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Inès Mékkawi: 1 femme vaut 100 femmes

Névine Lameï, Lundi, 08 juillet 2013

Politiquement engagée dans l'opposition au régime islamiste, Inès Mékkawi est aussi membre fondateur de l'ONG Bahiya ya Misr. Un mouvement féminin égyptien, qui entend par son action redonner à la femme sa juste valeur dans la société.

Inès Mékkawi
Inès Mékkawi, membre fondateur de l'ONG Bahiya ya Misr.

De son air gal et affable, son doux sourire cachant une forte personnalité, ne la quitte jamais. La célébrité qui vole la vie aux gens l’intéresse peu. Rarement présente sur les plateaux de télé, elle préfère le rôle de chef d’orchestre, celui de rendre cohérent un ensemble de toute une équipe de bénévoles, pour assumer des responsabilités et s’imposer dans la société. Droits des femmes, citoyenneté, égalité sociale et patriotisme arrivent en tête de ses activités.

L’activiste politique et ambassadrice Inès Mékkawi est à la fois membre fondateur de l’ONG Bahiya ya Misr (prénom qui se réfère à l’Egypte). Un mouvement de défense des droits de femme, présent dans toutes les protestations, dont celles du 30 juin dernier opposées au régime islamiste de Mohamad Morsi. Mékkawi est aussi coordinatrice générale du Comité permanent des femmes en Egypte. Sous-secrétaire générale adjointe du Front National du Salut (FNS, l’opposition égyptienne) représentante de la société civile à la Ligue arabe, elle est aussi la fille du célèbre compositeur égyptien défunt Sayed Mékkawi, dont la musique a dépassé l’Egypte pour devenir partie intégrante du patrimoine arabe.

Mais elle refuse d’être le cliché « tel père, telle fille » et veut être reconnue pour sa personne et son travail. « J’étais un élément essentiel dans la vie de mon père qui me demandait conseil. En retour, il m’apportait patience, rigidité et résistance. Mon père est une partie inséparable de la conscience de tous les Egyptiens. Patriote, il était non-voyant, mais Dieu lui a donné la perspicacité. L’Egypte célèbre annuellement la mémoire de Sayed Mékkawi, celui qui dans le temps incarnait à la radio égyptienne le personnage du méssaharati (annonçant la proximité de la reprise du jeûne dans les nuits du mois du Ramadan, ndlr) », déclare Mékkawi, dont le nom est donné à une rue du quartier d’Al-Agouza au Caire, rue Sayed Mékkawi.

Dès son enfance, elle est entourée d’artistes et d’intellectuels, amis de son père. « La lise est longue : Sayed Drawich, Salah Jahine, Hégazi, Fouad Haddad, Abdel-Rahman Al- Charqawi, Cheikh Imam, et d'autres. Ces gens vivent parmi nous par leurs oeuvres abordant tous les thèmes économiques, sociaux, intellectuels et politiques qui touchaient les classes défavorisées, se moquant la bureaucratie. Cajolée sur leurs genoux, j'ai été profondément marquée par eux. A travers eux, j’ai compris qu’il ne fallait pas être un simple passant dans la vie. A chacun sa propre pensée, parole et vision à défendre », affirme Mékkawi, sans manquer d’évoquer la fameuse opérette de son père, Al-Leila Al- Kébira (la grande nuit) écrite sur les paroles du poète Salah Jahine et ancrée dans la mémoire des Egyptiens. « La Grande nuit de Mékkawi évoque la nuit par laquelle se termine le mouled (grande fête populaire). Son opérette dit : Nous sommes comme assal et téhina ! (inséparables comme les composants de la pâte de sésame sucré) », rappelle Mékkawi. S’agit-il ici de rappeler métaphoriquement la « grande nuit » du 30 juin 2013 et ses manifestations populaires dans toute l’Egypte, en opposition au régime des Frères musulmans ? « J’ai porté à la place Tahrir des oeuvres inédites de Sayed Mékkawi, pour participer aux protestations du 30 juin et des jours d’après : Ezrae kol al-ard moqawma (cultiver la terre de résistance), Al-Sahbaguiya (les compagnons), Misr tahia Misr (vive l’Egypte). Des oeuvres capables d’enflammer les sentiments patriotiques. Je ne peux pas priver les jeunes révolutionnaires de l’héritage de mon père, qui est également le leur. Un héritage qui compte plus de 3 000 disques rassemblés dans la bibliothèque de Mahmoud pacha Raafat », déclare Mékkawi, très proche de la campagne Tamarrod (rébellion) qui a rassemblé 22 millions de signatures du peuple égyptien contre Morsi. « Tamarrod, cette voix égyptienne de la jeunesse a admirablement appelé à une mobilisation massive le 30 juin 2013, un an après l’élection du Frère musulman, Mohamad Morsi, à la présidence de l’Egypte, pour réclamer sa démission et des élections présidentielles anticipées. Tamarrod est passé d’un mouvement de jeunesse à un mouvement de peuple », déclare Mékkawi.

