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Nadia Abdel-Hamid : L’insoumise des rings

Amira Doss, Mardi, 17 septembre 2019

Directrice technique de la sélection juniors de boxe et entraîneur de la sélection seniors qualifiée pour les Jeux Olympiques (JO), Nadia Abdel-Hamid est la première femme arabe entraîneur de boxe masculine. Elle vient par ailleurs d’être nommée consultante auprès du Comité olympique en Suisse. Parcours d’une battante.

Nadia Abdel-Hamid

Elle se demandait pourquoi, à l’âge de 10 ans, elle avait accroché dans sa chambre une photo de Mohamad Ali Clay, la star internationale de la boxe. Sa destinée était-elle toute tracée ? La réponse, elle l’a comprise 20 ans plus tard, en passant en revue les choix qu’elle avait faits jusque-là. Autrefois, la petite fille timide et réservée qu’elle était débordait d’énergie. Elle avait essayé tous les sports, mais aucun ne lui plaisait réellement. « J’étais une fille très curieuse, assoiffée d’apprendre et de comprendre tout ce qui m’entourait. J’étais assez costaude pour mon âge. Je jouais au basketball, mais je sentais que mes capacités physiques dépassaient celles de mes camarades. J’ai donc constaté très tôt que je n’étais pas faite pour exercer un sport collectif et que j’avais besoin d’un sport qui mette en évidence mes aptitudes individuelles », dit Nadia Abdel-Hamid, l’actuelle directrice technique de la sélection juniors hommes de boxe et entraîneur de la sélection seniors hommes qualifiée pour les Jeux Olympiques (JO).

Dans son club sportif, situé au quartier des pyramides, elle attire les regards d’un entraîneur de boxe qui lui propose de venir assister à l’un de ses entraînements. « En quittant la salle, je me suis promis de devenir une championne de boxe ! ». Promesse tenue. Seulement deux mois plus tard, son coach la pousse à participer au Championnat national, où elle décroche sa première médaille d’or. « J’avais à peine 15 ans et j’ai disputé un match contre une fille qui avait 10 ans de plus que moi. Mes parents pensaient que je jouais toujours du basketball. Seul mon frère était au courant. Les soirs, quand je rentrais avec du bleu au coin de l’oeil, je disais que c’était à cause du ballon de basket ».

Cependant, son secret a été vite découvert, puisque la jeune adolescente est devenue, du jour au lendemain, l’icône féminine de la boxe en Egypte. Faisant partie de la sélection nationale, elle a remporté des médailles d’or dans de nombreux championnats internationaux. Malgré la réticence de ses parents et les commentaires négatifs de ses pairs masculins, elle n’a pas cédé. Avec son corps robuste, sa voix rauque, sa vivacité, son endurance et, surtout, sa passion pour la boxe, elle ne cesse de réaliser des exploits. « Ma stratégie était simple, m’adapter à l’adversaire, c’est comme jouer aux échecs, puis lui couper le souffle. Quelque chose de magique, qu’on ne peut exprimer par des mots, prend corps lors du combat », dit Nadia Abdel-Hamid. Insoumise, elle explique participer aux combats sans haine ni rage. « Je n’aime pas faire de mal. Mais je veux gagner. Donc, on ne doit pas avoir de la pitié envers l’autre, mais on doit se respecter, se saluer avant et après le combat ».

Après des résultats prometteurs et des titres, on lui propose de se diriger vers l’entraînement. « D’abord, j’ai commencé par entraîner l’équipe nationale des filles. Pour la première fois dans l’histoire de ce sport, mes filles ont réussi à décrocher des médailles d’or lors du Championnat du monde en 2014 en Tunisie », déclare-t-elle. C’est ainsi que les responsables de l’Union égyptienne de boxe réalisent que le potentiel de Nadia dépasse de loin ce poste et lui accordent la responsabilité d’entraîner la sélection juniors hommes. « Ma tâche, au départ, était d’assister un expert assez renommé, venu de Cuba, le coach Francisco.Ses connaissances ont changé ma vie. Il m’a appris à concilier la science et les techniques de la boxe avec l’art. Ensemble, nous avons pu réaliser des résultats sans précédent dans ce sport », raconte-t-elle.

Mais la tâche n’a pas été aisée. Une femme entraînant des hommes à exercer un sport de combat ! Nadia Abdel-Hamid a dû surmonter des épreuves et lutter contre la discrimination et le chauvinisme masculins. « Je dissimulais toute ma féminité, parlais sur un ton sérieux et pragmatique. Au début, il y a eu beaucoup de prudence à mon égard et de l’incompréhension, mais avec le temps, on s’est rendu compte que je donnais un entraînement de qualité. Je leur répétais que dans une salle de boxe, il n’y a ni hommes ni femmes, seulement des boxeurs. Et progressivement, j’ai pris conscience qu’ils m’accordaient toute leur attention lorsque je leur prêtais conseil. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais réussi ».

Nadia Abdel-Hamid est la première femme à la tête d’une équipe professionnelle masculine. Elle est aujourd’hui directrice technique de la sélection juniors et entraîneur de la sélection seniors. Elle exige beaucoup de volonté, un travail assidu et une grande détermination, afin de briser toutes les barrières. Elle ne manque aucune occasion pour améliorer ses compétences : peu de temps après, elle a obtenu une bourse en Hongrie pour étudier les techniques d’entraînement, puis a participé à un atelier au Soudan qui lui a permis de devenir la seule entraîneur arabe de boxe. Elle a d’ailleurs obtenu le prix du meilleur entraîneur arabe, accordé par l’émir Mohamed Bin Rached des Emirats arabes unis. Actuellement, elle prépare un master sur l’évolution des techniques de boxe de par le monde.

