Il vient d’être honoré par la ministre égyptienne de la Culture pour ses plus de 35 ans de carrière musicale, lors de la cérémonie d’ouverture de la 28e édition du Festival de la Citadelle, en cours. D’ailleurs, le trompettiste participe à ce festival musical d’été le 28 septembre, en animant un concert de jazz classique, accompagné de son groupe Boghdady Band, au théâtre Al-Mahka 2.
Professeur au Conservatoire du Caire, chef d’orchestre et jazzman, Magdy Boghdady a été nommé directeur artistique de l’Opéra du Caire en juin 2018. Chargé donc de la programmation des diverses activités des opéras du Caire, d’Alexandrie et de Damanhour, le musicien de 60 ans fait de son mieux pour être présent sur scène. Toujours avec un sourire radieux et un regard dynamique. « Cette année, le Festival de la Citadelle a rendu hommage à des personnes qui ont marqué son déroulement depuis sa 1re édition en 1990. Je suis fier d’être parmi ces dernières », déclare Magdy Boghdady. Et d’ajouter : « Il y a aussi des artistes qui participent à ce festival d’été pour la première fois, comme la chanteuse franco-libanaise Tania Kassis, prix Murex d’Or, qui se produit le 30 août. Elle interprètera la chanson Ave Maria sur la tolérance entre les adeptes des diverses religions. Cette oeuvre célèbre de Caccini sera donnée avec le chant du muezzin comme fond sonore. Tania Kassis a un style qui lui est propre, s’agissant notamment de ses chants patriotiques pour le Liban, comme dans Ounchoudate Beyrouth (hymne de Beyrouth) ou Watani (mon pays) ».
Le directeur artistique de l’Opéra est épris de tout ce qui est classique et aime donc écouter les chansons d’Oum Kalsoum, de Abdel-Motteleb, Halim, Sinatra, Mireille Mathieu, Barbara Streisand. Il adore le jazz old school. Et s’il doit aussi connaître tout autre genre de musique, même le heavy rock, il n’aime pas la musique trop assourdissante. « Pour moi, la musique des Mahraganate (musique électro-chaabi, à la mode) se veut rebelle. Elle a accompagné la Révolution du 25 Janvier 2011 dans les banlieues populaires égyptiennes. Cependant, elle n’est pas du genre raffiné ».
Or, le raffiné est à la tête de ses priorités. Cependant, il ne dispose pas de beaucoup de moyens pour atteindre son but. « L’Opéra souffre de graves problèmes financiers. Le budget ne nous permet pas souvent d’inviter des artistes de grande renommée, mais nous faisons de notre mieux pour présenter une programmation de qualité. Par exemple, en 2019, nous avons invité de nouvelles troupes de ballet, en provenance d’Italie et de Russie, comme la compagnie de Saint-Pétersbourg, qui vient de présenter Le Lac des cygnes. Et ce, sans oublier la soprano japonaise Michi Nakamaro, qui a chanté Aïda à l’Opéra du Caire », explique Boghdady, qui a été nommé doyen du Conservatoire du Caire en 2012, mais a refusé d’occuper ce poste, craignant le chaos qui a marqué cette période post-révolutionnaire. « Entre 2010 et 2012, j’étais vice-doyen du Conservatoire. Mais après la Révolution du 25 Janvier 2011, la liberté a viré en désordre, indiscipline et vulgarité. Ce n’était pas évident de gérer les étudiants. L’Opéra a également connu des moments difficiles à la même époque. Actuellement, tout revient à la normale, petit à petit », précise-t-il.
Né à Genève, en Suisse, Magdy Boghdady a ensuite vécu aux Etats-Unis, plus précisément à Las Vegas, avec sa mère et son père, le metteur en scène de théâtre musical Ibrahim Boghdady, qui y tenait sa propre troupe Boghdady Show. « Le nom de mon père scintillait sur les affiches de théâtre à Las Vegas. Il devançait parfois celui de Frank Sinatra. Tous les deux se produisaient sur les mêmes théâtres à Las Vegas, vers la fin des années 1950 et le début des années 1960. C’est mon père qui a introduit, en Egypte, les spectacles acrobatiques autour de 1963. Son rêve était d’y lancer des spectacles à la Broadway. Mais on lui a mis les bâtons dans les roues. De retour en Egypte en 1963, mon père s’est exposé à des rancunes. Il est revenu des Etats-Unis avec une voiture Cadillac, même le président Nasser n’avait pas une voiture comme la sienne. La douane la lui a confisquée pour une raison ou une autre. Tout était compliqué », raconte Magdy Boghdady.
A la maison de ses parents, aux Etats-Unis comme en Egypte, il y avait souvent la musique de Beethoven, Bach …, des morceaux classiques de l’époque baroque ou romantique. Cette ambiance a sans doute cultivé le goût de tout ce qui est ancien et raffiné chez le jeune musicien, qui a fini par fonder le Boghdady Band en 2004. C’était l’un des premiers big bands de jazz en Egypte, après celui de Salah Ragab (1949-2008), à jouer des airs américains et égyptiens des années 1920, 30 et 40. « Le big band est une formation orchestrale de professionnels interprétant des oeuvres du répertoire du jazz classique old school, particulièrement dans le style swing des années 1960 et d’avant, y compris des musiques de films arabes en noir et blanc. On joue, par exemple, In The Mood de Glenn Miller, Sing Sing Sing de Benny Goodman et Mambo ... Je suis fier que mon big band ait fait naître des stars qui, à leur tour, ont créé des groupes jazz classique, comme le Wave Jazz Band, le Cairo Jazz Band, et d’autres », se réjouit Boghdady, dont le but ultime est de préserver la tradition originale du jazz en créant des opportunités pour les jeunes amateurs et, pourquoi pas, en fondant un jour une école de jazz accréditée par une institution musicale internationale.