Bahiya ya Misr a été fondée quelques jours après le 1er février 2012, date de la tragédie du stade de Port-Saïd lors d’un match de football. « 74 morts et une centaine de blessés … Je n’ai pas trouvé autre moyen en contrecoup à ce drame que de fonder Bahiya ya Misr. Cela, surtout lorsque l’un des conseillers de l’ancienne Assemblée du peuple, dissoute à la mi-juin 2012 et composée d’une majorité d’islamistes, a demandé aux femmes révoltées d’exposer leurs demandes. A l’époque, j’étais peinée d’entendre les femmes perplexes dire : Qu’allons-nous demander ? Il fallait tout d’abord unir leurs paroles. Dès lors, Bahiya ya Misr, qui puise son nom dans le patrimoine culturel égyptien, est présente dans la rue », déclare Mékkawi. Avec son ONG, elle a dénoncé l’ignorance totale du rôle de la femme égyptienne dans la reconstruction du pays et son absence à l’assemblée constituante en dépit de sa présence dans la révolution du 25 janvier.

Lors des manifestations du 30 juin, c’est Bahiya ya Misr qui est à l’origine du visage de Mohamad Morsi barré de rouge. C’est aussi Bahiya ya Misr qui a encouragé les femmes égyptiennes, notamment les plus âgées, incapables d’aller à la place Tahrir, à se réunir et porter le drapeau égyptien audessous de la statue d’Oum Kalsoum dans le quartier de Zamalek. C’est encore Bahiya ya Misr qui a appelé les femmes à porter les grands drapeaux de pionnières égyptiennes comme Oum Kalsoum, Chahenda Meqled, Souad Hosni et autres, pour réclamer que « les hommes d’Egypte ne se dénudent pas » à la suite de l’incident du citoyen égyptien Hamada Saber, battu, traîné par terre et déshabillé par les forces de la sécurité centrale, devant le palais présidentiel d’Ittihadiya le 1er février 2013. « Cette manifestation, la première en son genre, a bouleversé le monde. Notre message était fort. Les hommes ont vu des femmes faire face au terrorisme sexuel et ne sont pas allés les défendre. Ces viols visaient à exclure les femmes de la vie publique et à les punir pour leur participation au militantisme politique. Mais la femme égyptienne ne s’est avérée être ni vaincue, ni brisée, en préservant toute sa douceur, son affection et sa compassion. Je n’aime pas le proverbe qui dit : une femme équivaut à 100 hommes. Pour moi, la femme équivaut à 100 femmes. La virilité est une qualité et non pas un sexe », accentue Mékkawi.

Son travail a permis d’unir la voix des femmes : « La voix de la femme est une révolution », tel est le slogan de Bahiya ya Misr parvenu à transformer la condition de la femme en une question de citoyenneté. « Le 30 juin est l’une des premières vagues révolutionnaires. Le chemin est long pour l’évolution de l’Egypte, même si on est contraint d’entrer dans une phase de désobéissance civile », précise Mékkawi, première femme à avoir été poignardée par des « baltaguis femmes de l’ancien régime Moubarak » selon son expression, le lendemain de la bataille des chameaux en 2011. « Blessée, je continuais à fréquenter quotidiennement la place Tahrir pour apporter aides médicales et provisions », raconte Mékkawi.

Si Inès Mékkawi n’a pas fait d’études en sciences politiques, elle les a amplement pratiquées sur le terrain. C’est à l’Université américaine du Caire (AUC) que, diplômée de la faculté d’archéologie de l’Université du Caire, elle obtient deux autres diplômes. L’un en administration des affaires, l’autre en migrations humaines. « Je dois beaucoup à ma professeur américaine Barbara qui a ouvert au début des années 1990, à l’AUC, une nouvelle section sur les migrations humaines. Je me suis retrouvée dans ce domaine, car il s’agit de droits de l’homme, ma passion innée. J’ai toujours été préoccupée par la question palestinienne et les colonies de peuplement israéliennes en territoires palestiniens », souligne-t-elle.

Sans vouloir en parler, Mékkawi est extrêmement soucieuse de ne pas mêler son travail de diplomate, politiquement « sensible », à celui d’activiste politique. Ambassadrice représentante de la société civile à la Ligue arabe, Mékkawi déclare en peu de mots : « Je travaille à la Ligue arabe depuis plus de 20 ans. Je crois au travail des organisations de la société civile à dessiner les potentialités politiques dans la région arabe, surtout dans cette période extrêmement sensible que traverse actuellement le monde arabe ».

Jalons:

1998 : Doctorat en anthropologie sur Le Rôle de la femme afro-arabe à l’AUC.

5 février 2012 : Fondation de Bahiya ya Misr.

Juin 2013 : Appel de Bahiya ya Misr, avec le réalisateur KhaledYoussef, aux manifestations culturelles d’artistes et intellectuels.

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