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Fatma Saïd : Je chante, donc je suis

Névine Lameï, Dimanche, 02 décembre 2018

Etoile montante du chant classique, la jeune soprano égyptienne Fatma Saïd se déplace avec virtuosité entre les scènes du monde entier. Toujours avec son instrument, sa voix forte et limpide.

Fatma Saïd
(Photo:Mohamad Moustapha)

Elle vient d’envoûter un large public, notamment les passionnés d’art lyrique, à l’occasion de son concert au Festival international de la musique classique, qui a récemment eu lieu au somptueux Palais Manial, au Caire. Il s’agit d’une chanteuse hors pair, soit de la soprano égyptienne Fatma Saïd, 27 ans, lancée dans une carrière internationale. Sur scène, elle scintille comme une étoile, avec sa voix aussi claire que cristalline. Une voix forte, limpide et aiguë, ornée de nombreuses variations. Ses mimiques vont du comique au tragique, du chagrin au bonheur et du flirt au profond amour avec une aisance incroyable, comme si elle avait déjà vécu toutes ces émotions malgré son jeune âge.

Née au Caire, dans le quartier de Maadi, Fatma Saïd est la fille du politicien et parlementaire égyptien Ahmad Saïd. La mère de Fatma est femme au foyer et passionnée de musique classique. La famille de Fatma avait été assez étonnée du choix de leur fille, celui de faire carrière dans le chant. Néanmoins, quand elle a compris que Fatma était très sérieuse au sujet de son futur métier, elle l’a défendue sans s’opposer à sa destinée. Et voici qu’une belle carrière se dessine rapidement devant la jeune soprano. « Croyant fort à mon talent, c’est mon père qui m’a encouragée à présenter mes papiers dans diverses institutions universitaires spécialisées en musique à l’étranger. Car obtenir une certification de qualification professionnelle en musique, notamment en chant lyrique, ce n’est pas disponible en Egypte », explique Saïd, formée à l’école supérieure de musique de Hanns Eisler à Berlin, en Allemagne, où elle réside depuis 2009.

Ses études ont été précédées d’une formation à l’Ecole allemande catholique de Saint-Charles Borromée, à Bab Al-Louq au Caire, couronnée d’un baccalauréat en 2009. A l’âge de 18 ans, alors que sa famille déménage dans le quartier huppé d’Al-Qattamiya, Fatma quitte l’Egypte à destination de Berlin pour y mener une vie indépendante. « Je dois beaucoup à mon école allemande à la réputation éducative très stricte et riche en matières pédagogiques. Une manière d’être à la hauteur du certificat de qualité qu’est l’Abitur (ndlr: correspond au baccalauréat en France) qui s’obtient après 13 ans d’études ardues. Personnellement, je penchais davantage pour la musique, le sport et les matières littéraires que scientifiques », déclare Fatma.

La chanteuse est de ceux qui aiment appréhender la vie sous un angle original, avec des idées créatives. C’est son art de vivre. « A l’école allemande en Egypte, j’ai touché aux différents périodes, compositeurs et théories de la musique. Des études qui me permettent d’analyser des symphonies, des préludes et de maîtriser quatre langues: l’allemand, le français, l’anglais et l’italien », déclare Fatma. Ancienne membre de la chorale de son école allemande, elle jouit de l’aptitude de chanter en plusieurs langues, avec une voix qui jongle entre les styles. « Je n’aime pas être coincée dans un genre de musique vocal déterminé », souligne Fatma, qui se retrouve notamment bien dans le rôle de Pamina, qu’elle a joué en 2016 dans une nouvelle production de La Flûte enchantée de Mozart, au théâtre de l’Académie de La Scala de Milan. Et ce, pour devenir, à l’âge de 25 ans, la première soprano égyptienne à se produire sur la scène emblématique italienne. « J’ai aimé dans le rôle de Pamina l’évolution de son caractère. Il s’agit d’une petite fille qui, sans aucune expérience, devient plus mature d’un acte à l’autre. Pamina me ressemble. J’ai commencé ma carrière musicale à un âge précoce, jusqu’à devenir petit à petit capable de prendre mes décisions avec sagesse et prudence, dans la vie comme sur scène », indique la soprano.

