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Nadine Abdel-Ghaffar : Une vie, deux passions

Névine Lameï, Dimanche, 10 novembre 2019

Amatrice d’art et de patrimoine, Nadine Abdel-Ghaffar a fondé la boîte Art d’Egypte pour joindre l’utile à l’agréable, travailler dans les champs qu’elle aime et donner une autre vie aux sites historiques.

Nadine Abdel-Ghaffar
(Photo:Yasser Al-Ghoul)

Avec des yeux bleus pétillants d’énergie, Nadine Abdel-Ghaffar s’étale sur les détails de l’exposi­tion d’art contemporain Reimagined Narratives (récits réinventés) qu’elle vient d’organiser avec succès à la rue Al-Moez, dans le Vieux Caire fatimide. Et ce, dans le but de promouvoir l’héritage culturel égyptien et de célébrer les 40 ans de l’inscrip­tion de la rue Al-Moez sur la liste du patri­moine mondial de l’Unesco. Elle a fondé, en 2016, la boîte privée à caractère pluridiscipli­naire Art d’Egypte, afin de fournir des ser­vices de conseil en art. Et depuis, elle organise des expositions annuelles, liant toujours l’art et le patrimoine, en investissant des lieux et des sites historiques de prestige. « Art d’Egypte aide aussi les ONG égyp­tiennes à collecter des fonds pour la revivification et la sauvegarde du patrimoine. Nos services s’adressent aux institutions, aux entreprises, aux collectionneurs, aux maisons de vente aux enchères, aux fondations artistiques et aux musées. Et on conçoit également des programmes de sensibilisation culturelle », explique cette passion­née du patrimoine, dont le père n’est que Mamdouh Abdel-Ghaffar, le patron de l’entreprise franco-égyptienne Robson, spécialisée dans les revê­tements de façade. Sa mère, Aïda Fahmi, est une collectionneuse d’art, franco-égyptienne.

Née dans le quartier alexandrin de Rouchdi, Nadine Abdel-Ghaffar a grandi dans ce cadre autrefois féerique, fait d'anciennes villas magni­fiques. « Je pleure en voyant ces belles villas démolies l’une après l’autre. Il fallait les pré­server au lieu de les détruire et les remplacer par ces immondes immeubles qui enlaidissent la ville et qui poussent comme des champi­gnons. Alexandrie, qui était autrefois un centre de rayonnement culturel, a bien changé, ça fait mal au coeur. Il y a pas mal de consulats et d’institutions étrangères qui ferment ». Et d’ajouter: « Je me souviens des pique-niques qu’on effectuait avec ma grand-mère, une Française qui ne parlait pas un mot d’arabe, dans le jardin d’Allenby, et des moments de détente au fameux café brésilien ».

Nadine Abdel-Ghaffar a eu la chance d’être une proche du collectionneur d’art Hossam Rachwan, co-auteur du catalogue réservé au peintre Mahmoud Saïd (1897-1964). Elle est également très proche de l’archi­tecte alexandrin Mohamad Awad, célèbre pour son action dans le domaine de la sauvegarde du patri­moine alexandrin. Et ce, sans oublier son lien avec les artistes Effat et Mohamad Nagui, qui étaient les voisins de la famille Abdel-Ghaffar, à Rouchdi. « Mes parents fréquentaient régulière­ment l’atelier des deux frères peintres Adham et Seif Wanli. C’était l’une de leur sortie préfé­rée », précise-t-elle, ajoutant qu’ils sont en plus des amis proches de l’archéolo­gue français Jean-Yves Empereur, à qui l’on doit la découverte des trésors engloutis d’Alexandrie et la fondation du Centre des études alexandrines. « A 12 ans, j’accompa­gnais Jean-Yves Empereur sur les différents sites archéologiques. Les amis de ma famille ont façonné ce que je suis devenue aujourd’hui », avoue-t-elle fièrement.

Mère de deux enfants, Omar et Talia, elle essaye de leur inculquer une éducation assez ouverte. Cette ouverture sur les autres cultures caractérise aussi l’équipe qu’elle a choisie pour Art d’Egypte. « C’est une équipe formée majoritairement de jeunes filles. J’encourage les femmes à accéder à leur indépendance, à avoir un rôle actif en société », lance-t-elle. Car elle-même elle a mené une vie indépen­dante dès l’âge de 16 ans. « Je suis un peu comme ma mère, une passionnée de l’art de Effat Nagui, une femme égyptienne exception­nelle, raffinée et avant-gardiste. Ses peintures et ses installations sur bois, datant des années 1950-1960, relèvent carrément de l’art conceptuel. Qu’une femme voyage seule en France pour étudier, cela n’était pas commun à l’époque », indique Nadine Abdel-Ghaffar, qui a passé des stages un peu partout dans le monde pour s’auto-instruire en matière d’art décoratif, et ouvrir en 1999, à Mohandessine au Caire, une boîte spécialisée dans les peintures murales et décoratives, Veradeco, inspi­rées de la marque française Veraline. Celle-ci travaille actuellement en synergie avec Art d’Egypte, à partir des moments locaux au 6 Octobre, aux alentours du Caire.

