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Dilshad Questani : Le peintre qui réinvente les paysages

May Sélim, Mardi, 30 juillet 2019

Autodidacte, l’artiste-peintre franco-kurde Dilshad Questani se sert de la peinture pour raconter ses voyages et exprimer sa tourmente, mais aussi pour célébrer la vie.

Dilshad Questani
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Depuis 2017, il effectue des tournées artistiques de par le monde, avec cette exposition qui se renouvelle au fur et à mesure : Voyage dans l’âme. Il garde toujours le même titre ainsi que les principales peintures, tout en y ajoutant certaines oeuvres plus récentes, et souvent très touchantes. La tournée avait commencé à Amman, puis il a exposé à Paris et dans plusieurs autres villes, avant d’atterrir au Caire, précisément à la galerie Picasso, à Zamalek. Ses tableaux abstraits reflètent des paysages qu’il invente et réinvente à sa manière. « Je ne crois pas vraiment aux frontières géographiques. Ma vraie patrie est la peinture. Je m’attache à la terre au sens plus large », lance l’artiste-peintre français d’origine kurde, Dilshad Questani, en arabe classique.

Il parle l’arabe, le kurde et le français, et éprouve une grande passion pour sa terre natale, le Kurdistan iraqien, même s’il s’est installé en France pour de bon. Ses toiles montrent des paysages des deux pays qui n’existent pas vraiment, des paysages rêvés. Et l’Egypte aussi est très présente dans ses oeuvres. « J’ai visité l’Egypte pour la première fois en 2017, en réponse à l’invitation d’un ami. J’ai été très ému par l’hospitalité des gens, par Le Caire et les vagues d’Alexandrie. A cette occasion, j’ai tenu ma première exposition dans le pays au Musée d’Ahmad Chawqi, sous le titre de Voyage dans l’âme. Les êtres humains sont tous liés les uns aux autres. L’âme est capable de capter les petites choses qui peuvent se traduire plus tard dans mes oeuvres. Un regard, une allure, un détail vestimentaire peuvent me donner envie de peindre ou peuvent engendrer au fond de moi différentes sensations, lesquelles m’incitent à peindre. Je peins ce que je ressens en moi », explique l’artiste.

Après quelques instants de silence, il reprend : « Je crois que je pourrai garder ce même titre pour les expositions à venir ». En effet, toute peinture n’est-elle pas un voyage dans l’âme ? Une expression de soi ? Questani assure que ses peintures abstraites sont le reflet de son âme et de sa quête spirituelle continue. « Peindre, c’est mon principal outil de communication, je l’ai choisi de bon gré. Je n’ai pas fait d’études aux beaux-arts. Je peins mes moments intimes, mes émotions instantanées, assez marquantes », souligne l’artiste autodidacte, qui sème l’espoir dans ses toiles, malgré un petit air de nostalgie, voire de chagrin.

Ses tableaux abondent de vie et de mouvement. On y respire la mer d’Alexandrie, on y retrouve le quartier vert de Maadi, le Kurdistan iraqien y semble se débarrasser de ses maux de guerre. C’est le moment de la floraison, d’une nouvelle vie, le moment de célébrer le Newroz ou la fête du printemps. « J’aime beaucoup le Kurdistan et j’essaye toujours d’introduire sa culture et ses couleurs à ceux qui ne le connaissent pas, à travers mes peintures », précise l’artiste. Les paysages français, encore plus clairs, traduisent la liberté. Les nuances de l’orange évoquent un espoir naissant, un bel avenir et une fraîcheur. « L’orange, c’est le soleil qui se lève tous les jours, c’est l’âme de la vie », estime-t-il.

Questani est un combattant, un survivant qui croit en la force du changement. Malgré la guerre, les contraintes politiques frustrantes et l’exil, lui, il célèbre la vie. Il ne s’attarde pas longtemps sur les mauvais souvenirs et raconte avec fierté ses mémoires au Kurdistan.

Encore enfant, à l’âge de 6 ans, sa famille s’est déplacée de Kirkuk à Souleimaniye, la ville culturelle et artistique du Kurdistan, afin de chercher un avenir meilleur. Questani, à cause des remous politiques sous le régime de Saddam Hussein, notamment la persécution des Kurdes, n’a pas pu poursuivre ses études scolaires. Pourtant, il était parmi les plus talentueux de sa ville. Ayant une belle voix, qu’il a héritée de son père, il a chanté à l’école dès l’âge de 6 ans. Ensuite, il a écrit, composé et chanté et s’est produit plusieurs fois à la télévision kurde. L’écriture et la poésie lui permettaient d’exprimer les idées qui le hantaient.

