Une élégance naturelle, une vaste culture, un sourire discret, un regard pétillant, miroitant une confiance en soi, non sans douceur. Ménar Meebed impose son charme et son respect. On ne peut que lui vouer une vive admiration. Elle parle un français impeccable, répond aux questions des clients curieux qui passent devant ses produits, mais parvient également à travailler avec les paysannes, s’adressent à elles dans leur langage et leur apprend un autre genre d’agriculture. Elle assume tous ces rôles avec joie et s’épanouit dans cette vie connectée à la terre.
Du charisme et surtout de l’énergie la rendent imbattable. Madame Meebed se caractérise par un dynamisme hors du commun. Elle s’intéresse toujours aux origines des choses et à tout ce qui est authentique.
« Au départ, il n’était pas question que je suive cette voie. Je suis géologue de formation, j’ai étudié la composition et la structure des couches de la terre. Mais j’ai toujours admiré un autre aspect de la terre, son côté fertile qui fait qu’elle donne des récoltes. L’agriculture est une vraie passion pour moi. Quand j’avais pris ma retraite, je plantais tout ce qu’on mangeait. J’ai une petite maison de campagne, j’ai commencé à planter des légumes et des fruits. Puis, une fois, ma cousine et moi bavardions, et c’est ainsi qu’est né le projet : Minnie’s pour les fruits et les légumes secs », raconte-t-elle.
« En Egypte, on mange les fruits secs uniquement durant le Ramadan. Le but est donc de sensibiliser les gens à consommer des fruits secs tout au long de l’année. Le séchage prolonge leur durée de vie, permet de les manger en dehors de leur saison, et c’est évidemment plus sain que les fruits congelés ». Dates, mangues, fraises, bananes, figues, mandarines, prunes, abricots … Elle offre une ligne de produits de fruits secs que l’on peut consommer quand on le souhaite. Ils ont tant de bienfaits, sont nutritifs, donnent de l’énergie et occupent moins d’espace dans le frigo, puisque le séchage réduit le poids et le volume des aliments.
Mais ce n’est pas leurs seuls avantages. « Ces légumes et fruits sont cultivés sans pesticides, et séchés sans colorants, ni additifs, ni conservateurs, ni sucre ajouté. Un concentré d’antioxydants permet de profiter des vertus des fruits à tout moment de l’année », souligne la spécialiste. Et pour répandre ses idées, Ménar Meebed ne rate pas d’occasion pour mieux faire connaître ses produits au public. « Nous participons à des marchés dans différents quartiers. Nous sommes présents dans les centres commerciaux et nos produits sont à vendre dans certains supermarchés. Nous avons également un rassemblement mensuel dans un restaurant au centre-ville cairote, où les menus et desserts du jour sont préparés à base de nos légumes et fruits ». Sa petite boîte de dégustation à la main, Meebed fait goûter ses produits à qui veut, expliquant comment ils peuvent être associés à une salade, un yaourt ou un cake. « On peut aussi en donner aux enfants à l’école à la place des sucreries », conseille-t-elle aux mamans.
En effet, ce qui compte à ses yeux c’est de manger sain. Bien se nourrir, c’est bien vivre. « Lorsqu’on cultive sa propre nourriture, on est dans le contrôle total de sa qualité. La nature met à notre disposition tout ce dont nous avons besoin », dit-elle.
La santé passe par l’assiette, le bonheur aussi. Manger est donc pour elle un moment de partage et de découverte.
Et c’est pour en savoir plus que Ménar Meebed part en Inde puis en Allemagne, afin d’apprendre les meilleurs techniques de séchage des légumes et des fruits. Et développe, par la suite, sa propre philosophie par rapport à la nourriture, inspirée du Slow Food.
Créé en 1986, en Italie, le mouvement international Slow Food a pour principal objectif de sensibiliser les citoyens à l’éco-gastronomie, à les encourager à se réapproprier les plaisirs de la table, à renouer avec les traditions et à explorer de nouvelles cultures culinaires.
C’est une réaction à la frénésie des sociétés modernes et au concept du fast-food qui a standardisé les goûts.
Elle rencontre un groupe de jeunes qui partagent ses idées. Ensemble, ils introduisent la notion du Slow Food en Egypte avec l’idée d’aider le consommateur à devenir un gastronome averti. « Il est inutile de forcer le rythme de notre existence. L’art de vivre consiste à apprendre comment dédier du temps à chaque chose ». Tel est le concept de Carlo Petrini, fondateur de Slow Food. En 1986, la chaîne Mc Donald’s s’apprêtait à installer une succursale sur la splendide place Piazza di Spana, à Rome, chose que Petrini a considérée comme inadmissible, une introduction de la malbouffe en terre d’Italie !
Son idée prônant le retour aux sources fait si bien son chemin qu’elle commence à s’introduire dans plusieurs pays, dont l’Egypte. « Eveiller le goût du public à une nourriture de qualité, expliquer les origines des aliments, les conditions socio-historiques de leur production, préserver le patrimoine agricole de l’Egypte, faire découvrir les producteurs d’ici et d’ailleurs, telle est notre mission », explique Ménar Meebed, qui regrette que le patrimoine alimentaire soit en perdition. « La jeune génération connaît mal ce que c’est un plat de kichk saïdi (soupe blanche épaisse à base de lait), la khobbéza (mauve à petites fleurs) ou d’autres légumes comme la régla (pourpier). Ils sont plutôt à la recherche de plats pour remplir rapidement le ventre ».
