées de papillons. « Je considère les papillons comme des messagers de l’univers ; ils symbolisent la joie, la transformation, la métamorphose personnelle, la légèreté, la vie spirituelle ou encore l’immortalité, comme dans les cultures chinoise et grecque », précise El-Falafly. Et d'ajouter : « A cause du Covid-19, nous passons par des moments difficiles, mes protagonistes femmes ont une allure plus sombre. Elles sont dépressives et ténébreuses. Seul le doré peut alléger leur côté mélanco­lique et leur donner une lumière radieuse. C’est la couleur de l’auréole ou la couronne d’or qui entoure la tête de la Vierge, afin de suggérer l’irradiation qui émane de sa per­sonne et l’éclat de sa gloire. Ce mode de représentation des personnages sacrés ou divins a été emprunté à la civilisation gréco-romaine et aux Indiens bouddhistes. Le doré figure aussi sur presque toutes les ornementa­tions islamiques », affirme El-Falafly.

Cette dernière aime pratiquer le yoga, lire sur la thérapie énergétique, efficaces pour le bien-être physique et mental. « Ils nous aident à être en mesure de faire face aux corvées de la vie. C’est important de comprendre les bienfaits du yoga, de la bonne nutrition et du sport, pour avoir une vie saine et sereine. Les femmes d’aujourd’hui aspirent à changer leur mode de vie, de manière à réduire le stress ».

Hend El-Falafly se sent libre comme un papillon. Ses modèles femmes, aux traits vifs et inno­cents, lui ressemblent pour beau­coup, notamment dans leur calme rêveur et prudent, leur regard contemplatif et égaré. Brunette, aux lèvres charnues et aux grands yeux, elle dessine avec des lignes hachurées et a recours à des couleurs suaves. « J’aime vivre en pleine nature et méditer, être au bord de la mer et la simuler. Je n’aime pas être emprisonnée dans un lieu clos. Je ne suis pas une personne hési­tante. J’ai confiance en mes propres décisions. Une fois prises, je ne regrette rien après. Je sais concilier ma vie familiale et profession­nelle. J’encourage les femmes à travailler pour gagner en autonomie. Tout ce qui est vintage a beaucoup de charme à mes yeux. A mon avis, la belle époque en Egypte, ce sont les années entre 1950 et 1970, avec leur richesse culturelle et leurs valeurs sociétales. C’était une ère assez élégante », estime El-Falafly.

En travaillant dans son studio, au Mont Moqattam, l’artiste écoute des chansons d’Oum Kalsoum. « C’est l’air que je respire. Sa voix suave m’aide à me découvrir et à aimer l’autre », avoue-t-elle. Et d’ajouter : « J’aime aussi les oeuvres de l’écrivain Ihsan Abdel-Qoddous. Pour moi, c’est le créateur de l’amour et le roi des romances. Ses écrits litté­raires sont libres. Dans un langage simple, ils traitent des détails minimes mais profonds. Il constitue un bond en l’histoire du roman arabe ».

L’artiste a obtenu son doctorat en 2011, de la faculté des beaux-arts, sur les représentations graphiques et les sujets littéraires. Elle a choisi de concentrer sa recherche sur le roman d’Ihsan Abdel-Qoddous La Anam (je ne dors pas).

Née à Al-Helmiya Al-Guédida, tout près du quartier de Abdine, au Caire, Hend El-Falafly est la cadette d’une famille modeste. Son père, Hassan El-Falafly, est un architecte passionné des arts plastiques. Et sa mère, une femme au foyer, laquelle a élevé ses trois enfants en leur inculquant une discipline assez stricte. « On allait à l’école Baby Home, à pied. Je passais devant de merveilleux palais anciens, aux alentours d’Al-Helmiya Al-Guédida. Leur histoire remontait au temps du khédive Abbas Helmi 1er. Ces palais étaient parfois bâtis sur les ruines de vieilles maisons mameloukes. Malheureusement, tout a changé et a été démoli. Le quartier a perdu son élégance d’autan », regrette Hend El-Falafly. Encore adolescente, elle trouvait un grand plaisir à suivre, dans les années 1980, les épisodes du feuilleton égyptien Layali Al-Helmiya (les nuits d’Al-Helmiya), écrit par Ossama Anouar Okacha et réalisé par Ismaïl Abdel-Hafez. Les événements se déroulaient essentiellement dans son quartier natal où cohabitaient deux classes sociales : populaire et bourgeoise.

« Mon père encourageait ma passion pour l’art. Lors de ses multiples voyages à l’étranger, il m’achetait toute sorte de couleurs ainsi que des livres de coloriage », se souvient El-Falafly. Après avoir obtenu un diplôme en art graphique, aux beaux-arts en 2001, elle passe d’un poste à l’autre. En 2015, elle devient chargée de cours, puis professeure adjoint en 2016. « Je devrais choisir entre faire des études en art graphique ou en décor. Et comme je penchais pour le dessin, j’ai opté pour l’art graphique. D’ailleurs, c’est mon père architecte qui m’a appris à dessiner une perspective », précise El-Falafly. Et d’ajouter : « Avec mes étudiants, j’emploie l’ordinateur dans leurs travaux graphiques, cela donne une plus grande liberté de créer, d’innover, pour mieux répondre aux besoins du marché de l’art. Le numérique et les multimédias occupent une place dominante dans notre vie. Les jeunes ont besoin d’un mentor à même de les guider. Les oeuvres à cachet très pessimiste qui ont participé cette année à la 30e édition du Salon des jeunes montrent que ces derniers sont rongés par le souci. Je pense que le fait de leur ouvrir le champ des expositions en ligne, comme ça se passe avec la pandémie, va les aider à sortir de leur cocon, à travailler et à se produire ailleurs », affirme cette artiste passionnée d’Eugène Delacroix, Salvador Dali, Abdel-Hadi Al-Gazzar et Zeinab Al-Séguini. « L’art figuratif m’enchante toujours », déclare l’artiste qui ressemble toujours quelque part à ce dessin qu’elle a tracé, pendant l’enfance, et qu’elle garde en mémoire. Ce dessin montrait une fille mélancolique et rêveuse, assise au bord du Nil.

Jalons

1979 : Naissance à Al-Helmiya Al-Guédida, Le Caire.

1995 : Baccalauréat de l’école Amir Al-Goyouch, Bab Al-Chaariya.

2007 : Master des beaux-arts du Caire sur les mouvements artistiques en Angleterre au XVIIIe siècle.

Décembre 2019 : Membre du jury de la 30e édition du Salon des jeunes, au Palais des arts.

Mai 2020 : Participation à l’exposition collective Bloom, à la galerie SafarKhan.

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