Questani s’est aussi lancé dans le théâtre. « A cette époque, la peinture était plutôt un exercice discret. Je n’osais pas montrer mes peintures à quiconque. Je les gardais pour moi. J’avais toujours ce préjugé que, comme je n’avais pas fait d’études de beaux-arts, mes oeuvres ne seraient jamais à la hauteur des peintures exposées dans des galeries. La peinture était juste une passion que j’exerçais de temps en temps, tout seul, en toute discrétion », explique Questani, qui ne savait pas encore ce qui l’attendait. Il ne pouvait pas imaginer qu’il serait un peintre professionnel, mais le destin a bien arrangé les choses.

Le jeune chanteur et poète rejetait l’oppression exercée par le régime de Saddam Hussein contre les Kurdes. Il a rejoint les Peshmergas (les combattants des forces armées du Kurdistan iraqien, dont le nom signifie littéralement « ceux qui affrontent la mort »), qui s’opposaient au régime de Saddam. « En 1991, des émeutes se sont déclenchées dans toutes les villes kurdes. Nous luttions contre Saddam Hussein et ses forces armées. A Souleimaniye, l’ambiance était calme, mais mon rôle était de mobiliser les gens et d’organiser des manifestations. J’ai approché quelques personnes et j’ai commencé à parler à haute voix, pour attirer d’autres. C’est ainsi que tout a commencé. J’étais un leader dans ma ville », raconte-t-il. A la suite de ce soulèvement, les Kurdes ont beaucoup souffert de persécution, d’arrestation et d’exil.

Dilshad Questani a dû quitter le pays et a voyagé avec sa petite famille. La décision n’a pas été facile, car tous ses proches, sa grande famille, sont restés au Kurdistan. « Ma famille s’est d’abord installée en Allemagne. J’ai voulu la joindre. J’ai débarqué d’abord en France, puis je me suis dirigé vers l’Allemagne, où j’ai demandé le droit d’asile. Mais selon les lois européennes, puisque la France était mon premier point de débarquement, c’est le pays où je devais demander le droit d’asile. C’était bizarre. J’étais dans un pays dont j’ignorais complètement la langue et dont je ne connaissais que quelques peintres, tel Claude Monet. La France m’a offert cependant une grande liberté », poursuit le peintre.

Il a commencé à peindre, à faire la connaissance d’autres peintres et de commissaires d’expositions. « Pendant six mois, je n’ai fait que peindre, et à la fin, j’ai exposé à la ville de Chaumont, où je me suis installé. Une association française m’a demandé de faire quelques peintures pour une exposition qu’elle organisait. J’ai réalisé 25 tableaux. J’ai voulu prouver au monde que je pouvais bien m’exprimer par le biais de la peinture et réussir une nouvelle voie. Le jour du vernissage, une femme est venue me voir, me disant que mes tableaux lui rappelaient les vers de Victor Hugo. Je ne savais pas quoi lui répondre, car je parlais très mal le français. Je lui ai demandé de m’écrire plutôt ce qu’elle disait. Ses mots m’ont beaucoup touché et ce souvenir m’a donné espoir », se rappelle-t-il avec émotion.

A la suite de cette première exposition, les peintures de Questani ont été exposées dans différents espaces en France et en Europe. Il a voyagé partout avec ses tableaux. Puis, après avoir obtenu la nationalité française, il a pu visiter sa terre d’origine. « Je peux aujourd’hui me rendre chez mes proches. Mes peintures ont été exposées au Kurdistan. Je m’intéresse à y passer un mois de vacances chaque année », lance l’artiste. Et de souligner: « La situation là-bas a beaucoup changé, surtout après la chute de Saddam Hussein. La vie culturelle et artistique est en pleine effervescence ». Lui, toutefois, va continuer de vivre en France. Le peintre porte son pays d’accueil au fond du coeur

Jalons :

1957 : Naissance au Kurdistan iraqien.

1963 : Sa famille quitte Kirkuk pour s’installer à Souleimaniye.

1988 : Naissance de sa fille Kale.

1991 : Soulèvement des Kurdes et début des manifestations à Souleimaniye contre le régime de Saddam Hussein.

1998 : Départ définitif pour la France et première exposition à la ville de Chaumont.

2010 : Obtention de la nationalité française.

2017 : Visite du Caire et exposition au Musée Ahmad Chawqi.

2019 : Exposition Voyage dans l’âme à la galerie Picasso, à Zamalek.

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