Nadine a également suivi des études en marketing, à l’Académie arabe des sciences, des technologies et du transport maritime. Puis, elle a effectué d’autres études sur le design d’intérieur, au KLC School of Design, Chelsea Harbour, Londres. De quoi lui avoir permis de travailler avec de grands architectes comme Mohamad Noaman. En 2005, elle décide de tirer profit de ses connaissances dans le domaine de l’art et de devenir commissaire agréée par le Central Saint Martins College of Art and Design, à Londres. Puis, c’est Onsi Nagui, le neveu de l’artiste-peintre Mohamad Nagui, qui lui propose de l’aider à gérer le patrimoine de sa famille et de s’adresser à des maisons de vente comme Bonham et Christie's.

Abdel-Ghaffar commence ensuite à organi­ser des expositions en Egypte et à Dubaï, depuis 2011, oeuvrant à promouvoir les oeuvres d’artistes égyptiens, en leur créant des portfo­lios. « Un bon curateur doit savoir dialoguer avec les artistes et aller les dénicher, trouver un thème et un titre aux expositions, commu­niquer avec les gens, trouver des endroits convenables pour exposer », mentionne Abdel-Ghaffar, ravie de voir de nos jours autant d’initiatives réussies visant à faire revivre le centre-ville cairote.

Elle admire par exemple l’initiative de la société Al-Ismaelia, proposée par Karim Al-Chafeï. Il en est de même pour le travail d’Amy Mowafy, cofondatrice de MO4 Network, l’une des principales agences de création et de médias en Egypte. Il y a aussi l’action menée par Khaled Bichara, chef d’Orascom Development Holding, ayant réussi à faire de l’Egypte une destination de choix pour les touristes du monde entier. Quand elle a lancé une première exposition d’arts plastiques pour une seule nuit, au Musée du Caire, sur la place Tahrir, Lumière éternelle: quelque chose d’ancien et de nou­veau, elle avait en tête d’attirer l’attention vers le musée. « Un lieu magique qui date de 1902, qui aurait pu tomber dans les oubliettes. Car tous les fonds sont actuellement alloués au Nouveau Musée égyptien ». L’exposition regroupait des oeuvres d’Adam Hénein, de Farouk Hosni, de Khaled Hafez, de Youssef Nabil... Et on pouvait la visiter, la nuit, avec des oeuvres agencées en côte à côte avec des pièces et des objets pharaoniques. En tant que bénévole, Nadine Abdel-Ghaffar a tenté d’améliorer les conditions du vieux Musée égyptien. Elle a contribué à moderniser son système d’alarme incendie, les salles de bains, l’éclairage, etc.

Pour le vernissage de l’exposition Lumière éternelle, qui s’y tenait, elle a invité des vedettes internationales comme Isabelle Adjani et Louise Bourgoin, ainsi que d’autres personnalités éminentes et des collection­neurs. « Mon objectif était d’envoyer un mes­sage de paix au monde entier. Le fait de tenir l’exposition Lumière éternelle au Musée égyp­tien donnait une sensation très différente, même par rapport à un endroit prestigieux comme le Musée du Louvres. Une nuit au Musée égyptien marquera à jamais les mémoires. Par conséquent, cette année, l’Union européenne a accordé environ 8 mil­lions d’euros pour réhabiliter le Musée égyp­tien du Caire », déclare Abdel-Ghaffar.

En état de challenge permanent, cette der­nière se plait à relever les défis, quasiment toute seule: « Je ne dispose ni de budget mirobolant, ni de l’aide per­manente d’institutions en particulier. La société cherche à créer une plate­forme pour les artistes égyp­tiens. Je ne veux pas que les artistes soient obligés d’al­ler à l’étranger pour montrer leurs oeuvres, notamment celles de grands formats. Au contraire, je veux que les étrangers viennent pour visi­ter des sites investis d’oeuvres d’art. Je me suis dit que nous disposons de lieux histo­riques exceptionnels, que je vais juste mettre en valeur. Même avec des ressources limitées, rien ne peut m’arrêter ».

En octobre-novembre 2018, a lieu la deu­xième exposition, organisée par Art d’Egypte, au palais de Manial. « J’ai voulu aussi don­ner de la vivacité à ce lieu ancien. Les étu­diants des universités locales avaient droit à des tickets gratuits. Et nous avons organisé, en marge de l’exposition, des conférences ouvertes à tout public, avec des intervenants venus exprès de l’étranger », ajoute Nadine Abdel-Ghaffar, sur un ton enthousiaste.

Et enfin, la troisième exposition Reimagined Narratives, qui vient de se terminer le 9 novembre, s’est déroulée dans le quartier de Naguib Mahfouz. La rue Al-Moez a vu ainsi défiler tout le beau monde, outre sa clientèle habituelle. Les artistes y avaient passé quelques mois pour s’inspirer des lieux et concevoir leurs oeuvres. La rue vibre et vit, de manière différente. Nadine en est fière .

Jalons :

1978 : Naissance à Alexandrie.
2005 : Diplôme du Central Saint Martins College of Art and Design, Londres.
2016 : Fondation de la société Art d’Egypte.
2019 : Projet de documentaires sur les différentes générations de plasticiens alexandrins.

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