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Mahmoud Refaat : Rebelle dans l’âme

May Sélim, Lundi, 08 avril 2019

Grand amateur de musique « expérimentale », le musicien, producteur et compositeur Mahmoud Refaat a toujours aimé s’éloigner des sentiers battus. Initiateur du label musical 100 Copies et programmateur du volet musical du festival D-CAF des arts contemporains, il aide les jeunes artistes à faire entendre leur voix à l’écart du mainstream.

Mahmoud Refaat
(Photo: Bassam Al-Zoghby)

Le concierge de l’im­meuble de la rue Qasr Al-Nil, où se trouve son bureau, l’appelle « l’homme aux cheveux frisés ». Il nous fait monter au 10e étage, où se trouve une pancarte en bois portant l’inscription Studio 100 Copies. Le musicien-compositeur Mahmoud Refaat se sent tout à fait à l’aise dans le décor simple de cet appartement du centre-ville cairote. Sur les murs sont inscrits quelques mots-clés à l’aide d’un stylo-feutre indiquant des rendez-vous avec des stars de la musique Electro Chaabi, des événe­ments particuliers ou rappelant les titres d’albums produits par le label 100 Copies.

Refaat se positionne comme défen­deur de la musique dite « expérimen­tale » autrefois, alors que mainte­nant, on préfère l’appellation « musique des jeunes ». C’est un homme qui a, en tout temps, réussi à garder son autonomie et à imposer son label musical sur scène. « L’expérimental veut simplement dire du nouveau. Les jeunes ont ce pouvoir de découvrir, d’expérimen­ter et d’aller vers l’inédit. Il faut bien noter qu’aujourd’hui, le terme expérimental est devenu suranné. C’était une qualification qui décri­vait toute musique différente qui cherchait à refléter les voix et les sons de la vie quotidienne, en les intégrant dans une composition musicale. Cela émanait essentielle­ment du progrès et du développe­ment technologique, ce qui a ouvert la porte, aujourd’hui, à la musique électronique », explique le musicien et producteur.

Programmateur du volet musical du festival D-CAF des arts contempo­rains, Refaat a tou­jours encouragé les musiciens à s’adres­ser à un public diffé­rent, à faire découvrir leur travail en dehors de leurs cercles res­treints. Ainsi, durant les précédentes édi­tions du festival, se sont produits Hassan Khan, Bachar Mar Khalifé, Sadate, Islam Chipsy, Ahmad Al-Swissi et le groupe Studio Stella, en même temps que d’autres stars confirmées de la chanson popu­laire, tel Abdel-Basset Hammouda. « Je participe au D-CAF depuis 2011. La société Ismaïliya de l’in­vestissement urbain et immobilier a voulu créer une manifestation artis­tique qui se déroule au centre-ville, mettant en valeur ses espaces et ses beaux bâtiments restaurés. Et ce, dans le but de les promouvoir. Les responsables m’ont alors contacté pour que je m’occupe de tout ce qui est relatif à la musique. J’ai choisi le Cinéma Radio pour accueillir les concerts et les diverses activités musicales. Il a été par la suite res­tauré », raconte Refaat. Et de pour­suivre : « Le D-CAF entend être une tribune pour tous ces jeunes qui cherchent à s’exprimer différemment et à faire entendre leur voix. Il faut provoquer un choc artistique. Nous avons été souvent critiqués, car nous ne faisons pas appel à des stars, préférant inviter des groupes étran­gers peu connus. On a même été parfois accusé de mettre les bâtons dans les roues des stars confirmées. Or, nous avons toujours jugé que ça ne servait à rien de recourir à des noms qui sont déjà un peu partout et qui ont un succès sur le mar­ché. Nous voulons plutôt offrir une chance à ceux qui n’arrivent pas à se produire sur scène pour partager leurs nouvelles expé­riences. C’est le désir d’aventure et l’esprit rebelle que nous ciblons ».

Souvent, les chansons des Mahraganates (l’électro-populaire) sont mal appréciées des critiques et des musicologues qui les jugent trop vulgaires. Mais Refaat les défend farouchement. « Certaines chansons comportent de gros mots, parfois un peu violents, je l’admets, mais cela avait toujours existé. Il faut com­prendre les raisons pour lesquelles ces chansons circulent parmi les jeunes. D’abord, c’est une musique dansante. Et puis, il s’agit d’un lan­gage dialectal, courant, simple et direct. Ce n’est pas un genre issu de la révolution du 25 janvier 2011, car il était là bien avant. La révolution a juste attiré l’attention vers les chan­teurs de ce genre musical, qui s’ex­priment à leur manière ».

Au début des années 1990, Mahmoud Refaat, alors jeune étu­diant à la faculté de lettres de l’Uni­versité de Aïn-Chams, était déjà bien différent de ses camarades. Il n’écou­tait pas les tubes en vogue et les albums des stars pop. Au contraire, il savourait les paroles et les musiques plus proches de sa nature rebelle. Il s’identifiait plus au rock par exemple. « Je n’avais pas forcément choisi de faire des études en lettres classiques, mais c’est mon pourcen­tage au baccalauréat qui m’y a amené. J’ai essayé de passer à la faculté de pédagogie musicale, mais ça a été un échec complet. Les pro­fesseurs ont jugé que je ne corres­pondais pas à leurs critères. J’aimais une musique très différente de ce qu’ils enseignaient. En dehors du campus universitaire, j’avais fait la connaissance de certains jeunes qui jouaient de la musique, à leur façon, et ça m’a plu».