Le siècle qui a débuté sous le signe de la civilisation industrielle a fait de nous des esclaves de la vitesse. On ne laisse plus le temps aux fruits et légumes traditionnels de croître naturellement. « Nous avons tous attrapé le même virus, celui de la vitesse qui perturbe nos habitudes, envahit l’intimité de tous et nous force à manger rapidement ». D’après elle, il est temps de se permettre le plaisir authentique d’une nourriture saine, de mener une bataille pour sauvegarder la biodiversité alimentaire. Un combat qui commence à table.
Il faut, selon Ménar Meebed, ralentir la cadence, prendre le temps de bien choisir ses aliments, de les connaître, de les cuisiner convenablement. D’où le symbole de la lenteur : l’escargot, associé au slogan du mouvement Slow Food, visant à manger bon, propre et juste.
Présidente de Slow Food Egypt depuis 2017, Ménar Meebed tente d’organiser des événements pour faire connaître la bonne cuisine et participe à la Foire internationale bi-annuelle de Turin, où elle rencontre des experts du monde entier. « Nous échangeons nos expériences, nous apprenons à prêcher l’alimentation de qualité en utilisant des produits régionaux ». Pour bien manger, il faut commencer par bien cultiver. De même, Ménar Meebed a décidé de former les petits agriculteurs dans le village de Dahchour, où elle cultive la terre, sèche les fruits et les légumes et prépare sa ligne de production. Elle commence ainsi par le cycle de vie du produit, les conditions de travail des intermédiaires, etc.
« Je travaille avec les paysannes, je les appelle les filles. Je leur apprends nos méthodes et les conditions à respecter, surtout en ce qui concerne l’usage des pesticides. C’est ce qu’on appelle Safe Agriculture. Certaines femmes rurales nous donnent actuellement toutes leurs récoltes de tomates et de courgettes. Mais il n’est pas toujours facile de recruter des femmes dans les milieux ruraux. La plupart se contentent d’activités de petite taille, au faible rendement et se soumettent aux exigences de leurs maris », indique-t-elle.
Mais Meebed ne baisse pas les bras. Elle demande à des experts de venir former les paysannes, de leur apprendre les nouvelles techniques d’agriculture saine et de commercialisation de leurs récoltes. Ce petit business peut-être un outil d’autonomisation de ces femmes rurales qui doivent à leur tour éduquer d’autres, lancer leurs propres petits projets et devenir actrices de développement dans leur communauté. « C’est ma mère qui m’a appris à donner, dès ma tendre enfance. C’est une grande femme, ouverte d’esprit et très moderne, qui a offert à ma soeur et moi toutes les opportunités pour être bien éduquées. Mon père est décédé très jeune, et elle a dû faire face à une famille qui ne comprenait pas comment une femme pouvait élever deux filles seule. Aujourd’hui, nous sommes trois femmes solidaires qui se soutiennent et se donnent beaucoup d’amour ».
C’est dans ce même esprit qu’elle a éduqué ses deux enfants et ses petits enfants. Elle tente aussi de transmettre les mêmes valeurs aux femmes rurales, pour qu’elles deviennent indépendantes.
A Dahchour, elle passe des moments à l’écart du bruit et de la vitesse urbaine. Elle apprécie chaque moment de la vie. « A un certain moment, il fallait faire des concessions. J’ai reporté mes rêves tout en faisant des choix qui répondent aux besoins de mes enfants. Sinon, pourquoi choisir d’être mère ? J’ai pratiqué le métier d’enseignante pour avoir des vacances régulières et passer plus de temps avec mes enfants. Et quand le moment est devenu favorable, j’ai tourné une page de ma vie et je suis partie à la recherche de mon rêve ».
Ménar Meebed suit son rythme, ne court pas après le temps. Elle ne doit rien prouver à personne. « Je suis ma propre patronne », lance-t-elle. Si un jour elle a décidé de quitter sa zone de confort pour se lancer dans le monde des affaires, c’est pour vivre sa passion. Elle envisage cette aventure comme un accomplissement qui l’a tant enrichie, ajoutant à ses connaissances, son expérience, plutôt qu’à ses gains matériels.
Aujourd’hui, c’est elle qui impose ses propres lois. « Je ne me suis jamais vue en tant que femme d’affaires », confie-t-elle. Patiente et réaliste, elle connaît bien ses objectifs, prend des risques calculés. « J’observe tout le temps ce qui se passe autour de moi, c’est mon côté prof ! ». Et d’ajouter : « Mon but n’est pas de créer une gigantesque entreprise, mais de respecter mes valeurs. Je veux intégrer de nouveaux marchés, répandre mes produits dans les écoles et les universités, penser à l’exportation, lancer des projets pour soutenir les petits producteurs agricoles, utiliser davantage des produits régionaux, et surtout écrire un livre rassemblant toutes les recettes à base de fruits et légumes secs ». Ce qui compte pour elle, c’est de continuer de soutenir les causes qui lui tiennent à coeur .
Jalons :
1947 : Naissance au Caire.
1968 : Diplôme de la faculté de sciences, section géologie. Puis, travail dans une compagnie pétrolière.
1982 : Enseignante de sciences.
2002 : Travail dans le département du développement, à l’Université américaine du Caire.
2009 : Stage de séchage des fruits et des légumes en Inde.
2013 : Lancement du projet Minnie’s pour les fruits et les légumes secs.
2017 : Présidente du mouvement Slow Food Egypt.
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