A l’âge de 22 ans, Fatma intègre, grâce à une bourse de trois ans, la prestigieuse Académie de La Scala de Milan, où elle joue notamment les rôles de Clorinda dans La Cenerentola, de Berta dans Le Barbier de Séville de Rossini et de Nannetta dans Falstaff de Verdi. « J’aime dans le rôle de la petite Nannetta son amour caché qu’elle dissimule à sa famille, tout au long de l’opéra. Personnellement, ma vie amoureuse et privée n’a rien à voir avec ce que je présente sur scène. Comment bien jouer le rôle de Juliette si je pense à Fatma Saïd? La puissance d’incarnation est nécessaire pour toute crédibilité », déclare Fatma.

La jeune Egyptienne aime chanter Ravel, Mozart, Donizetti, Francis Poulenc, Schubert, Luke Serrano, Luigi Arditi, les frères Rahbanis, Najib Hankash, Geoges Gershwin, Frederick Loewe, Camille Saint Saëns— et surtout Puccini, qui constitue pour elle « l’apogée des orchestrations romantiques, d’une intensité dramatique unique ». Et d’ajouter: « Le romantisme est l’ère que j’aime chanter. A mon avis, le XIXe siècle est la plus belle époque de l’Histoire, lors de laquelle se sont écrites les plus belles oeuvres musicales inspirées des plus magnifiques poèmes, ceux de Lamartine, Hugo, Baudelaire, et d’autres. Une époque qui invite au rêve et à l’imagination ». Fatma est capable de réciter par coeur plus de 500 poèmes en plusieurs langues, écrits par des poètes de renom, tels Goethe, Klingsor, Baudelaire, Eichendorff, Verlaine ou Hugo. L’artiste raconte: « A l’école, encore enfant, il m’était difficile de comprendre Faust de Geothe, qui est, à mon avis, l’oeuvre la plus difficile à chanter, mais quand j’ai grandi, j’ai aimé analyser cette oeuvre géniale, la plus importante de la littérature allemande, qui pose la question obsédante du salut de l’âme, allégorie de l’humanité souffrante et tiraillée entre la pensée et l’action ».

Fatma a voulu tenter la chance de vivre dans un autre pays plus gai et vivant que l’Allemagne, lieu de sa résidence pendant ses études musicales. « C’est vrai qu’en Italie, j’ai noué de bonnes relations amicales, chaleureuses et conviviales. Néanmoins, j’ai vite constaté que le système de vie stricte et rigoureuse, organisée et ponctuelle auquel je m’étais habituée depuis mon école allemande me convient davantage », confie Fatma. D’un caractère libre et indépendant, elle décide, à l’âge de 25 ans, de retourner définitivement en Allemagne pour y poursuivre sa carrière musicale. « L’Allemagne jouit d’une particularité propre au pays : dans chaque ville, il existe une école d’art et de musique de haut niveau », déclare-t-elle, une voyageuse qui emporte dans son bagage, partout où elle se déplace, la certitude qu’il ne faut jamais échouer.

L’agenda de Fatma Saïd est bien chargé. Le 30 août dernier, elle a chanté à Bonn, devant le président allemand, une prestation précédée de quatre jours d’études à Dusseldorf et de concerts à Londres, Malaga, Manchester et Paris. Actuellement, elle est occupée à enregistrer, avec la Radio BBC, l’émission New Generation Artists, sur les jeunes musiciens les plus prometteurs au monde. « Mes voyages en continu m’épuisent. Mes cordes vocales s’affectent facilement lorsque je suis exposée à une infection dans un lieu clos. Je réfléchis mille fois avant de sortir entre amies dans un café. Je ne vis pas de vie normale de jeunes de mon âge, mais c’est moi qui ai choisi cette vie ardue, par conviction. La décision de m’installer définitivement dans un seul pays, cela viendra un jour », pense Fatma.