Ses ambitions sont sans limites. Il n’est donc pas étrange que Nadia Abdel-Hamid ait été récemment choisie par le Comité olympique en tant que consultante pour le sport de la boxe. « J’ai toujours rêvé d’occuper un poste international qui me permet d’être parmi les preneurs de décisions en ce qui concerne cette discipline. Ce nouveau poste me permettra de travailler en faveur de l’Egypte. Je vais faire entendre la voix des athlètes égyptiens, contribuer à ce qu’ils puissent occuper la place qu’ils méritent, bénéficier de bourses, etc. » Aujourd’hui, Nadia prépare ses poulains pour les JO. « Les boxeurs sont prêts à affronter les meilleurs champions du monde. L’un des joueurs, Godzilla, a vaincu le champion des Etats-Unis ».

Au-delà des stéréotypes, pour elle, l’univers de la boxe est unique. « C’est un univers qui appartient à d’autres temps. Il m’a appris à rejeter tous les artifices pour ne préserver que l’essentiel : le combat. Le fait de se présenter sur le ring en face d’un autre boxeur n’est pas une situation anodine. Le déroulement du jeu apporte reconnaissance, respect et admiration sans pareils ». Pour elle, rien n’égale les moments de victoire, les applaudissements et les cris provenant des estrades.

Nadia Abdel-Hamid fait donc tout pour faire comprendre à ses boxeurs que la réussite et la victoire sont indissociables de la souffrance et de ce qu’ils doivent endurer. « Accepter la dureté du travail, devoir se soumettre à une routine rigoureuse, à un style de vie très strict. Tels sont les secrets de la réussite. Mon rôle est de veiller à l’amélioration de la performance des athlètes, de les former, de leur fournir des conseils, de les guider et de leur choisir les combats qui correspondent à leur niveau. Au fil des années, les athlètes ont progressé. Ils ont eu la chance de la croiser sur leur chemin, car elle les soutient jusqu’au bout, dans la bonne humeur. « Dans la vie comme sur le ring, on ne peut jamais s’améliorer sans recevoir des coups ».

Au centre olympique de Maadi, Nadia n’hésite pas à enfiler les gants pour montrer un geste à l’un des boxeurs. « Il est difficile d’avoir la même sensation dans les autres sports … Cette poussée d’adrénaline ... ». Toujours à proximité de ses joueurs, elle suit leurs mouvements défensifs et leurs coups. Lorsqu’ils intègrent leur coin entre les rounds, elle leur glisse des tactiques et des conseils stratégiques. « Dans ces moments, je deviens leur voix intérieure ; je m’identifie aux athlètes, à tel point d’avoir l’impression de recevoir moi-même les punchs des adversaires », explique-t-elle. Aujourd’hui, cette ancienne vedette des rings est rentrée dans l’histoire du jeu. Son équipe se prépare pour les JO et elle est la première Arabe à représenter ce sport au sein du comité olympique. « Je rêve de laisser une trace, d’inspirer les générations à venir, d’encourager les femmes à aller en avant », dit-elle.

Dans la vie quotidienne, Nadia Abdel-Hamid a appris à se battre au vrai sens du terme : elle se bat contre les injustices. « Il faut savoir éviter les coups, encaisser d’autres et riposter. Etre une femme dans un environnement masculin est une richesse. Ce qui paraît comme un simple sport devient un moyen de dire Non. Une façon d’affronter ses peurs et d’exprimer sa fureur. Le ring est une belle illustration de la vraie vie ».Au fil des ans, elle a appris que les défaites sont inévitables, mais « l’important c’est d’en tirer profit et de les transformer en quelque chose de positif », dit-elle.

C’est dans les salles d’entraînement que se forgent les battants. « La boxe ne ment jamais. Monter sur un ring est un moyen très fiable pour savoir ce que l’on vaut. On ne peut pas mentir, ni à soi-même ni aux autres. Il faut essayer de rester debout et apprendre à surmonter ses blessures ». C’est avec cette philosophie que Nadia passe d’un championnat à l’autre, d’un combat à l’autre, suivant le conseil de la légende de la boxe Mohamad Ali Clay : « Tu ne perds pas quand tu tombes, tu perds quand tu ne te relèves pas ». Ce conseil semble guider sa destinée, depuis bien avant qu’elle ne mette les pieds sur un ring de boxe. Du coup, elle a compris pourquoi elle avait accroché, très jeune, la photo de Mohamad Ali Clay sur les murs de sa chambre.

Jalons :

Août 1989 : Naissance au Caire.

2006 : Première médaille d’or en tant que boxeuse au Championnat d’Egypte.

2013 : Premier championnat en tant qu’entraîneur de la sélection femmes. Les athlètes remportent deux médailles d’or.

2014 : Obtention d’une bourse pour étudier les techniques de la boxe en Hongrie.

2016 : Entraîneur de la sélection juniors hommes.

2018 : Elle reçoit le prix Mohamed bin Rached du meilleur entraîneur arabe.

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