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Pauline Massouh : Eduquer les jeunes, la mission de sa vie

Marianne William, Dimanche, 17 novembre 2019

Soeur Pauline Massouh, supérieure de la congrégation des Soeurs de la charité de Sainte Jeanne-Antide en Egypte, se consacre depuis plus de 50 ans à l’éducation de la jeunesse égyptienne francophone. Humaniste, passionnée, elle a transmis l’amour du français à un grand nombre d’élèves.

Pauline Massouh
(Photo:Ibrahim Mahmoud)

Le soleil commence à se coucher et des brises automnales iodées s’infiltrent par la fenêtre de son bureau, à l’Institution Sainte Jeanne-Antide, située à Alexandrie, dans le quartier historique d’Al-Chatbi. Les élèves ont déjà quitté l’établissement, mais soeur Pauline Massouh est toujours là. Laissant sa porte ouverte, elle salue aimablement les enseignants. « Sans eux, on ne peut rien faire », assure-t-elle, fière du personnel de l’institution. Minutieuse, elle porte un regard vigilant sur tous les détails. Devant son ordinateur, elle travaille à la préparation des festivités, organisées à l’occasion des 85 ans de l’établissement qu’elle préside.

Soeur Pauline Massouh (Siham Gawdat) est également responsable des écoles de la congrégation en Egypte ainsi que des écoles catholiques d’Alexandrie et de Béheira. Nommée Chevalier en 1997, puis Officier en 2013 de l’ordre des Palmes académiques, et récemment décorée par le chef d’Etat égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi, elle a consacré sa vie religieuse à l’éducation de la jeunesse égyptienne ainsi qu’au service de la francophonie. D’abord en tant que religieuse, enseignante de français, puis comme directrice, cheffe d’établissement de l’Institution Sainte Jeanne-Antide à Alexandrie et de l’école Sainte-Anne à Sakakini.

Dès les premiers instants dans son établissement, les visiteurs se sentent chez eux, grâce à son accueil chaleureux et à l’atmosphère apaisante qu’elle a su créer autour d’elle, offrant café et gâteaux faits maison, sur une desserte qu’elle pousse elle-même, avec un sourire affectueux.

Née au Caire, et ayant grandi avec 5 frères, Siham a fait ses études, jusqu’à la première année secondaire, au Collège de la Mère de Dieu à Garden City. Après l’admission de son frère cadet à la faculté de médecine à l’Université d’Alexandrie, toute la famille a déménagé pour être à ses côtés. Son père, président de la Confédération des industries à ce moment-là, a alors vendu leur maison familiale, située dans le quartier huppé de Zamalek. L’idée de partir à l’étranger lui trottait dans la tête, comme ce fut le cas de toute une génération, dans les années 1960. « L’une de mes camarades de classe devait également s’installer à Alexandrie avec sa grand-mère et intégrer l’Institution Sainte Jeanne-Antide. Alors j’ai demandé à mon père d’y entrer… Et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de la congrégation de Sainte Jeanne-Antide », se souvient soeur Pauline, les yeux scintillants, en se rappelant cette décision qui a transformé sa vie. C’est là que l’élève Siham a vu germer, depuis très tôt, sa vocation de « former la jeunesse », à travers le guidisme dans lequel elle était engagée.

Siham était une passionnée. Sportive, elle faisait à la fois de la natation, jouait au basket et au tennis, et était surtout une élève brillante. « J’étais la première de ma classe en mathématiques. Et après avoir décroché mon bac (section sciences), je voulais faire des études de génie mécanique, ce que mon père a fermement refusé. Alors j’ai intégré la faculté des lettres, département de français ». L’étudiante ne savait alors pas que son destin était en train de se jouer là, pour qu’elle devienne soeur Pauline, non seulement la religieuse, mais aussi l’enseignante et la directrice francophone innovante.

Elle ne le savait pas non plus, lorsqu’elle avait demandé à son père, à l’âge de 16 ans, de lui promettre de lui laisser la liberté de choisir son futur mari.