Le hasard a par la suite introduit Mahmoud Refaat au monde musical professionnel. « L’été, je passais les trois mois de vacances chez mon oncle, en Suisse. Il étudiait la musique jazz et faisait de la batterie à la maison. J’ai donc commencé à apprendre à mon tour. J’ai décou­vert le jazz et je jouais avec mon oncle ». Le monde du jazz s’est alors ouvert petit à petit au jeune universitaire qui, de retour en Egypte, s’est lié d’amitié avec d’autres jeunes aimant le jazz et le rock comme lui. Ensemble, ils ont formé le groupe Cartoons Killers. « Notre premier concert à succès avec Cartoons Killers était au club Rama, au début des années 1990. Peu de temps après, on a donné un grand concert sur le court de tennis du même club. Mes parents m’encou­rageaient à jouer. Mes amis à la faculté, qui écoutaient Ihab Tawfiq et Mohamad Fouad, ne comprenaient pas trop ce que je faisais ».

Les concerts donnés à l’époque par-ci et par-là ont étan­ché la soif de Refaat, mais malheu­reusement, il y a eu les incidents liés à la présence d’une secte satanique en Egypte, en 1997, dont les membres jouaient de la musique métal lors de leurs rencontres. Plusieurs musiciens ont été condam­nés et on a commencé à accuser à tort et à travers ceux qui jouaient du métal d’être des adorateurs de Satan et de vouloir répandre la débauche. « C’était une situation difficile, et les groupes égyptiens jouant ce genre ont réduit leurs activités sur scène », se souvient Refaat. Cependant, lui, en tant qu’artiste rebelle, a continué à composer sa musique. « J’ai com­mencé à m’intéresser davantage à la musique électronique, passant d’une expérience à l’autre. J’ai composé des morceaux pour des spectacles de danse et de théâtre physique. Il s’agit d’un mouvement européen qui a influencé le monde entier; beau­coup de chorégraphes égyptiens s’en inspiraient. On projetait des vidéos, on donnait des spectacles à la gale­rie Townhouse ou dans le Blackbox de l’Université américaine du Caire. Parfois, le Cairo Jazz Club accueillait nos concerts ».

Refaat a voulu ensuite documen­ter sa musique expérimentale et a décidé de lancer le label 100 Copies. « Au départ, l’idée était de produire un album de musique en 100 CD seulement et de les diffuser. Juste pour enregistrer les expé­riences de musiciens indépendants et pour instaurer une structure de travail qui pouvait leur servir : management, économie, marketing, etc. De plus, on pouvait offrir au public des expériences différentes, loin des contraintes commerciales du marché et des sociétés de pro­duction », précise le producteur. Ainsi, le premier album du label Miramar proposait des oeuvres signées par Refaat lui-même. « C’est mon côté narcissique », sourit-il. Une belle surprise: les 100 copies ont été toutes vendues. « Je n’imaginais pas un tel succès. Les démarches étaient simples et on a au fur et à mesure soutenu d’autres jeunes artistes faisant de la musique électronique, afin de produire leurs albums ».

Au fil des années, l00 Copies a commencé à opérer à l’international. Le label a présenté ses artistes par­tout ailleurs et organisait des concerts à l’étranger. « Nous avons participé à des festivals et osé plus d’aven­tures. Nous nous sommes permis également d’être plus sélectifs », souligne Refaat. Et d’ajouter: « Au cours des quelques dernières années, nous avons centré notre travail autour de la production d’albums qui portent unique­ment l’étendard de la jeunesse. On est allé jusqu’au bout. On aide également des artistes en les orientant vers des solutions inédites ou vers des astuces techniques ».

L’été prochain, le label 100 Copies lan­cera les albums de 3 Phaz et Waegz. « Ce sont les nou­velles voix de la musique électro Chaabi et du hip hop en Egypte », précise Refaat, qui cherche égale­ment à ressusciter le Festival 100 Live, suspendu depuis trois ans, faute de temps. « C’était un festival qui réunissait les différents groupes indépendants de la musique et du chant et qui accueillait pas mal d’ar­tistes égyptiens et étrangers. Nous allons faire de notre mieux pour le faire revenir », ajoute Refaat, qui se prépare à la Biennale de Sharjah, où il fera une intervention sur le statut de la musique dans le monde arabe durant la dernière décennie. L’artiste s’engage à défendre sa musique pré­férée, corps et âme.

Jalons :

1996 : 1er concert sur les planches d’un vrai théâtre au centre Hanaguer, avec la troupe Underdogs.
2005 : Lancement du label 100 Copies.
2007 : Participation à la 9e édi­tion de la Biennale de Sharjah avec une composition de musique expérimentale s’inspi­rant du thème de l’ancien film égyptien Zawgati wal Kalb.
2014 : Mariage avec Hebatallah Ahmad.
2015 : Naissance de son fils Ismaïl.

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