La jeune star a été à l’origine formée en Egypte, par sa professeure égyptienne de solfège la soprano Névine Allouba. « Ce sont mes cours privés avec Névine Allouba qui m’ont facilité la tâche d’être admise à un si jeune âge à l’école Hanns Eisler à Berlin. C’est Névine Allouba qui nous a formées nous les deux, ma confrère la soprano Nesma Mahgoub et moi, de la même génération. Personnellement, j’ai choisi d’amener ma voix au monde entier, loin de toute entreprise de monopole, de contrats d’opéras ou d’autres. J’aime travailler indépendamment, avec différents chefs d’orchestres et metteurs en scènes. Je chante, donc je suis », affirme Fatma.

Très reconnaissante envers son pays natal, Fatma participe, depuis 2015, au concert de Noël donné chaque année par Névine Allouba à l’Opéra du Caire. A mesure que sa renommée grandit, Fatma multiplie de plus les interprétations aux côtés de chanteurs d’opéra célèbres, en Egypte et surtout à l’étranger, soit en Allemagne, en France, en Grèce, en Turquie, à Oman, en Finlande, en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis, en Colombie et en Suisse. Suite au concert qu’elle a donné en août 2015 au prestigieux auditorium Stéphan-Bouttet en France, le magazine Ouest France l’a décrite comme étant « une star en devenir ».

Beaucoup croient déceler en elle la nouvelle Maria Callas. « Maria Callas, la plus belle voix du XXe siècle, est mon idole. Comment me comparer à cette diva absolue de l’opéra, avec sa grande virtuosité, le timbre particulier de sa voix, son registre étendu et son talent de tragédienne jouissant d’une grande intensité dramatique ? », déclare avec grande modestie Fatma, disciple des grands maîtres allemands de l’école Hanns Eisler— Renate Faltin, Tom Krause et Claar Terttorst— et de la Scala de Milan: Renato Bruson, Vincenzo Scalera et Duciana D’Intino. « Pour devenir un bon chanteur, il faut travailler dur et régulièrement, entraîner le corps et la voix, adopter les bonnes postures et les bonnes techniques de respiration. D’où la nécessité d’un bon échauffement vocal pour éviter les risques de chanter à froid. Une belle voix ne se force pas! On dit que les yeux sont le miroir de l’âme, la voix en est un également », explique la jeune soprano.

Fatma n’aime pas que son look prime sur sa voix. Bien maquillée sur scène, elle s’habille chic et classique, avec des accessoires qui puisent dans le patrimoine égyptien et avec une touche moderne. Mais bien qu’elle soit le nouveau visage publicitaire des créations de la bijoutière Azza Fahmy, elle reste modeste : « J’aime que les gens m’écoutent avec leur coeur plutôt qu’avec leurs yeux », conclut-elle.

Jalons :

1991 : Naissance au Caire.
2006 et 2009 : Prix au Concours des jeunes musiciens « Jugend Musiziert », Allemagne.
2011 : Grand prix du Concours international de chant Giulio Perotti, Allemagne.
2011 : The Day the People Changed, chanson sur la révolution égyptienne composée par Moustapha Al-Halawani, à TEDx Cairo.
2013 : Contribution, avec Eugenio Bennato, au Teatro San Carlo, à un projet de paix suite au Printemps arabe.
2014 : Concert en l’honneur de Tom Krause à l’Académie Villecroze, France ; représentation de l’Egypte lors de la Journée des droits de l’homme aux Nations-Unies, Genève.
2016 : Premier prix au 8e Concours de chant international Veronica Dunne, Irlande.
Octobre 2016 : Prix de créativité octroyé par le président Al-Sissi lors du 1er Forum des jeunes, à Charm Al-Cheikh.
Octobre 2018 : Concert à Entrecasteaux, France.

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