Pendant que ses parents sont occupés à la préparation des documents nécessaires à l’émigration, y compris ceux de Siham, elle se demande alors: « Si toute ma génération quitte l’Egypte, qui restera donc pour éduquer les jeunes ? ». L’année 1967 marque l’émigration de tous les membres de la famille Massouh au Québec, sauf la jeune Siham qui, elle, est partie au Liban pour devenir religieuse. « Le 25 janvier 1967, j’ai entendu l’appel de Dieu, à l’église du Sacré-Coeur, qui me disait : j’ai besoin de toi pour servir la jeunesse en Egypte ».

Quelques mois après, pour révéler son désir à ses parents, Siham a choisi le jour de la fête de Sainte Jeanne-Antide, le 23 mai. « J’ai parlé d’abord à ma mère, ancienne élève du pensionnat Saint-Joseph de l’Apparition à Abbassiya. Ayant elle-même eu un jour envie d’être religieuse, elle comprenait mon souhait. Mais elle m’a prévenue que mon chemin serait parsemé d’embûches. Quant à mon père, il a complètement refusé, ne pouvant accepter l’idée que sa fille unique ne se marie pas. Mais en lui rappelant sa promesse, faite il y a quelques années, il a enfin consenti », raconte-t-elle.

Siham est donc partie au Liban et est devenue soeur Pauline. Là-bas elle a obtenu une licence d’enseignement religieux chez les Jésuites, à la suite de 7 ans de formation religieuse en français, durant lesquels elle a enseigné la catéchèse et le français.

De retour à Alexandrie, en 1974, soeur Pauline a repris ses études à la faculté des lettres et est devenue enseignante de français à l’Institution Sainte Jeanne-Antide, dont elle a été nommée directrice, puis directrice et supérieure.

Etant la troisième génération francophone dans la famille et éduquée à la française, la francophonie occupe une place très particulière chez soeur Pauline.

Enseignante hors du commun, elle traite avec ses élèves, depuis la fin des années 1970, des sujets très divers, tels le travail de la femme, la drogue, le cancer des enfants, etc. Elle a toujours cherché à leur inculquer une éducation menant à leur développement intellectuel, affectif et social. Et pour ce faire, elle ne suit pas les méthodes traditionnelles, reposant sur des cours magistraux. Ici, les élèves doivent présenter des exposés et des reportages, participer à des débats, interpréter des chansons, qu’elle accompagne à la guitare et de sa belle voix. « Je voulais faire aimer la langue française aux élèves. Je suis contre le par coeur, et surtout contre les leçons particulières. Mon objectif est de développer la réflexion des élèves et c’est pour cette raison que je soutiens le ministre actuel de l’Education, Tareq Chawqi, dans la réforme qu’il engage », dit-elle.

Pour atteindre ses objectifs, soeur Pauline suit des stages de formation à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth, en France et au Canada. De plus, elle travaille en étroite collaboration avec l’Institut français d’Egypte, afin de profiter des nouvelles méthodes qu’il prône. « Dans les années 1980, Sainte Jeanne-Antide était le laboratoire de l’Institut français ». Et c’est grâce au travail ardu de soeur Pauline et de son équipe que les deux établissements qu’elle gère ont eu le LabelFrancEducation, attribué par le ministère français des Affaires étrangères aux filières d’excellence bilingues francophones.

Avec un coeur débordant d’amour, soeur Pauline a mené de nombreuses activités caritatives en faveur de ceux qui sont dans le besoin: familles en détresse, personnes âgées, enfants abandonnés, lépreux, etc. Elle a commencé à visiter la léproserie située à la périphérie d’Alexandrie depuis 1979, avec 5 ou 6 de ses élèves. Elle y a planté un premier arbre en 1980. « Lors de notre première visite avec le père Boulad, père jésuite, l’un des lépreux a dit: Abattez le mur qui nous sépare de la société. Cette phrase m’a frappée ».