Une fois rentré au Caire, il a été scolarisé à l’école Al-Orman au quartier de Mohandessine, où il a également habité avec ses parents. Il en garde de très beaux souvenirs, notamment du club sportif de Zamalek, où il a pratiqué la gymnastique au sol et participé à des tournois. En 1979, le jeune Magdy Boghdady est admis au Conservatoire du Caire. C’est la trompette qui a retenu son attention. « Je me sentais à l’aise avec la trompette, mon instrument favori, et ses sections mélodiques », affirme Boghdady. En 1984, il obtient une bourse d’études à l’Ecole supérieure de la musique et des arts, à Francfort, en Allemagne. Et devient ainsi le premier Egyptien à obtenir un doctorat en lien avec la trompette du Conservatoire du Caire, en 1990.
Ensuite, il a été chargé de conduire l’orchestre d’instruments à vent du Conservatoire en 1993. « A Francfort, je me baladais en ville et visitais les divers magasins d’instruments musicaux. J’étais très épris des baguettes de direction de chef d’orchestre. J’en possède un tas. A l’époque, je ne savais pas du tout que j’allais moi-même diriger un orchestre ! ». Pour Boghdady, la direction d’orchestre est tout un art qui exige une compréhension des éléments de l’expression musicale : tempo, dynamiques, nuances et articulation. Elle exige surtout de savoir communiquer avec tous les musiciens. « Un chef d’orchestre est d’abord un bon manager qui doit donner la mesure, afin de permettre à chaque musicien de sortir le meilleur de lui-même. Je suis, à la base, un musicien, donc je comprends les dessous de cette profession, les sentiments de négligence ou le manque d’appréciation de la part du maestro, qui peuvent gêner un musicien. Il faut savoir lire le langage du corps pour arriver à une bonne direction, c’est-à-dire atteindre un point de convergence, de bien-être et de bonheur, réunissant l’orchestre, le maestro et le public. C’est ce que j’appelle le triangle du bonheur, le secret de toute performance orchestrale », souligne-t-il.
Boghdady effectue des études libres en direction d’orchestre en Angleterre, en 1995, en suivant des cours avec les meilleurs chefs d’orchestre de la musique contemporaine, à savoir Timothy Reynish, James Croft et Baldur Bronnimann. Revenant à l’Allemagne, Boghdady se souvient : « En Allemagne, j’ai vu de près le plus grand trompettiste du monde, Maurice André. De même, j’ai assisté à un concert de Ludwig Güttler, de l’Orchestre de Berlin. Tout est accessible dans ce pays de la discipline et de la ponctualité ». « Encore étudiant au Conservatoire du Caire, mon argent de poche ne dépassait pas les dix piastres. Je devais choisir entre prendre l’autobus du Conservatoire pour rentrer chez moi et manger un bout avec les 10 piastres et rentrer à pied de Guiza à Modandessine », lance Boghdady, diplômé du Conservatoire du Caire en 1982.
Mohandessine, à l’époque, était un quartier assez vert, surnommé le « quartier des champs ». Progressivement, il est devenu beaucoup plus chaotique. N’y retrouvant plus le quartier de son enfance, Boghdady a choisi d’habiter la cité du 6 Octobre, plus à la périphérie de la ville, avec sa femme violoniste, Mayada Salaheddine, elle aussi professeure au Conservatoire. Le musicien se promène tous les jours avec son chien Maylou dans les jardins qui entourent sa maison. « J’adore les animaux ! Les quelques heures que je passe avec mon chien sont la meilleure façon de commencer la journée », dit-il. Et la trompette ne lui procure-t-elle pas autant de plaisir ? Le son né des vibrations d’une colonne d’air, provoquées par le souffle libre de son joueur, n’apaise-t-il pas son âme ? Si, sans doute, c’est ce qui compense la lourdeur des tâches administratives. « Je n’aime pas les lieux clos. J’étouffe dans mon bureau à l’Opéra, mais ce qui me soulage, c’est l’ambiance conviviale qui règne dans toute l’équipe de travail. J’essaye de gagner la confiance des autres avec respect et amour », conclut le musicien, qui fait également de son mieux pour être un bon gestionnaire.
Jalons :
1959 : Naissance à Genève, Suisse.
1982 : Diplôme du Conservatoire du Caire.
1983-1997 : Premier trompettiste de l’Orchestre symphonique du Caire.
1985-1990 : Bourse à l’Ecole supérieure de la musique et des arts, à Francfort, Allemagne.
1990 : Doctorat au Conservatoire du Caire.
1997-2003 : Chef de la section instruments à vent au Conservatoire du Caire.
2004 : Fondation du Boghdady Band.
Depuis 2008 : Professeur au Conservatoire.
Depuis juin 2018 : Directeur artistique de l’Opéra du Caire.
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