Parmi les moments agréables qu’elle a vécus, il y a celui d’une danse avec un lépreux qui l’a invitée à danser. Elle a pris ses mains tout simplement sans hésiter. « C’est ainsi que l’on montre l’amour de Dieu ». D’ailleurs, elle est sûre que l’amour qu’elle a semé a effectivement donné ses fruits, lorsqu’elle voit ses anciennes élèves continuer sa mission humanitaire, en menant à leur tour des actions caritatives.

Jeune, elle a également appris à servir au Collège de la Mère De Dieu et à l’Institution Sainte Jeanne-Antide. Cependant, sa mère était sa vraie inspiratrice. « Maman nous a inculqué les valeurs humaines et nous a appris l’amour des pauvres et de l’Autre. Elle nous incitait à venir en aide aux personnes en besoin, surtout aux domestiques dans notre maison ».

Soeur Pauline, qui a fêté son jubilé d’or dans la vie religieuse en juin 2018, a toujours accordé une grande importance à la prière, l’aidant à surmonter les défis qu’elle rencontre. « Une personne qui a réussi sa vie a toujours des ennemis. Parfois, la jalousie est à l’origine des difficultés que l’on rencontre, mais notre force vient de la philosophie que nous adoptons, notamment quand nous décidons de nous libérer des jugements et des paroles des autres. Et c’est à travers la prière que j’ai eu la force de le faire ». Mais il n’en demeure pas moins que la soeur a toujours été entourée de personnes qui l’ont soutenue, dont Mme Nabila Antoune, qui était son enseignante et l’a beaucoup encouragée lorsqu’elle est devenue directrice, à l’âge de 33 ans. Et soeur Paule-Geneviève Courrouble qui lui a donné tant d’affection après sa rentrée au couvent. « Soeur Paule-Geneviève était sage à tel point qu’on la surnommait la reine. Elle était l’oreille attentive, l’oeil veilleur, et m’a donné des conseils qui ont marqué ma vie », dit-elle d’une voix douce.

Toujours visitée par « ses filles », soeur Pauline est une vraie mère pour ces dernières. Elle est pleine d’énergie, ferme, mais pas stricte ni sévère, plutôt humaine. Soeur Pauline voit dans leurs visites « une consolation », surtout dans celle de la ministre de l’Immigration, Nabila Makram. « Nabila m’a rappelé une fois que lorsqu’elle avait perdu son père à l’âge de 10 ans, j’avais dit à sa maman: ne t’inquiète pas, ensemble nous allons l’éduquer. Cela m’a profondément touchée ».

La décoration de soeur Pauline par le président Al-Sissi, en mars 2019, est venue couronner le succès de son travail éducatif et social. « J’étais totalement impressionnée ce jour-là. Et j’ai remercié le président, en l’embrassant, pour tout ce qu’il fait pour notre pays », confie-t-elle, en affirmant qu’elle croit en l’avenir du pays. « Je demande aux Egyptiens de patienter, car bâtir un pays ne se réalise pas du jour au lendemain. Je suis sûre que les projets accomplis apporteront leurs fruits », conclut-elle avec beaucoup de conviction .

Jalons :

15 mars 1947 : Naissance au Caire.
Novembre 1967 : Départ au Liban pour devenir religieuse.
1974 : Licence d’enseignement religieux chez les pères jésuites.
1974 : Enseignante à l’Institution Sainte Jeanne-Antide à Alexandrie.
1978 : Licence ès lettres de l'Université d’Alexandrie.
De 1996 jusqu’à présent : Responsable des écoles de la congrégation en Egypte.
1997 : Remise des Palmes académiques au grade de Chevalier.
2005 à 2014, puis 2019 : Cheffe d’établissement de l’Institution Sainte Jeanne-Antide.
Octobre 2012 jusqu’à présent : Responsable des écoles catholiques pour le secteur d’Alexandrie et de Béheira.
2013 : Remise des Palmes académiques à titre d’Officier.
Mars 2019 : Décoration par le président Al-Sissi.

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